Poupette Kenza, quand la surexposition des enfants d’influenceurs pose problème

Poupette Kenza, l’influenceuse Kenza Benchrif a 22 ans, un mari, deux enfants et une communauté de plus d’un million d’abonnés sur Snapchat. Ce qui fait d’elle la Française la plus suivie de cette plateforme.
Poupette Kenza Poupette Kenza, l’influenceuse Kenza Benchrif a 22 ans, un mari, deux enfants et une communauté de plus d’un million d’abonnés sur Snapchat. Ce qui fait d’elle la Française la plus suivie de cette plateforme.

L’influenceuse, suivie par un million de followers, est sous le coup d’une enquête pénale après des signalements de maltraitance envers ses enfants. Le HuffPost revient avec une spécialiste sur cette histoire, qui incarne le pire des réseaux sociaux.

JUSTICE - « Je suis enfermée dans ma chambre depuis plusieurs jours, je ne regarde plus les réseaux ou ce qui se passe autour de moi. Je suis accusée de choses tellement dramatiques… » Poupette Kenza, influenceuse rouennaise de 23 ans, de son vrai nom Kenza Benchrif, a réagi lundi 20 février par téléphone, sur le plateau de TPMP, aux rumeurs qui agitaient les réseaux sociaux depuis plusieurs jours. Elle a été entendue ce week-end au commissariat à la suite de signalements pour maltraitance envers ses deux enfants en bas âge.

Dernièrement, son petit garçon, né en mai 2022, aurait souffert d’une blessure à la tête, ce qu’elle avait raconté sur les réseaux sociaux. « Après une journée de stress, des invocations, le médecin vient de passer en chambre il y a juste une minute. J’étais obligée de m’empresser de vous donner des nouvelles pour ne pas vous inquiéter plus que ça. Les résultats de L’IRM sont très positifs. Votre petit-neveu, mon fils, mon guerrier, mon roi est sorti d’affaire », expliquait-elle ensuite. C’est à l’issue de cette hospitalisation que la jeune femme aurait été placée en garde à vue ce week-end.

Comme l’a confirmé le parquet de Rouen auprès de 76actu, la jeune femme est bien sous le coup d’une enquête pénale pour « soustraction par le parent d’un enfant mineur sans motif légitime à ses obligations légales compromettant sa santé, sécurité, moralité ou son éducation ». Des maltraitances qu’elle a fortement démenties, en pleurs, dans l’émission de Cyril Hanouna.

Ses contenus, postés d’abord sur Snapchat puis sur TikTok et Instagram, sont des vidéos de son quotidien de mère au foyer mariée avec un homme, de ses enfants, de sa vie quotidienne. « Elle s’est fait connaître sur Snapchat il y a deux ans parce qu’elle s’est filmée en train de pleurer après un vol de voiture, explique Myriam Roche, fondatrice du site Les Gens d’Internet et spécialiste du marketing d’influence. Son post est devenu viral et elle est aujourd’hui l’un des comptes les plus suivis en France sur la plateforme. »

Le cercle vicieux de la surexposition

Ce qu’apprécient ses followers, c’est le fait qu’ils s’identifient à sa vie et ses galères de jeune mère. « Elle se filme tous les jours, que ce soit son petit-déjeuner, quand sa fille tombe, quand elle se brûle avec son fer à lisser, quand elle rentre des courses, énumère Myriam Roche. Sa communauté s’est habituée à cette omniprésence et lui en demande toujours davantage. Si elle ne donne pas de nouvelles pendant une heure, elle reçoit des centaines de messages lui demandant ce qui lui arrive. »

Cette surexposition, qui englobe donc ses enfants et son entourage, est également une matière riche pour les haters (littéralement les « haïsseurs », ceux qui critiquent exclusivement négativement son contenu). « Parfois, elle se filme en train de donner un code promo alors que sa fille pleure. Dans une autre vidéo, elle marche maladroitement sur la main de sa fille, énumère Myriam Roche. Tout cela alimente les commentaires haineux, qui tous les jours s’appliquent à mettre en avant ce qu’elle fait de mal. » Selon une source judiciaire citée par 76actu, les signalements qui ont provoqué l’enquête pénale auraient ainsi été « déposés par des gens qui la suivent ».

Harcèlement en ligne

Cette histoire fait écho, dans une certaine mesure, à celle de MavaChou, une mère influenceuse suivie par plus de 143 000 personnes sur YouTube, qui s’était fait connaître en 2015 grâce à ses vidéos narrant le quotidien de sa famille, entre courses, repas, mais aussi divorce et « unboxing ». Victime de harcèlement en ligne, elle avait fini par se suicider en décembre 2021.

