"Patientes paniquées", promesse "mensongère"... les échographies de "plaisir", une pratique illégale qui a pignon sur rue

Une échographie dès 16, 14 ou même 12 semaines de grossesse pour une détermination du sexe "garantie à 100%". Une autre en 3D ou 4D pour "découvrir à votre rythme votre bébé" dans un moment "unique" de "bonheur et de partage". C'est ce que promettent des sociétés privées qui proposent des échographies fœtales dites de "plaisir" ou de "confort".

La pratique n'est pas nouvelle. En 2012, le gouvernement avait saisi la Haute Autorité de santé (HAS) qui avait déjà dénoncé ces échographies à visée non médicale. Mais plus de dix ans plus tard, des cabinets qui les proposent ont toujours pignon sur rue. La sénatrice du Nord Marie-Claude Lermytte a d'ailleurs adressé fin octobre une question au ministre de la Santé sur la légalité de ces échographies.

Certains cabinets de gynécologues proposent ce type d'échographies, en plus des trois recommandées à chaque trimestre de la grossesse pour suivre le développement du fœtus. Les sociétés proposant ces "échographies de plaisir" précisent, elles, que les échographies réalisées sont non médicales et sans visée diagnostique. Le personnel est "formé par des spécialistes", indique par exemple laconiquement l'une d'entre elles sur son site internet. Les échographies sont donc réalisées par des personnes qui ne sont ni médecin, ni sage-femme. Problème: c'est interdit.

L'exercice illégal du métier de sage-femme?

BFMTV.com a contacté plusieurs de ces sociétés qui proposent des échographies "plaisir", "bonheur" ou "affective" en se présentant comme une femme enceinte intéressée par ce type de services. À la question: un médecin est-il présent? On nous répond: "Non". Qui pratique l'échographie? "Moi, pas une sage-femme". Mais on nous rassure immédiatement:

"Ça fait dix-sept ans que je fais ça".

"C'est de l'exercice illégal du métier de médecin et de sage-femme", dénonce pour BFMTV.com Sandrine Brame, vice-présidente du conseil national de l'Ordre des sages-femmes. Un délit punit de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende.

Un arrêté de 2018 sur les modalités de prise en charge des femmes enceintes précise en effet que seuls les médecins et les sages-femmes peuvent réaliser des échographies obstétricales et fœtales. De plus, un décret de 2017 relatif à la restriction de la vente, revente ou de l'utilisation des échographes destinés à l'imagerie fœtale humaine indique que "l'utilisation d'échographes pour de l'imagerie fœtale humaine par des personnes physiques n'exerçant pas la profession de médecin ou de sage-femme est interdite".

"C'est un acte médical"

Philippe Courtois, avocat spécialisé en droit médical, n'a aucun doute sur l'irrégularité de ces échographies. "C'est totalement illégal", abonde-t-il pour BFMTV.com. "Même en précisant que c'est une échographie à visée non médicale."

"À partir du moment où on donne à voir les parties du corps du bébé et qu'en plus le sexe est révélé, c'est un acte médical", ajoute-t-il.

Des courriers de mises en demeure ont ainsi été envoyés par le conseil national de l'Ordre à plusieurs sociétés. L'une d'entre elles a depuis fermé boutique.

Philippe Courtois s'inquiète par ailleurs de la potentielle mise en danger de ces femmes enceintes. "Dans quelle mesure, puisqu'elles ont vu l'enfant et qu'il semblait aller bien, pourraient-elles renoncer à consulter leur médecin et à pratiquer les échographies prévues dans le cadre du suivi de grossesse?" Quant à la précision sur le personnel "formé par des spécialistes", pour ce professionnel du droit de la santé, elle ne vaut rien. "Un spécialiste, ça peut tout à fait être le revendeur du matériel."

"J'ai déjà reçu des patientes paniquées"

C'est pour cela que Sandrine Brame, de l'Ordre des sages-femmes, met en garde les femmes enceintes qui seraient tentées de se tourner vers ces offres. "En tant que professionnels de la santé, nous sommes formés aux mots que nous utilisons. Souvent, pendant une échographie, on parle peu. On est concentré et on fait attention à la fois à ce qu'on fait et à ce qu'on dit."

Elle s'interroge ainsi sur les éventuels dégâts qu'une remarque pourrait causer auprès de parents qui ont parfois tendance à surinterpréter. "On peut tout à fait imaginer qu'une personne non formée pourrait dire que le bébé est 'gros' ou qu'il n'y a 'pas beaucoup de liquide amniotique', des mots qui peuvent immédiatement susciter des inquiétudes."

C'est exactement ce qui s'est produit dans le cabinet de Philippe Bouhanna, médecin, spécialisé en échographie fœtale et en médecine fœtale, et président de la commission échographie du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).

