Mort : "Une porte qu'on ouvre, mais qu'on ne ferme pas derrière soi"

Dans de nombreuses cultures, les esprits cheminent sans entraves entre le monde des vivants et celui des morts. Interview de Philippe Charlier, médecin légiste, anthropologue et directeur scientifique du musée du Quai Branly-Jacques Chirac.

Cet article est issu du magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°211 daté octobre/ décembre 2022.

Sciences et Avenir : Quand on est mort… on est mort, non ?

Philippe Charlier : D'un point de vue biologique, non. Même plusieurs jours après la mort, des cellules sont toujours vivantes. Des cellules souches musculaires peuvent être prélevées et cultivées pour qu'elles se multiplient à nouveau. À l'échelle de la cellule, la mort n'est pas un phénomène total.

Par ailleurs, sur le plan de l'anthropologie sociale, la mort ne signifie pas la disparition d'une personne mais un changement d'état, un préambule, parfois le véritable début d'un chemin. Dans la culture baoulé, elle est l'entrée dans un autre monde. Dans le vaudou haïtien, au moment de la mort, l'âme explose. Elle traverse l'Atlantique et revient vers le pays originel, appelé l'Afrique Guinée. C'est le cas pour tous les "nègres", c'est-à-dire les hommes libres, blancs ou noirs, dans la culture haïtienne. Ce parcours est évidemment très lié à l'histoire de l'esclavage. Dans de nombreuses cultures, la mort est une porte que les esprits empruntent pour poursuivre leur vie. Une porte qu'on ouvre, mais qu'on ne ferme pas derrière soi.

Il est donc possible de la traverser dans les deux sens ?

Oui, cela arrive. Un mur perméable, à double circulation. Parfois, les revenants, esprits ou fantômes cheminent d'un monde à l'autre. Ils viennent nous rendre visite, soit parce qu'il y a une injustice qu'ils essaient de réparer, une personne maltraitée revenant punir son agresseur, soit pour nous avertir d'un danger. Ils sont à nos bons soins parce que nous ne les oublions pas. Ils nous font alors un contre-don, comme le décrivait le sociologue Marcel Mauss au début du 20e siècle : nous sommes bons pour les morts et les morts sont bons pour nous.

Sous quelles formes reviennent-ils ?

Des formes diverses ! Il peut s'agir de rêves ou de sensations, d'une présence… Ils peuvent être visibles, comme les égoun-gouns dans le va[...]

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