"Je pense que mon frère est vivant": Christine Dupont de Ligonnès livre sa thèse controversée sur l'affaire
Treize ans, c'est le temps qu'il lui a fallu pour "absorber le choc de l'affaire". Puis, pour "aller au fond des choses en reprenant le dossier presque dans ses moindres détails". Mais Christine Dupont de Ligonnès a "toujours eu" - dit-elle - la conviction que son frère Xavier était innocent des assassinats qu'il est soupçonné d'avoir commis.
Pour donner sa version des faits, elle a écrit avec son mari Bertram de Verdun un livre, Xavier, mon frère présumé innocent, paru le 13 mars aux éditions Harper Collins. Et sa vision - qu'elle détaille ce lundi soir sur BFMTV - diffère largement de ce qu'elle appelle la version "officielle", qui est celle qui se dégage de l'enquête et des preuves récoltées lors de celle-ci.
La théorie de l'exfiltration
Son frère a disparu en avril 2011. Il est recherché depuis, soupçonné d'avoir tué sa femme Agnès et leurs quatre enfants avant d'enterrer leurs corps sous la terrasse de leur maison familiale.
Les dépouilles d'Agnès et d'Arthur, Thomas, Anne et Benoît ont été retrouvées le 21 avril. La dernière trace de Xavier Dupont de Ligonnès remonte quant à elle au 15 avril 2011: il s'agit d'une image, capturée par une caméra de vidéo-surveillance, le montrant en train de quitter à pied un hôtel à Roquebrune-sur-Argens, dans le Var, y laissant sa voiture. Nul ne sait s'il est mort ou toujours en fuite.
Mais pour Christine Dupont de Ligonnès, aucun membre de la famille n'a été assassiné. D'après elle, son frère a été exfiltré avec sa famille aux États-Unis, pays pour lequel il travaillait en secret.
Une théorie qui vient d'une lettre envoyée par Xavier Dupont de Ligonnès quelques jours après le crime à plusieurs proches: il y affirme que sa famille et lui doivent partir aux États-Unis sous une nouvelle identité secrète car il est devenu un "témoin essentiel dans un futur procès impliquant des hauts responsables du trafic de drogue international" et que leur situation est "dangereuse".
"Je pense que mon frère est vivant quelque part avec Agnès et les enfants", déclare Christine à BFMTV.
Une "mise en scène" pour Bertram et Christine
Pourtant, des autopsies ont été menées sur les corps des personnes retrouvées sur la terrasse et les membres de la famille Dupont de Ligonnès formellement identifiés. "Si c’est effectivement une exfiltration, ça ne me paraît absolument pas contradictoire et bien au contraire, ça me paraît logique que tout a été organisé pour que l’ADN des corps corresponde avec celui des prétendues victimes", estime Bertram de Verdun, l'époux de Christine.
En 2013 déjà, Brigitte Lamy, alors procureure de la République de Nantes, soulignait le manque de "crédibilité" de ces assertions.
"Les recherches ADN ont été faites sur les corps, on a bien établi que c'étaient les corps de la famille", affirmait la magistrate chargée du dossier.
De nombreux éléments de l’enquête pointent aujourd'hui vers une culpabilité du père, comme les multiples achats effectués par Xavier les semaines précédant la disparition de la famille (un silencieux et des munitions pour une carabine récemment récupérée, de la chaux sous laquelle les corps seront retrouvés, des outils…).
Il a aussi été aperçu, seul, à plusieurs reprises après la date présumée du crime, ce que Bertram de Verdun perçoit comme une "mise en scène".
L'avocat dénonce des problèmes de procédure
L'avocat de Christine Dupont de Ligonnès se montre plus mesuré sur la thèse de l'exfiltration, à laquelle il a déclaré ne "pas croire" sur le podcast de BFMTV Le Titre à la une. "Je suis dans l’incapacité d’expliquer à mes clients que leur position est fausse car je suis dans l’incapacité de leur donner la vérité", affirme Stéphane Goldenstein. "Je ne dis pas qu’ils ont raison, mais je suis dans l’incapacité de leur dire qu’ils ont tort".
