« Palestinienne en France, j’ai peur tous les jours pour la vie de ma famille à Gaza » - Témoignage

Houda est née en Palestine et étudie en France. Elle témoigne de sa peur permanente pour sa famille restée à Gaza, et partage ce qu’elle sait de leur quotidien.

TÉMOIGNAGE - Je suis née en 2000 en Palestine, d’une mère algérienne et d’un père palestinien. Mes parents se sont rencontrés en Algérie, où mon père a fait ses études, puis ils se sont installés à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, où j’ai vécu les dix premières années de ma vie. Pour moi, comme pour les autres Palestiniens, le mot « enfance » n’existait pas. Je n’ai jamais eu l’occasion de ressentir la légèreté de cette période.

J’ai grandi en entendant des bombardements et le bruit des avions militaires. On m’a appris très jeune à être prête à perdre ma maison, quelqu’un de ma famille ou ma propre vie. Même sortir dans la rue était compliqué : ma mère avait très peur qu’il nous arrive quelque chose et nous ne nous sentions pas en sécurité à l’extérieur. Notre seule échappatoire, c’était l’école. On avait le sentiment d’être bloqués dans une vie qui n’était pas « normale », mais dont nous ne pouvions pas partir.

Je n’ai pas le souvenir qu’on m’ait vraiment expliqué la situation du pays. Il n’y en avait pas besoin, c’était un état de fait que je constatais depuis ma naissance. Je voyais des bombardements, les coupures d’électricité régulières et les devoirs à la bougie. Un jour, une balle a traversé la fenêtre de la chambre de ma mère. On parlait très clairement de la guerre, il n’était pas possible de cacher la réalité.

Notre refuge, c’était notre famille. Mon grand-père possédait un bâtiment où vivaient tous ses enfants et leurs familles, la famille de son frère en avait un juste à côté. J’y retrouvais mes cousins, mes oncles et tantes, mes grands-parents, pour des moments heureux.

J’avais 8 ans quand la guerre de Gaza de 2008-2009 a commencé. J’étais à l’école primaire et pendant un examen, les bombardements sont devenus tout proches. Le devoir a été arrêté en plein milieu et les enseignants nous ont demandé de rentrer chez nous au plus vite pour nous mettre à l’abri. C’était la première fois que j’étais toute seule, sans mes parents et ma famille pendant un bombardement, et ma peur ce jour-là m’a beaucoup marquée.

Après cette période de guerre, ma mère a décidé de quitter la Palestine. Ressortir de la bande de Gaza a été très long et fastidieux. Sans aéroport sur place, il fallait passer la frontière Égyptienne pour espérer accéder à un vol. Pour cela, je me souviens que nous avons dû faire des dossiers administratifs à l’issue incertaine, des allers-retours réguliers à la frontière. Après un an, nous avons enfin pu prendre un avion vers le pays natal de ma mère.

Quand nous avons atterri, nous avons ressenti un soulagement immédiat, celui de savoir que nous n’étions pas en danger. Ensuite, nous avons appris à vivre autrement : à passer du temps dehors, aller au parc sans avoir d’angoisses, sans bruits d’avions. Mais la peur reste et, aujourd’hui encore, quand j’entends un éclair, je me retrouve pendant quelques secondes en Palestine, à côté des bombes.

Après un an en Algérie, mes parents se sont séparés. Ma mère refusait de retourner en Palestine par peur du danger, mais mon père souffrait d’être loin de son pays. Il est reparti vers Khan Younès avec ma grande sœur tandis que ma mère, mon petit frère, ma petite sœur et moi sommes restés en Algérie encore trois ans, avant de rejoindre la famille de ma mère en France.

