Comment "Nope" s'inspire de l'animation japonaise pour disséquer les maux de notre société

Le réalisateur Jordan Peele sur le tournage de
Le réalisateur Jordan Peele sur le tournage de

En seulement deux films - Get out et Us -, Jordan Peele s'est imposé comme l'un des maîtres du cinéma d'horreur contemporain. Son dernier cauchemar, Nope, au cinéma ce mercredi, mêle science-fiction et horreur dans un western moderne inspiré par La Guerre des mondes de Steven Spielberg et Signes de M. Night Shyamalan.

Avec Nope, le réalisateur oscarisé ouvre surtout de nouveaux horizons pour les superproductions à Hollywood, en s'inspirant de classiques de l'animation japonaise pour disséquer les maux de notre société, du désir de reconnaissance au spectacle permanent offert par les réseaux sociaux.

Nope suit OJ (Daniel Kaluuya), un dresseur de chevaux dont le quotidien bascule lorsqu'un mystérieux OVNI apparaît dans le ciel de son ranch californien. Avec sa sœur Emerald (Keke Palmer), OJ est dès lors tiraillé entre la peur de l'incompréhensible et l'envie d'accéder à la gloire en filmant pour les réseaux sociaux ces scènes irréelles.

La structure d'un manga

Dans cette histoire, "le vrai méchant c'est notre addiction à l'attention et au spectacle, et l'incapacité qui en découle de pouvoir réagir en temps réel", a déclaré à l'AFP Keke Palmer. "Ce n'est pas différent des gens qui ralentissent sur l'autoroute pour voir un accident. Personne n'appelle les secours mais tout le monde s'arrête pour regarder."

Comme dans Get Out et Us, la force de Nope est que chacun peut y voir des choses se rapportant à son expérience personnelle. Et le lecteur de mangas comme le fan d'animes y découvrira des subtilités - et des clefs de compréhension supplémentaires.

Car la structure de Nope et ses protagonistes semblent tirés des animes et des mangas. On retrouve ainsi de nombreux clins d'œil aux animes Neon Genesis Evangelion, Full Metal Alchemist, Akira et au manga Mystère de la faille d'Amigara de Junji Ito.

Un grand spectacle

A Hollywood, ce phénomène reste rare. Si bien que Nope s'impose comme la superproduction américaine avec le plus de références aux animes et aux mangas depuis Matrix en 1999: "Nous sommes à un moment intéressant dans l'histoire de Hollywood, avec l'arrivée d'une génération de réalisateurs; qui a grandi avec les chaînes Toonami et Adult Swim. D'une manière ou d'une autre, ça influence leurs films", note le critique britannique Kambole Campbell, spécialiste des animes et des blockbusters.

Et d'ajouter: "Ce qui est amusant avec Nope, c'est que c'est le mélange de plusieurs éléments disparates. C'est autant une lettre d'amour aux westerns classiques qu'aux films de Spielberg et aux animes. Mais je trouve cela très cool qu'il place ces trois influences au même niveau." Pour Jordan Peele, c'est aussi une stratégie pour continuer de surprendre le public et surtout créer un film original dans un contexte hollywoodien miné par les innombrables suites de franchises.

"Je trouve ça presque irresponsable, d’une certaine façon, de ne pas créer de nouvelles choses, de nouvelles images, de nouvelles légendes, de nouveaux classiques en un sens", a expliqué le réalisateur à Libération. "Les films de monstres qui m’ont inspiré, ils ont été créés par des gens qui aimaient les monstres. C’est aussi simple que ça. Et j’aime les monstres. Si l’envie et le désir sont là, on peut tout créer, tout inventer."

Cette influence nippone était d'ailleurs absente des précédents films de Jordan Peele, précise Kambole Campbell: "Get out est un mix entre Devine qui vient dîner... et Les Femmes de Stepford, et Us un hommage à CHUD [un film sur des monstres cannibales, NDLR]. Ces films ont un véritable suspense hitchcockien, tandis que pour Nope Jordan Peele souhaitait proposer un grand spectacle - ce qu'il doit associer aux animes, puisqu'il fait référence à Evangelion et Akira, deux films de SF spectaculaires."

"Des trucs de fous comme dans les animes"

Cette fusion du blockbuster hollywoodien avec l'animation japonaise reste plus satisfaisante qu'une adaptation officielle, commente Kambole Campbell: "C'est mieux en attendant que les réalisateurs comprennent vraiment comment transposer le style des mangas et des animes dans un film en prises de vue réelles."

C'est dans sa deuxième partie que Nope bascule dans un récit proche de ce que l'on peut trouver dans l'animation japonaise, une fois que l'OVNI s'en prend aux protagonistes. Jordan Peele se libère alors de l'influence de Spielberg, pour commencer à faire "des trucs de fous comme dans les animes", résume un spectateur du film sur Twitter.

Car si Jordan Peele a martelé dans ses interviews vouloir rendre hommage à Steven Spielberg, c'est bien à Neon Genesis Evangelion que fait explicitement référence Nope. Son amour pour le chef d'œuvre de Hideaki Anno est connu, et on retrouve dans Nope des thématiques similaires à celles de la célèbre série, du poids du deuil à la dépression en passant par l'emprise de religion qui aveugle.

Un message différent

L'antagoniste principal de Nope a été directement inspiré par Sahaquiel, l'Ange du ciel qui apparaît dans le douzième épisode de la série (Jordan Peele cite aussi la robe de Marilyn Monroe dans Sept ans de réflexion). Et la fin du film, sans divulgâcher quoi que ce soit, est une réminiscence du "Third Impact" dans le film The End of Evangelion:

"Il y a un désespoir et un affrontement avec une création complètement effroyable, mais le message est un peu différent", modère Kambole Campbell. "Il est très intéressant de voir que Nope s'empare du même type d'imagerie [que Evangelion] pour dénoncer la manière dont Hollywood transforme la misère des gens en spectacle consumériste. Evangelion parle plus d'échecs personnels."

Les ressemblances entre Nope et Evangelion sont telles que le film de Jordan Peele peut être considéré comme une adaptation officieuse du monument japonais. "On peut voir les choses sous cet angle", acquiesce le journaliste. "Si quelqu'un voulait un jour faire l'adaptation dans un film live Evangelion, Peele serait l'unique réalisateur en qui j'aurais confiance, et dont j'aurais envie de voir le résultat." Et d'ajouter: "J'espère que ça va l'inciter à faire plus de choses comme ça."

Article original publié sur BFMTV.com