Des pornos sur la guerre en Ukraine ou le Covid ? Comment comprendre l’étrange lien avec l’actu

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Marcos Calvo / Getty Images/iStockphoto young attractive and relaxed internet addict man networking concentrated late at night on bed with laptop computer in social media addiction or workaholic businessman concept

PORNOGRAPHIE - Coronavirus, quarantaine, guerre en Ukraine… Chaque actualité a droit à son contenu pornographique dédié. En février dernier, peu après le début de l’invasion en Ukraine, l’association Stop Fisha, qui lutte contre le cybersexisme et les cyberviolences sexistes et sexuelles, décèlait une tendance sur Pornhub, le site pornographique le plus populaire. Les trois termes les plus recherchés du moment sont « Ukraine », « Ukrainian » et « Ukrainian girl. » Ce même phénomène s’observe sur d’autres actualités, comme la pandémie de coronavirus. Le HuffPost a fait appel à deux sexologues afin de questionner le lien étrange qui existe entre ces actualités et la pornographie.

Pornhub publie régulièrement des « Pornhub Insights », des études statistiques de la fréquentation du site à des moments ou sur des thèmes précis : le superbowl, la naissance d’un bébé de la famille royale, la sortie d’un film populaire ou encore lors d’Halloween… Ainsi, les recherches sur le Joker ont augmenté massivement de 3 345 % après le lancement du film éponyme, en 2019.

Il existe d’ailleurs une règle officieuse d’internet, appelée la « règle 34 », qui dit : « Si ça existe, il y a du porno à ce sujet. » Cette maxime a été inventée par Peter Morley-Souter dans une bande dessinée en ligne et fait partie des « Rules of the Internet. » C’est une liste de fausses lois du net inventées sur le forum 4Chan, dont certaines se sont popularisées, dont la règle 34. La plupart des vidéos confirmant cette règle relèvent des fantasmes de certains consommateurs de porno, parfois loufoques - Mario kart, les aliens ou encore Tesla, d’après les études statistiques de Pornhub.

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Nous avons contacté Pornhub afin d’obtenir des données sur la guerre en Ukraine, le site ne nous a pas répondu malgré nos relances. Mais des chiffres sur la pandémie de Covid-19 existent : entre le 22 février et le 30 avril 2020, Pornhub recensait plus de 17,1 millions de recherches contenant « Corona », 1,1 million contenant « Covid » et 8,2 millions contenant « Quarantaine ». Plus de 1 100 vidéos sur le thème du coronavirus ont été téléchargées, dont beaucoup ont été visionnées plus d’un million de fois. Au total, plus de 7 300 vidéos sur le thème de la quarantaine étaient disponibles !

Combattre ses angoisses

« L’actualité est très anxiogène. On vit dans une société envahie par l’image et une information continue », constate Sébastien Garnero, docteur en psychologie et sexologue clinicien. Selon lui, les utilisateurs « tentent de lutter contre cette anxiété par l’utilisation de ces thématiques dans la pornographie. » Le consommateur passe ainsi d’objet de cette angoisse à sujet et en le mettant en scène fantasmatiquement.

Une analyse que confirme Cathline Smoos, elle aussi sexologue et psychologue. Les consommateurs de ce genre de vidéos sont déjà obnubilés par le thème d’actualité en question : « Il y a une manière de décharger son stress en réutilisant des sujets d’actualité qui peuvent nous effrayer. » Pour elle, ce phénomène est une manière de se réapproprier des événements. « Les gens s’offrent une autre narration de la crise qu’on vivait », dit-elle à propos du « covid porn. »

« Dans la sexualité, on peut être attiré par le danger », continue la sexologue. « Le fantasme de la soumission ou de la domination peut se réaliser dans la chambre à coucher. » Selon elle, le même mécanisme est à l’œuvre pour ce type de contenu pornographique : « C’est comme si on était à l’épreuve de la réalité mais en sécurité. »

Elle lie également ce désir à la jouissance horrifique, le fait de prendre un certain plaisir à regarder des choses horribles, interdites ou controversées. « En général, les médias montrent beaucoup d’images. Ce qui crée une émotion. On reçoit une sorte de jouissance dans l’horreur. Derrière ton écran d’ordinateur, tu peux te laisser aller à ces traits de personnalité un petit peu pervers et regarder des vidéos de plus en plus extrêmes », souligne-t-elle.

L’addict à la pornographie, principal client

Mais pourquoi regarde-t-on ces vidéos ? La curiosité, le hasard ou tout simplement l’algorithme du site peut conduire l’utilisateur à ce genre de contenu, selon Cathline Smoos : « Les données s’échangent entre les sites. L’algorithme peut être rempli de tout ce qui attire ton attention au quotidien sur internet. » Mais pour les deux sexologues, pas de doute. Il y a un lien entre l’addiction à la pornographique et cette manière de se réapproprier les événements.