Je pensais que la situation en Palestine resterait probablement similaire à celle que nous avions connue : un contexte très difficile avec des moments de galère et des phases de guerre plus intenses qui s’étalent sur un mois ou deux, puis s’arrêtent. Nous avions peur pour nos proches, évidemment, mais on se rassurait comme on pouvait en se disant « il n’y a aucune raison que notre famille soit touchée. »

Nous n’aurions jamais pu imaginer ce qui s’est produit après le 7 octobre. Les bombardements en continu depuis neuf mois, les papiers que reçoit ma famille pour les prévenir que leur quartier va être bombardé, la vie sans eau, sans électricité. Sans toit non plus, parce que la rue entière où j’ai grandi a été bombardée. Notre maison n’a plus de murs, plus de plafond, plus rien.

Depuis le mois d’octobre, ma famille et moi vivons dans la peur permanente. Je n’ai pas vu ma sœur depuis 13 ans et tous les jours, j’ai peur à chaque notification sur mon téléphone. Peur de recevoir un appel qui m’annonce sa mort, celle de sa fille, ma nièce, que je n’ai jamais rencontrée, ou celle de mon père.

Les nouvelles qui nous arrivent de Palestine sont irrégulières, parfois, on peut ne pas en avoir pendant deux semaines. Quand Khan Younès a été bombardée, ma famille s’est réfugiée dans une maison vide plus au sud. Mais ils ont dû quitter ce lieu et n’ont nulle part où aller, alors ils ont décidé de retourner dans leur maison qui n’en est même plus une puisqu’il n’y a plus rien.

Quand j’arrive à parler avec mon père, il n’aime pas montrer sa vulnérabilité. Il prend surtout de nos nouvelles, et évite de parler de la situation à Gaza. Ma sœur est plus transparente : elle me dit qu’elle n’en peut plus, qu’elle est épuisée et que c’est très dur. Elle était enceinte quand la guerre a commencé, et elle a perdu son bébé depuis à cause des conditions de vie catastrophiques. Quand il n’y a pas Internet, son mari se déplace pour trouver des endroits où il reste une connexion pour nous envoyer des messages très courts. « On est en vie, pour l’instant, ça va. » Je sais que tout le monde dans ma famille a dû couper ses cheveux car il y a beaucoup de problèmes d’hygiènes, de poux, que tout le monde a peur de mourir de la famine s’ils ne meurent pas dans les bombardements.

Tous les jours, matin et soir, j’ouvre un canal de messagerie tenu par un journaliste palestinien qui répertorie les décès. Je cherche mon nom de famille, pour voir si quelqu’un est dans la liste, et le nom de ma rue.

Depuis des mois, je me sens impuissante. Je ne peux pas manifester ou me mobiliser en France : j’ai peur qu’on me retire mon titre de séjour, de perdre mon travail, mes études, et toute ma vie ici. Avec mon salaire, j’essaie de faire des virements à ma famille pour qu’ils puissent manger mais ils mettent parfois plus d’un mois à arriver, et le coût du moindre kilo de farine est devenu tellement élevé que ce que j’ai ne suffit pas. Et j’ai beau travailler, comment trouver la somme nécessaire à faire passer mon père, ma sœur, son mari et leur fille ? Le passage de la frontière coûte environ 5 000 € par personne.

J’ai l’impression que la mort de civils à Gaza est banalisée et que les gens ont plus d’empathie devant des vidéos d’animaux qui souffrent que devant les images des enfants victimes de la guerre. Je ne comprends pas le silence dans lequel ce monde vit. Pourquoi est-ce que chaque personne ne se dit pas « Et si c’était moi, ma sœur, ou mon père qui était là-bas ? »

Devant mon anxiété qui s’aggrave, des amies m’ont proposé de créer une cagnotte pour ma famille, et je me suis dit « Pourquoi pas ? ». Je sais qu’il est difficile de réaliser ce qui se passe sur place quand on ne l’a jamais vécu. Mais pour toutes celles et ceux qui ont perdu un enfant, un proche, celles et ceux qui ont travaillé toute une vie pour construire une maison perdue en un bombardement, l’enfer est réel. Et pour changer les choses et aider ma famille, et tous les Palestiniens, chaque voix compte.

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