"J'ai déjà reçu des patientes paniquées après avoir réalisé ce type d'échographie", assure-t-il à BFMTV.com.

Certaines, dont le rendu 3D ou 4D n'était pas optimal, craignaient véritablement que la tête de leur bébé ne soit déformée. "Si, au moment de l'échographie, la main du fœtus se trouve devant le nez, cela crée un cône d'ombre, comme un trou noir. C'est ce qu'on appelle des faux positifs. Je suis habilité à les détecter, pas ces personnes."

Une promesse "mensongère"

Autre situation qui s'est déjà présentée dans son cabinet: l'annonce d'une anomalie par le médecin lors d'une des trois échographies officielles prévues dans le cadre du suivi de grossesse. "La patiente m'a répondu que pourtant, lors de cette échographie plaisir, l'image était super belle, que tout allait bien", se souvient Philippe Bouhanna.

"Je vous laisse imaginer l'impact psychologique sur une femme à qui on annonce une mauvaise nouvelle après avoir vu le visage de son bébé."

D'autant que, selon ce spécialiste, la promesse d'une détermination du sexe dès 12 semaines de grossesse est "mensongère". "Quoi qu'il arrive et quoi qu'on fasse, le sexe du bébé n'est visible qu'à 15 semaines d'aménorrhée (soit 13 semaines de grossesse, NDLR). Pas avant."

"À 12 SA, il y a 10% d'erreur."

S'il remarque que peu de ses patientes ont recours à ce type de service, ce médecin, spécialisé en échographie fœtale s'inquiète tout de même des éventuels risques et conséquences de ces échographies qu'il qualifie de "spectacle".

Les "réserves" de l'Académie de médecine

Dès 2004, l'Académie nationale de médecine émettait des "réserves" à l'égard de ces échographies fœtales à visée non médicale. "S'il est admis que les examens échographiques faits au cours de la grossesse, à titre médical, n'ont entraîné à ce jour aucune complication décelable et ne semblent comporter aucun effet biologique néfaste, il n'en reste pas moins que persiste un risque potentiel, toute onde acoustique ultrasonore ayant des effets biologiques sur les tissus", écrivait l'académie qui recommande de limiter les échographies aux strictes nécessités médicales.

Saisie sur le sujet, la HAS estimait en 2012 que les échographies fœtales ne devaient être réalisées que dans un but médical. Et rappelait que ces examens ne pouvaient être pratiquées que par "les médecins spécialistes en gynécologie-obstétrique ou en imagerie médicale et les sages-femmes (...) titulaires du diplôme interuniversitaire d'échographie en gynécologie-obstétrique ou de l'attestation en échographie obstétricale".

Malgré cet avis, des sociétés proposent toujours, plus de dix ans après, ce type de services. S'il est difficile d'estimer leur nombre sur le territoire, elles sont facilement identifiables, notamment sur les réseaux sociaux.

La HAS évoquait "l'absence de données confirmant ou infirmant un risque lié à l'exposition aux ultrasons lors d'une échographie fœtale". Pour Philippe Bouhanna, du CNGOF, les ultrasons génèrent bel et bien des modifications thermiques et mécaniques. "Comme des vibrations", explique-t-il.

"En médecine, il y a un principe, c'est celui de précaution. Si une échographie ne présente aucun intérêt médical, que ce soit pour la mère ou le fœtus, c'est non."

Et alors que certains de ces centres proposent "dix à quinze minutes d'ultrasons", d'autres garantissent jusqu'à vingt minutes. Beaucoup trop, estime Philippe Bouhanna.

Des risques "minimes" mais "potentiels"

Ce médecin rappelle que dans le cadre d'une échographie classique réalisée par un médecin ou une sage-femme, l'examen répond à un "cahier des charges". "On balaie le cœur, la vessie, le cerveau, on ne reste jamais longtemps sur une structure." Contrairement à ces "échographies spectacle".

"On veut montrer le sexe et le visage. On va donc passer beaucoup de temps, presque vingt minutes, sur une seule zone; en l'occurrence les organes génitaux et le cerveau. Ce n'est pas anodin."

En plus de pointer l'absence de contrôle médical de ces échographies réalisées par des personnes "sans qualification particulière", l'Académie nationale de médecine déplorait l'absence de limitation de durée et de répétitions.

Car certaines sociétés proposent en effet des tarifs dégressifs: l'une annonce 60 euros la séance, ou 110 euros les deux. "Une échographie sur la tête pour découvrir le visage, ce sont des ultrasons qui passent sur un cerveau en cours de développement", explique le médecin Philippe Bouhanna. "Autant éviter de bombarder d'ultrasons le cerveau d'un fœtus." Des risques qu'il juge "minimes" mais "potentiels".

"On ne peut pas jouer avec ça."

Contacté par BFMTV.com, le ministère de la Santé n'a pas répondu.

Article original publié sur BFMTV.com