Cette addiction est liée à celle des écrans car les deux ont recours au même procédé : le scrolling. Selon Sébastien Garnero, « plus on passe de temps devant les écrans, plus on a de chances d’être addict à la pornographie bien que ce ne soit pas la seule condition. » Il pointe un « effet traumatique et une érotisation des images » qui sera « amplifiée par le phénomène de surinformation. »

Bien sûr, l’addict à la pornographie est loin d’être le seul consommateur de ce genre de contenu. Mais la porn addiction sert d’anxiolytique : « Ça part d’une obsession : les pensées de l’addict se focalisent sur le fait d’actualité. Pour apaiser cette angoisse, l’addict aura recours au rituel qu’il connaît et qu’il répète : la masturbation. » Pour Cathline Smoos, « ces personnes cherchent à maintenir un état de tension interne d’excitation… Tout ce qui va sortir de l’ordinaire, ce qui va attiser de l’émotion, aura du succès. »

Sébastien Garnero pointe, lui, un phénomène de saturation quand à la pornographie « classique » : « L’addict a besoin d’avoir recours à d’autres scénarios, parfois extrêmes, dans d’autres thématiques. » Mais le sexologue tempère : « Les gens qui regardent du porno sur la guerre en Ukraine ne sont pas des violeurs en puissance. Ce sont des personnes souvent en souffrance. À la suite de cet acte, ils vont avoir une faible estime d’eux-mêmes. Il peut y avoir une certaine honte. »

L’industrie pornographique à l’œuvre

Le système de fonctionnement de l’industrie pornographique n’est pas non plus étranger à l’apparition de ce type de contenu. « Une grande partie de la pornographie hard est basée sur des fantasmes de soumission, de domination ou de voyeurisme », constate Sébastien Garnero. Une thématique sur laquelle surfe le « war porn », où l’imaginaire de la guerre est développé autour de scènes de « torture, de viol ou de contrainte » et témoigne « d’une forme de fantasme sadomasochiste poussée à l’extrême. »

« Il peut y avoir des personnes qui s’identifient aux agresseurs, d’autres à la personne qui est soumise », continue le sexologue. Mais ces derniers sont minoritaires car « le public est en grande majorité masculin avec des fantasmes voyeurisme ou exhibitionniste. » Il pointe aussi un autre aspect, lié aux catégorisations de la pornographie : « Une forme de fétichisation qui varie en fonction de l’actualité et des tendances. »

Une fétichisation indirecte, d’après Cathline Smoos, car « le fétichisme réel est une fixette obsessionnelle qui s’est construite pendant l’enfance. Les consommateurs qui regardent du 'war porn’ ne regardent pas que ça. » Selon elle, la catégorisation et la sexualisation des femmes de l’est ne sont pas inhérentes à la pornographie. « Les pays de l’est sont très sexualisés dans l’imaginaire. Les femmes d’Ukraine l’ont rapidement été dans la presse. Ce côté j’accueille la petite ukrainienne’, je l’ai même vu chez les gens qui aident », dénonce-t-elle.

Vers un porno plus éthique ?

Ces dérives du porno sont régulièrement dénoncées par Olympe de gouge, que nous avons contactée. Cette réalisatrice et ancienne performeuse pornographique qui produit du contenu alternatif, féministe et éthique, loin des représentations de l’industrie mainstream, estime que l’apparition de vidéos liées à la guerre en Ukraine répond à une logique « purement opportuniste et commerciale. Tout ce qui est opportuniste et commercial, je ne considère pas ça comme éthique. » Pour la réalisatrice, le producteur de porno a une responsabilité dans le contenu qu’il diffuse et sur la manière de le tourner car il fait passer des valeurs.

De manière plus générale, elle critique aussi une industrie qui va jusqu’à changer les titres des vidéos : « Notre image en tant que performeur nous échappe totalement. Le circuit de diffusion est tel que le titre et les hashtags d’une vidéo sont changés. Le référencement est fait sans le consentement des performeurs, parfois des réalisateurs et des producteurs. »

Si utiliser le thème du confinement dans des vidéos pornographiques n’est pas forcément problématique, créer du contenu sur une guerre actuelle, en exploitant l’image des femmes Ukrainiennes, pose de gros problèmes éthiques. La réalisatrice estime qu’il faut aussi avoir « un regard critique sur ce qu’on consomme qui va au-delà des deux minutes qu’on passe devant une vidéo. » Selon elle, la plupart des consommateurs sont « passifs » et n’ont pas de réflexion sur ce qu’ils regardent. « Dès qu’on propose aux gens de réfléchir là-dessus, on entre dans leur intimité. Alors que ce sont des sujets qu’il faut penser », regrette-t-elle. « On manque crucialement d’une éducation à la sexualité et il faudrait une vraie éducation au porno. »

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