Un nouvel engin militaire prochainement déployé au Burkina Faso ? C'est faux

Le 6 juin dernier, les autorités burkinabè communiquaient sur la livraison de matériel militaire aux Forces de défense et de sécurité du pays, engagées dans la lutte contre le jihadisme. Deux jours plus tard, l'image d'un engin impressionnant constitué d'hélices, d'écrans et d'antennes satellites, présenté comme un véhicule prochainement déployé au Burkina Faso, est devenue virale sur les réseaux sociaux. Attention : aucun appareil de ce type n'est actuellement commercialisé dans le monde, pointent plusieurs spécialistes auprès de l'AFP. Le visuel a certainement été généré par intelligence artificielle.

Le 8 juin 2024, des pages Facebook burkinabè suivies par des centaines de milliers d'abonnés ont publié l'image d'un engin futuriste, une sorte de camion à cinq roues doté d'hélices et de multiples écrans.

"Comment appelle-t-on cet engin qui sera présent au Burkina Faso", interrogent ces publications diffusées plus de mille fois au cours du mois de juin, laissant entendre que le véhicule sera prochainement déployé dans ce pays d'Afrique de l'ouest (liens 1,2,3...)

En commentaire, des dizaines d'internautes font part de leur enthousiasme et célèbrent le capitaine du régime militaire au pouvoir, Ibrahim Traoré, arrivé à la tête du Burkina Faso après un coup d'Etat en 2022.

D'autres s'interrogent cependant sur "l'existence réelle" de cet engin, quand certains soupçonnent le recours à une "intelligence artificielle".

Un utilisateur a également sollicité l'AFP sur sa messagerie WhatsApp, le 12 juin, questionnant : "Cette image est-elle réelle. Cet engin existe-t-il vraiment ?"

Sur X, un compte épinglé à de multiples reprises par l'AFP pour avoir propagé de fausses informations, a également relayé ce visuel le 8 juin, avançant que cet engin serait d'ores et déjà "présent dans l'AES", l'alliance regroupant le Burkina Faso, le Niger et le Mali depuis septembre 2023 (lien archivé ici).

L'image a aussi été diffusée un jour plus tard, le 9 juin, sur cette chaîne YouTube. "Depuis le 6 juin 2024, un important lot de matériel militaire est arrivé au Burkina Faso", scande une voix off.

Alors que le Burkina Faso fait face à une recrudescence d'attaques jihadistes sur son territoire, les autorités burkinabè ont effectivement annoncé, sur le site de la présidence, la livraison d'un "important lot de matériel militaire et de génie aux Forces de défense et de sécurité, engagées sur le front de la guerre contre le terrorisme" le 6 juin, soit deux jours avant l'apparition des rumeurs que nous vérifions (lien archivé ici).

La présidence a publié un album photographique de cette livraison. Sur les images, des dizaines de véhicules blindés verts et gris ainsi que des tractopelles jaunes sont visibles. Mais aucune trace de l'engin relayé sur les réseaux sociaux.

Ce dernier ne ressemble d'ailleurs à aucun véhicule militaire connu, ont expliqué à l'AFP des spécialistes en équipement militaire. Par ailleurs,  l'image virale semble très fortement avoir été générée à l'aide d'un logiciel d'intelligence artificielle (IA).

Un image générée par l'IA ?

Pour retrouver l'origine de l'image diffusée sur les réseaux sociaux, nous avons effectué une recherche avec l'outil Fact-check Explorer de Google. Nous avons retrouvé sa toute première occurrence sur un compte Instagram, à la date du 4 juin, soit quatre jours avant sa diffusion par les pages Facebook burkinabè (lien archivé ici).

En légende, il n'est pas du tout fait mention du Burkina Faso, ni d'aucun autre pays du Sahel. L'auteur du post écrit plutôt, en espagnol : "Le concept du futur drone militaire", accompagné du drapeau des Etats-Unis.

L'image ne figure pas non plus sur les canaux de communication officiels des autorités burkinabè.

L'AFP a ensuite soumis ce même visuel à Victor Baissait, spécialiste des images générées par intelligence artificielle. "Quand on zoome, il y a beaucoup d'éléments qui semblent incohérents", a-t-il souligné, le 18 juin. "Cela peut être un signe d'une des faiblesse de l'IA", ajoute-t-il, car "plus elle va dans le détail, moins elle est cohérente."

"Le fond est très net est propre", pointe aussi Victor Baissait, identifiant un autre indice pouvant laisser croire à l'utilisation d'un logiciel d'intelligence artificielle.

En complément, l'AFP a testé l'image avec le logiciel Invid-WeVerify. Celui-ci a caractérisé le visuel d'"image synthétique" avec une probabilité de 75% :

S'il est impossible d'en avoir la certitude, l'image diffusée sur les réseaux sociaux semble, à plusieurs égards, avoir été générée par intelligence artificielle.

En tout cas, elle n'a aucun lien avec la récente livraison de matériel aux Forces de défense et de sécurité du Burkina Faso, contrairement à ce que laissent croire plusieurs publications. Notamment cette chaîne YouTube, "Actualités du Togo", qui sème le doute en diffusant côte à côte l'image de l'engin futuriste et deux photographies de véhicules militaires, bien réels, mises en ligne par les autorités burkinabè.

On retrouve ces deux photos sur le site de la présidence du Burkina Faso, à la date du 6 juin, parmi d'autres images documentant l'acquisition par la junte de nouveaux équipements militaires (lien archivé ici) :

Des incohérences visuelles et techniques

Plusieurs spécialistes d'équipement militaire ont également pointé, auprès de l'AFP, de nombreuses incohérences présentes sur cet engin.

"On dirait un mélange de tour de contrôle et de station-service... En tout cas, ce n'est pas en circulation sur notre planète", note par exemple le 20 juin Thibaut Mallet, administrateur du site web spécialisé sur les questions de défense Midshipnews.

"Le châssis ne correspond à rien de ce qui se fait de connu. L’empilage de structures dessus, avec les hélices, on ne sait pas si ce sont des drones qui vont décoller… Il est impossible d’avoir un engin comme ça", observe aussi Yann Boivin le 21 juin, fondateur du site spécialisé sur les blindés Blablachars.

Ce dernier note que la plupart des pays d'Afrique de l'ouest sont "en train de renouveler leur parc militaire par du matériel chinois", spécifiant que "la Chine et la Turquie sont les principaux fournisseurs d’armement" dans la région.