Opération Wuambushu : qu’est-ce que la CRS-8, envoyée à Mayotte ?

Des policiers de la CRS-8 avaient été envoyés à Rennes en mars 2023 pour intervenir lors des manifestations liées à la réforme des retraites et juguler les violences urbaines.
Des policiers de la CRS-8 avaient été envoyés à Rennes en mars 2023 pour intervenir lors des manifestations liées à la réforme des retraites et juguler les violences urbaines.

POLICE - Elle n’a pas été envoyée à Mayotte pour faire dans la dentelle. Pour son baptême du feu dans les Outre-Mer, la CRS-8, unité de la police nationale spécialisée dans le maintien de l’ordre et les violences urbaines, a fait usage de pas moins de 650 grenades lacrymogènes, 85 grenades de désencerclement et 650 tirs de lanceurs de balles de défense (LBD), ce dimanche 23 avril, au premier jour de l’opération anti-migrants Wuambushu, rapporte Le Monde.

Munis de lance-grenades Cougar et de pistolets automatiques, ces « CRS 2.0 » sont davantage habitués aux cités à problèmes et aux manifestations violentes. Ils évoluent désormais dans la « jungle » mahoraise, ses chemins bourbeux et escarpés, sa chaleur étouffante. En lieu et place des « black blocs » ou autres trafiquants de drogue, ils ont affaire à des centaines d’immigrés clandestins, le plus souvent Comoriens, prêts à en découdre pour conserver leurs bidonvilles et éviter l’expulsion vers leur pays d’origine, malgré leur extrême précarité.

Sur l’archipel de Mayotte, quelque 1 800 gendarmes et policiers ont été mobilisés pour, selon le ministère de l’Intérieur, déloger les migrants illégaux du département français et juguler la délinquance, le racket des habitants et les attaques contre les forces de l’ordre. « On est sur une opération de reconquête du terrain, sur un terrain qu’ils connaissent et pas nous », a déclaré ce dimanche à l’Agence France-presse (AFP) le commandant divisionnaire Jean-Louis Sanchet, un ancien des commandos de la marine nationale aujourd’hui responsable de la quarantaine de fonctionnaires de la CRS-8 envoyée sur place.

« C’est un peu comme dire “attention j’ai un dobermann !” »

Installée en 2021 par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, la CRS (Compagnie républicaine de sécurité)-8 a été créée pour être mobilisable 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et déployée en moins de 15 minutes dans un rayon de 300 km. Ses 200 membres sont spécialement formés à la lutte contre les violences urbaines et les manifestations violentes, notamment dans les villes moyennes. « Sauf exception, l’unité n’a pas vocation à rester sur une zone d’intervention plus de quelques jours », précisait le ministre l’Intérieur à sa création.

Pour Patrick Bruneteaux, chercheur en sociologie politique au CNRS spécialisé dans le maintien de l’ordre, la raison de l’existence de la CRS-8 est avant tout politique. « Le but de ces unités “d’élites”, ce n’est pas de maintenir l’ordre − les CRS “classiques” le font déjà très bien − c’est d’aller à la castagne et de réprimer la contestation sociale », juge-t-il auprès du HuffPost. « À travers leurs méthodes d’interventions et cette logique de l’affrontement, le ministre de l’Intérieur n’a qu’un objectif : faire peur et décourager les manifestants. C’est un peu comme dire “attention, j’ai un dobermann” », illustre-t-il.

« Une sorte de commando des CRS »

Au mois de mars, la CRS-8 avait été envoyée à Rennes après plusieurs nuits de heurts liés à la réforme des retraites. Ses membres, qui « se déploient de façon hypermobile pour contourner et déborder l’adversaire, aller au contact et interpeller », selon un des cadres de la compagnie au Figaro, s’étaient alors illustrés par leurs méthodes musclées.

Dans une vidéo filmée et publiée sur Instagram par la photojournaliste Anna Margueritat, l’un de ses membres menace manifestants et journalistes en les visant avec son lance-grenade à bout portant. Une pratique proscrite par la doctrine du maintien de l’ordre. À la suite de cet incident, Frédéric Mathieu, député Insoumis d’Ille-et-Vilaine, avait écrit au ministre de l’Intérieur pour réclamer « l’arrêt du déploiement de la CRS-8 à Rennes » et son remplacement par « des unités qui ne se comportent pas comme des commandos en terrain ennemi ».

C’est pourtant bien l’objectif du premier flic de France, selon Patrick Bruneteaux. « En nommant Jean-Louis Sanchet, quelqu’un qui vient des forces spéciales, à la tête des CRS-8, Gérald Darmanin créé effectivement une sorte de “commando” des CRS. Il fait une grosse erreur de cadrage dans le fonctionnement démocratique », dénonce le sociologue, selon qui l’armée et les forces de l’ordre, doivent rester séparées.

Un message « désastreux » envoyé à Mayotte

En envoyant la CRS-8 sur un terrain aussi sensible que Mayotte, le gouvernement envoie donc un message très politique. Mais celui-ci est « désastreux », juge Patrick Bruneteaux, qui craint l’escalade. Ses craintes ne sont pas infondées : selon plusieurs témoignages recueillis par Le Monde, certains de ses membres ont tiré à balles réelles au sol pour faire fuir des opposants lors de leur première journée d’intervention à Tsoundzou. Une pratique qui, elle aussi, « sort du cadre du maintien de l’ordre », pour le spécialiste du CNRS.

Le chercheur – qui est aussi expert du néocolonialisme, notamment aux Antilles, et co-auteur de Les Métropolitains en Martinique, une migration de confort (Éditions K) – juge que l’opération Wuambushu est « une caricature de l’impérialisme à la française » : « Les Nations Unies (ONU) ont toujours refusé le découpage de l’archipel comorien et la France a été condamnée par de multiples résolutions pour cela, rappelle-t-il. C’est l’État français qui a séparé les Comoriens de leurs familles et qui les poussent à risquer leur vie pour venir à Mayotte ».

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