"Le pire feu de ma vie": les pompiers intervenus sur l'incendie de la rue Erlanger témoignent de sa "violence extrême"

"Nous avons eu à faire à une intervention hors norme, exceptionnelle, une intervention qui n'arrive qu'une fois dans une carrière. Le sinistre était d'une violence extrême. Il y avait des gens partout aux fenêtres, ça n’arrive jamais." Il est 1h14 ce 5 février 2019 quand le lieutenant-colonel Guesdon arrive au 17 bis rue Erlanger, dans le XVIe arrondissement de Paris. Cela fait 33 minutes que des dizaines de sapeurs-pompiers de Paris luttent contre le feu qui a pris au 2e étage, un incendie qu'une des habitantes, Essia B., a reconnu avoir allumé. Les pompiers ont mis cinq minutes à arriver, après le premier appel au 18.

"Quand je suis arrivé dans cette rue, c'était étonnant parce qu’il ne se passait rien, c’était calme, très calme. Je me suis rendu à l’adresse, le deuxième commandant des opérations de secours était blême", se souvient ce gradé qui a 30 ans de carrière derrière lui.

"Il n’y a rien de visible dans cette rue, pas de fumée, pas de feu", abonde l'adjudant-chef Jérôme, chef de garde du centre de secours Auteuil à l'époque. Le pompier s'interrompt, visiblement ému: "Je ne m’attendais pas à ce que j’allais voir."

"Risques insensés"

Les 312 pompiers mobilisés, dont une centaine pour prendre en charge les victimes, font face à un scénario catastrophe. "En face de moi, j’ai un immeuble où la fumée noire opaque est présente sur la totalité de la façade à partir du 2ème étage, se remémore l'adjudant-chef. Des gens crient, beaucoup de cris."

Pour atteindre le 17 bis de la rue Erlanger, les soldats du feu empruntent un couloir étroit de 18 mètres. "Il fallait faire tout passer par là, les victimes, les échelles, les lances à eau, c'était exceptionnel, exceptionnel, je n'ai jamais connu ça", explique le lieutenant-colonel Guesdon. "La principale difficulté, c’est la voie d’accès", résume-t-il.

"On était dans un impossible opérationnel", poursuit-il.

Impossible d'approcher les véhicules, et donc les grandes échelles, utilisées "dans l'idéal", pour atteindre l'immeuble au fond d'une courette et les habitants. Au delà du 4e étage, les pompiers doivent avoir recours "à une échelle en mode dégradé, un outil archaïque pour certains", selon le lieutenant-colonel Guesdon, les échelles à crochets. "Les hommes sont passés d’étage en étage pour sauver les gens, poursuit le gradé. Les crochets permettent de s’accrocher aux garde-corps. Sinon il y a des pointes pour tenir sur le parapet, les gens ont dû tenir ces crochets pour éviter que les pompiers tombent."

"On a pris des risques insensés, soutient le lieutenant-colonel Guesdon. Ce sont des héros."

De nombreux habitants se sont réfugiés sur le toit de l'immeuble. Les pompiers doivent gravir étage par étage avec ces échelles, sans assistance, avec 19 kilos d'équipement sur le dos. "Il suffit qu’un crochet glisse et c’est la chute, complète l'adjudant-chef Jérôme. Nous sommes aguerris à utiliser ces échelles, mais nous demandons aux gens de descendre sur ces échelles. Le risque était encore plus grand." Dans le box des accusés, Essia B. est en larmes.

"Nous étions vraiment épuisés physiquement avec l’inhalation des fumées, nous étions à bout de force", témoigne encore Aurélien, adjudant à l'époque.

"Mur de flammes"

Pour les soldats du feu, il était également impossible de passer par l'intérieur de l'immeuble pour secourir les habitants, pris aux pièges par ces flammes qui les ont surpris en plein sommeil. "Aucune voie n’était possible. Le brasier était tellement intense, il était impossible de passer à l’intérieur. On ne pouvait pas agir en sécurité, cet immeuble, je le considère comme une souricière, un piège", insiste le lieutenant-colonel Guesdon.

"Quand je rentre dans le bâtiment pour me rendre compte ce qu’il se passe à l’intérieur, au deuxième étage, les équipes combattent ces flammes. On est bloqué. Un mur de flammes nous empêche de progresser", souffle l'adjudant Jérôme.

Les militaires peinent à avancer: "C'est la première fois que je vois des collègues diriger la lance à eau sur d’autres collègues, c’était trop chaud, trop insupportable", se souvient Aurélien. Il est l'un des premiers pompiers à être intervenus sur ce feu.

L'incendie, le plus meurtrier dans la capitale depuis 2005, a surpris ces militaires, même les plus chevronnés. "J’ai un feu au deuxième, j’ai un feu au quatrième et un feu au sixième et dans les communications, poursuit le pompier aux 23 ans de carrière. Toutes les communications, l’escalier, plusieurs appartements, à plusieurs étages, à des distances différents de l’escalier qui sont en flamme. C’est impressionnant et je n’arrive pas à expliquer ce feu."

"Pire feu de ma vie"

Dix personnes sont mortes dans le sinistre, principalement dans les étages élevés. Trois se sont défenestrées. "J'ai vu beaucoup de personnes nous alpaguer, crier au feu, beaucoup. Il y avait beaucoup de personnes suspendues aux corniches, j’ai vu une personne sauter, il y avait des flammes partout", souffle à son tour Aurélien.

"J’ai sorti une personne qui s’est manifestée avec le flash de son téléphone, je tenais la lance dans les mains, il y avait énormément de flammes", poursuit le jeune homme, qui a depuis abandonné le métier. "Dans le même couloir, j'ai aiguillé deux autres personnes qui se sont manifestées, elles sont descendues. J’ai vu deux collègues monter une échelle pour sauver une personne au 3e étage cette personne s’est jetée."

Les proches des victimes ont eux une question: aurait-il été possible d'aller au-delà du nombre de 64 rescapés. "Je m’en veux de ne pas avoir pu sauver tout le monde. Ca a été compliqué à vivre derrière, souffle le lieutenant-colonel Guesdon. Ce n'étais pas possible de sauver tout le monde."

"C’est le pire feu de ma vie. Un pompier, son objectif c’est essayer de sauver tout le monde", concède-t-il encore.

Après cet incendie, un suivi psychologique avait été imposé à tous les sapeurs-pompiers de Paris qui sont intervenus rue Erlanger.

Article original publié sur BFMTV.com