Pour Myriam Roche, ce harcèlement qui cible les influenceurs est accentué par la proximité fantasmée que crée la publication de contenus habituellement réservés à une sphère privée. « Un autre youtubeur, Mastu, raconte par exemple que des gens viennent sonner chez lui plusieurs fois par jour. La popularité sur les réseaux sociaux déborde dans la vie privée, parce que les gens ont l’impression qu’ils sont proches d’eux, que ce sont leurs amis et qu’ils ne sont pas inaccessibles, comme des stars de cinéma ou de télé », explique-t-elle.

Les questions de la santé mentale et du cyberharcèlement des influenceurs et la manière dont ils sont - ou pas - accompagnés dans leur parcours de célébrité, parfois fulgurante, se posent. La semaine dernière, une influenceuse @mllexchloe a été invitée à Matignon pour parler de l’aspect « cyberharcèlement » du métier d’influenceur.

Les droits des « enfants influenceurs »

Poupette Kenza n’est pas la seule à montrer sa vie quotidienne sur les réseaux sociaux : de nombreuses mères et parents, solos ou non, en ont fait un business. Mais tous ne mettent pas en scène leurs enfants. « Kenza, dès le départ, a fait le choix de montrer ses enfants, parce que ça lui permettait d’avoir accès à certains partenariats. Elle a habitué sa communauté à les voir et c’est compliqué de faire marche arrière aujourd’hui, souligne Myriam Roche. Souvent, sa fille de 3-4 ans est sur ses genoux quand elle partage ses codes promo. Elle n’hésite pas non plus à les mettre en scène pour tester des produits. »

Ce qui pose la question de la protection de la vie privée de ces enfants et de la légalité de cette exposition. En avril 2022, une proposition de loi sur les « Enfants influenceurs » a été adoptée en France. Elle concerne tous les enfants de moins de 16 ans qui s’expriment sur les réseaux sociaux comme YouTube, Instagram, TikTok ou encore Twitch, et étend la législation déjà en vigueur pour les enfants du spectacle, à savoir les mannequins, les chanteurs ou encore les acteurs.

Le texte prévoit que le travail des enfants sur les réseaux sociaux soit soumis à une autorisation administrative préalable, à un contrôle médical et à la consignation des sommes perçues auprès de la Caisse des dépôts jusqu’à leur majorité. Un « droit à l’oubli » permet aussi à l’enfant dès sa majorité de demander auprès des plateformes la suppression des contenus le mettant en scène mineur.

Protéger l’image des enfants

Les enfants de Poupette Kenza sont directement concernés par cette loi. « À partir du moment où elle les met en scène dans des partenariats, la marque doit effectuer un contrat destiné à l’enfant et un au parent », développe Myriam Roche. Au mois de janvier, une nouvelle proposition de loi a été déposée - par le même député LREM que la loi « Enfants influenceurs » - afin d’interdire aux parents de jeunes de moins de 15 ans de diffuser leur image sur les réseaux sociaux.

« On estime en moyenne qu’un enfant apparaît sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l’âge de 13 ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches, affirme le texte. La publication sur les comptes des parents de contenus relatifs à leurs enfants, en anglais dénommée sharenting (contraction de sharing et parenting), constitue ainsi aujourd’hui l’un des principaux risques d’atteinte à la vie privée des mineurs (...). » Le texte devrait être examiné en mars à l’Assemblée nationale.

Pour Myriam Roche, la complexité d’encadrer le monde de l’influence vient des spécificités propres à chaque partenariat. « L’enfant peut être invité à un événement, il peut être visible dans une story, dans une vidéo Tik Tok, dans un live sur Twitch… C’est compliqué de comprendre ce qui est attendu dans la loi et il faut s’entourer de juristes pour être bien en règle », souligne-t-elle.

Près de 19 000 personnes ont participé à une concertation menée du 9 au 31 janvier par le ministère de l’économie sur le site make.org, commentant ou réagissant à douze mesures avancées par le gouvernement pour encadrer le travail des influenceurs. « Les discussions à Bercy concernent davantage l’aspect économique ou contractuel du métier et l’interdiction des arnaques en ligne et du dropshiping, que la santé mentale des influenceurs. Cela viendra peut-être ensuite », espère Myriam Roche.

VIDÉO-VOICI - "Ils ont tout eu, ils n'ont rien fait" : Matthieu Delormeau dézingue les influenceurs