Une photo de Kemi Seba brûlant son passeport français ? Attention à ce montage

Condamné à plusieurs reprises en France pour provocation à la haine raciale et violences en réunion, le militant panafricaniste Kemi Seba est visé par une procédure de déchéance de nationalité, lancée par le ministère de l'Intérieur français. Dans ce contexte, des publications diffusées sur les réseaux sociaux ont prétendu début mars montrer une photo de l'activiste brûlant son passeport français, mais il s'agit d'un montage : les images originales datent d'août 2017 et montrent Kemi Seba brûlant en réalité un billet de 5.000 francs CFA au Sénégal. Le 16 mars dernier, le militant a toutefois bien incendié un passeport français lors d'un meeting, assurant qu'il s'agissait du sien.

Sur l'image relayée sur les réseaux sociaux, on reconnaît le visage du militant panafricaniste franco-béninois controversé Kemi Seba, ex-leader d'un groupuscule dissout par le gouvernement français en 2006 (lien archivé ici).

Dans sa main droite, un briquet rose est allumé, flamme tournée vers un passeport français qu'il tiendrait dans sa main gauche. "Union européenne République française", peut-on lire sur le document administratif de couleur bordeaux.

Ce visuel a été diffusé plus de 2.000 fois sur Facebook, X, TikTok et Instagram depuis le 4 mars 2024, souvent accompagné d'une citation attribuée à Kemi Seba : "Vous êtes t0mbé sur le mauvais n0ir ! Je ne laisserai personne m'arracher ma nationalité française (sic)" (1,2,3,4,5...) Ceci dans un contexte où l'activiste est visé par une procédure de déchéance de nationalité en France (lien archivé ici).

<span>Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur TikTok (à droite) le 27 mars 2024</span>
Captures d'écran prises sur Facebook (à gauche) et sur TikTok (à droite) le 27 mars 2024

Les pages  qui relaient cette image sont principalement administrées depuis la Côte d'Ivoire. En commentaire, certains internautes saluent le geste de Kemi Seba, tandis que d'autres mettent en garde contre un probable falsification :

<span>Capture d'écran prise sur Facebook le 27 mars 2024</span>
Capture d'écran prise sur Facebook le 27 mars 2024

Ce visuel a en effet fait l'objet d'un montage : en réalité, les images originales datent d'août 2017, et montre Kemi Seba brûlant un billet de 5.000 francs CFA au Sénégal. L'activiste a cependant bel et bien publié le 16 mars 2024, sur son compte X, une vidéo dans laquelle il met feu à un passeport français à l'aide d'un briquet.

Un photomontage

Plusieurs indices visuels nous mettent sur la piste d'une altération de l'image diffusée sur les réseaux sociaux.

En l'observant de près, le majeur de la main gauche semble flou, par rapport aux lignes qui définissent les contours du passeport (encadré en bleu et rouge ci-dessous).

La forme du bas de la main et du poignet gauche semble également disproportionnée par rapport au reste de l'image (encadrée en jaune) :

<span>Capture d'écran prise sur Facebook le 27 mars 2024 / Encadrés ajoutés par la rédaction de l'AFP</span>
Capture d'écran prise sur Facebook le 27 mars 2024 / Encadrés ajoutés par la rédaction de l'AFP

Pour retrouver les images originales, nous avons effectué une recherche d'image inversée à l'aide de l'outil de Google Lens, qui nous a conduit à une vidéo publiée sur le compte Facebook de Kemi Seba - suivi par 1,3 millions d'abonnés - le 19 août 2017 (lien archivé ici).

<span>Captures d'écran prises sur Facebook le 28 mars 2024 </span>
Captures d'écran prises sur Facebook le 28 mars 2024

"Kemi Seba brule un billet de Franc CFA sur la place publique et attaque la soumission des dirigeants africains, écrit-il en légende de la vidéo.

Dans cet extrait d'une durée de 2', le militant s'adresse à une petite assemblée, avant de brûler un billet de 5.000 francs CFA avec un briquet (à partir de 1'27). "Voilà ce que je pense de cette monnaie", introduit-il.

Au début de la vidéo, un visuel nous apprend qu'il s'agit d'une "mobilisation contre la françafrique" organisée à Dakar le 19 août, place de l'obélisque.

 

A la suite de cet événement, l'activiste anti-franc CFA devait comparaître avec un coaccusé pour "destruction d'un billet de banque", "après avoir brûlé 5.000 francs CFA pendant une manifestation contre la "Françafrique" le 19 août 2017 à Dakar. Il avait été relaxé en première instance mais le parquet avait fait appel", apprend-on dans une dépêche de l'AFP (lien archivé ici).

Juste après son premier procès, le gouvernement sénégalais l'avait expulsé vers la France pour "menace grave pour l'ordre public", lui reprochant notamment des "propos désobligeants" contre "des chefs d'Etat et dirigeants africains".

Kemi Seba brûle son passeport français

En revanche, le 16 mars 2024, Kemi Seba a effectivement publié une vidéo sur son compte X dans laquelle il affirme avoir brûlé son passeport français (lien archivé ici). Soit douze jours après la publication du photomontage sur les réseaux sociaux.

"Kemi Seba brûle son passeport français en live à Paris et s’adresse au gouvernement Macron: “Votre passeport, ce n’est pas un os que vous nous donnez ou nous retirez en fonction de notre degré de soumission vis à vis de vous, comme si les Noirs étaient des chiens. Je suis un homme Noir libre. Je suis un Africain libre. Je suis un Béninois libre”", écrit-il en légende.

 

Sur ces images, tournées lors d'une conférence de presse à Fleury-Mérogis qui avait d'abord été interdite par un arrêté préfectoral, on voit l'activiste mettre le feu à un passeport devant une foule en liesse. L'AFP n'a toutefois pas été en mesure d'affirmer qu'il s'agit bien d'un document authentique.

Au micro de l'émission française Quotidien, dont plusieurs journalistes étaient sur place ce jour-là, Kemi Seba a reconnu avoir perçu de l'agent de Wagner comme "du gouvernement iranien". "Les russes ne sont pas nos patrons et ne le seront jamais", poursuit-il, affirmant avoir été "plus soutenu par le Hezbollah que par Wagner".

Condamné à plusieurs reprises en France pour provocation à la haine raciale et violences en réunion, Kemi Seba, de son vrai nom Stellio Capo Chichi, fait l'objet d'une procédure de déchéance de nationalité, annoncée par le militant lui-même et confirmée à l'AFP de source proche du dossier (lien archivé ici).

Pourfendeur du "néo-colonialisme" des puissances occidentales en Afrique, Kemi Seba est l'ex-leader de la Tribu Ka, groupuscule qui revendiquait son antisémitisme et prônait la séparation entre Noirs et Blancs, dissout par le gouvernement français en 2006.

Ces dernières années, M. Seba a organisé ou participé à plusieurs manifestations hostiles au franc CFA en Afrique et a été régulièrement interpellé, expulsé ou refoulé notamment de Côte d’Ivoire, du Sénégal et de Guinée.