Il a également pointé des soucis de procédure dans ce dossier. "Le seul problème c’est que l’enquête a démarré au super ralenti", déplore Me Goldenstein, alors que les enquêteurs ont eu connaissance de l'intrigante lettre d'au revoir de Xavier Dupont de Ligonnès dès le 12 avril selon lui. "Si le 12-13 il y avait eu des véritables recherches, il aurait été interpellé Xavier Dupont de Ligonnès, et aujourd’hui on ne serait pas là à en discuter", estime-t-il.
Il pointe aussi le fait que les corps n’ont été découverts que le 21 avril sous la terrasse, alors que Dupont de Ligonnès mentionne spécifiquement cette partie de la maison dans sa lettre. "Ps: inutile de s’occuper du portique et de la pirogue qui resteront là (ni des gravats et autres bazars entassés sous la terrasse, au fond du jardin et dans la cave: c’était là quand nous sommes arrivés ici.)", a écrit le suspect dans cette lettre datée du 8 avril.
Un "groupe de prière" accusé de dérives sectaires
Christine Dupont de Ligonnès est aussi revenue auprès de BFMTV sur les soupçons de dérives sectaires entourant sa famille et ses proches. En 2011, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alertait sur un groupe de prière fondé et alors tenu par la mère de Xavier et de Christine Dupont de Ligonnès, Geneviève. Ce groupe, baptisé Philadelphie, était de "type sectaire", estimait alors la Miviludes.
Son président, Georges Fenech, avait décrit auprès de RMC-BFMTV "les ingrédients d'un message extrêmement anxiogène": "un leader charismatique qui reçoit des messages divins", "quelques exigences financières" en contrepartie et "des réunions fermées attendant l'apocalypse, disant qu'un roi doit arriver prochainement sur terre ou qu'une femme est enceinte de Satan par exemple".
En septembre 2019, la Miviludes avait fait un signalement auprès du parquet de Versailles à propos d'une famille semblant sous emprise du groupe Philadelphie, contrainte de vendre son pavillon. L’enquête pour abus de faiblesse ouverte alors a été classée sans suite pour "infraction insuffisamment caractérisée", a annoncé le parquet de Versailles en janvier 2023.
"Il n’y a jamais eu de groupe de prière", répond aujourd'hui Christine Dupont de Ligonnès. "Ma mère, effectivement, est ce qu’on appelle dans le langage catholique une âme privilégiée." Elle dit recevoir des messages de Dieu. "Elle a juste quelques amis qui se sont rapprochés d’elle quand ils l’ont su, mais vraiment par le bouche-à-oreille, elle-même ne s’est jamais fait de publicité", assure-t-elle à BFMTV. Elle rejette notamment toute notion d'"organisation" que sous-tend le concept de secte.
Dans l'affaire Dupont de Ligonnès, le procureur de la République de Nantes Xavier Ronsin affirmait déjà en mai 2011 qu'"aucune preuve d'un embrigadement sectaire récent ou éloigné" de Xavier n'avait pu être recueillie.
"Je tiens à le saluer"
Depuis les derniers signes de vie de Xavier Dupont de Ligonnès, impossible de savoir s’il est toujours en fuite ou s’il est mort. "Si je croyais mon frère coupable d’avoir tué toute sa famille dans un moment de désespoir, pour moi, soit il se supprime derrière, soit il a une prise de conscience et il se dénonce lui-même parce que je connais son caractère, c’est quelqu’un qui ne sait pas garder longtemps un problème sur la conscience", affirme Christine à BFMTV.
Sa conviction reste toutefois qu’il est vivant. "Peut-être que oui, inconsciemment, j’attends un signe. Peut-être que j’ai un grand espoir de recevoir un signe de vie un jour", explique-t-elle. Que dirait-elle donc à son frère s’il pouvait l’entendre? "Je le remercie beaucoup de nous avoir adressé cette lettre et d’avoir cru en nous. Je tiens à le saluer, ainsi qu’Agnès et les enfants, bien sûr."
La famille d'Agnès Dupont de Ligonnès a quant à elle pris ses distances. Dans un communiqué transmis à BFMTV, elle "entend, en raison de l'ampleur médiatique actuelle, simplement formuler les plus expresses réserves sur les déclarations de Christine de Ligonnès et de son époux, notamment dans la mesure où l’information judiciaire est toujours en cours".
Quant aux policiers et enquêteurs très clairement visés dans les allégations de la sœur de Xavier Dupont de Ligonnès, ils voient d’un très mauvais œil la sortie de cet ouvrage et surtout son contenu, a appris BFMTV auprès de sources concordantes.