"Elle n'a plus rien à perdre": Élisabeth Borne fait savoir ses désaccords avec Emmanuel Macron

Et soudain Élisabeth Borne sort du bois. Un vendredi aux aurores, avec des déclarations publiées par plusieurs médias dont Le Monde, dans lesquelles la Première ministre sous-entend des désaccords avec Emmanuel Macron. Pendant ce temps-là, le président de la République est à plus de 8000 kilomètres de Paris, en Chine.

Pour le troisième jour de sa visite, le chef de l'État se trouve à Canton, après deux jours à Pékin, où il s'est entretenu avec son homologue Xi-Jinping, dans l'espoir de trouver une issue à la guerre en Ukraine.

Durant son vol vers la ville du sud de la Chine, le président de la République prend connaissance des propos de la cheffe du gouvernement. Cette dernière n'y est pas allée par quatre chemins, affichant implicitement ses divergences sur plusieurs pans de la stratégie d'Emmanuel Macron.

"Pas simplement là pour administrer le pays"

"Élargir la majorité" comme lui a demandé le président? Ces mots pourraient "crisper", estime Elisabeth Borne, qui invite à rechercher des accords texte par texte. Soit la méthode qu'elle utilise depuis le début de la législature, faute de disposer d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale.

"Il n’y a pas d’autre alternative à court terme", appuie la Première ministre, consciente que ni la droite, ni la gauche ne veulent participer à un accord de gouvernement.

Souvent décrite comme une "techno", parfois réduite au rôle de simple exécutante par ses opposants, Élisabeth Borne fait de la politique. Souhaitant que l'exécutif redonne un "cap" au pays, ainsi que "du sens et du souffle à l'action", elle prévient:

"Je ne suis pas simplement là pour administrer le pays."

"Laisser une marque dans l'opinion"

Sous-titres: "Si elle reste, il faudra lui laisser faire les choses à sa façon", analyse Matthieu Croissandeau, éditorialiste politique de BFMTV, soulignant que, "pour la première fois", la sexagénaire "fait entendre une petite musique sur son autonomie".

A ses risques et périls? Pas forcément selon un conseiller de l'exécutif qui estime que "la rupture est déjà entamée" avec Emmanuel Macron.

"Elle n'a plus rien à perdre, donc autant laisser une marque dans l'opinion."

De son côté, l'Élysée s'est contenté, pour l'instant, d'une réponse lapidaire:

"Le président de la République coordonne avec la Première ministre. Le cap a été donné par le président de la République lors de son interview du 13 heures sur France 2 et TF1".

Tout sauf une inflexion donc.

Deux salles, deux ambiances avec les syndicats

À l'Élysée, chaque scénario est examiné, y compris un départ de l'actuelle locataire de Matignon, indique Le Monde. Élisabeth Borne a déçu dans sa façon de gérer le dossier des retraites.

"Aussi bien sur le fond que sur la forme", pointe Matthieu Croissandeau, évoquant un "projet mal ficelé", et "une erreur d'appréciation politique" avec le parti Les Républicains (LR), dont certains députés, malgré les concessions du gouvernement, refusaient de voter favorablement le texte.

"Vous n'avez pas voulu de Catherine Vautrin, vous m'avez vendu Élisabeth Borne comme la perle rare, et voilà où on en est!", aurait même lâché Emmanuel Macron, selon Le Point, peu après que cette dernière a déclenché le 49.3 sur la réforme des retraites faute de réunir suffisamment de voix sur son texte.

Comme un symbole, cette semaine ressemble à un "deux salles, deux ambiances" dans la stratégie du tandem Borne-Macron avec les syndicats. D'un côté, une cheffe de gouvernement se voulant la chantre du "dialogue", de l'autre un président n'hésitant pas à décocher des flèches et viser plus particulièrement Laurent Berger, patron de la CFDT.

"Il ne faut pas que les syndicats ressortent humiliés de cette séquence"

Élisabeth Borne a reçu les centrales ce mercredi, sans succès - les différents leaders syndicaux ont claqué la porte au bout d'une cinquantaine de minutes - mais s'est réjouie d'un "échange respectueux où chacun à pu s'exprimer et s'écouter". Peu après, l'entourage d'Emmanuel Macron a répondu très durement à Laurent Berger, qui avait évoqué une crise, non plus "sociale", mais "démocratique", au sortir de ce rendez-vous où la Première ministre a refusé, sans surprise, de retirer la réforme des retraites.

"On ne peut pas parler de crise démocratique. Les mots ont un sens et si on les galvaude, on fait monter les extrêmes".

Des propos très durs, d'autant plus que la CFDT est une organisation syndicale réformatrice, prête au compromis. Elle avait d'ailleurs soutenu le projet de réforme des retraites initial d'Emmanuel Macron, mis sur la table lors du précédent quinquennat et consistant à instaurer un système universel à points. Avant de basculer dans l'opposition au projet, en raison de l'instauration d'un "âge pivot" à 64 ans.

Cette relation houleuse entre Laurent Berger et Emmanuel Macron n'arrange pas les affaires de la Première ministre.

"Il ne faut pas que les syndicats sortent humiliés de cette séquence", avertit-elle dans Le Monde.

"Parfaitement alignée"

Et d'inviter à "respecter une période de convalescence" et ne "pas brusquer les choses". Insistant sur le "besoin d'apaisement", Élisabeth Borne juge que "ce n'est pas le moment de donner des coups de volant". Et donc de partir de Matignon.

"On sort d’une opposition frontale. Le pays est en état de sidération, les gens sont un peu K.-O., il faut respecter un temps de décantation", justifie-t-elle.

Mais le président l'entend-il de la même oreille? Verra-t-il dans ces déclarations une maladresse ou une offensive politique de la Première ministre?

L'intéressée a tenté d'arrondir les angles en fin de matinée lors d'un déplacement dans l'Aveyron.

"Le président de la République fixe le cap et je travaille sur la feuille de route qu'il m'a donnée", a-t-elle assurée, tout en se disant "parfaitement alignée" avec Emmanuel Macron.

Une chose est sûre: l'un comme l'autre espèrent que le Conseil constitutionnel donnera un feu vert à la réforme des retraites, vendredi prochain, pour passer à l'après-réforme des retraites.

Article original publié sur BFMTV.com