Mort de Wanys : la police est-elle raciste, comme l'affirme le député LFI Thomas Portes ?

Une accusation fréquente, remise en avant lors des drames impliquant les forces de l'ordre et des personnes racisées. Des enquêtes tentent de quantifier le phénomène.

Contrôle d'identité Gare du Nord à Paris, en novembre 2012 / Photo d'illustration (Photo Fred DUFOUR / AFP)
Contrôle d'identité Gare du Nord à Paris, en novembre 2012 / Photo d'illustration (Photo Fred DUFOUR / AFP)

Passage à tabac de Michel Zecler, mort de Nahel, mort de Wanys... Ces dernières années, à chacun de ces drames impliquant la police, des accusations de racisme visant l'institution ont ressurgi. La dernière en date émane du député LFI de Seine-Saint-Denis Thomas Portes.

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"Il y a un racisme systémique dans la police française", a lancé le député sur BFMTV après avoir notamment expliqué "avoir la chance d'être blanc et de n'avoir jamais quasiment de contrôle d'identité" en réponse à la question d'un journaliste qui lui demandait s'il s'arrêtait lorsqu'il voit un policier lui faire signe de s'arrêter.

2 Français sur 3 considèrent que le racisme est présent dans la police

La notion de racisme systémique signifie non pas qu'il y a des actes racistes isolés, mais que le racisme est ancré au sein d'une institution, ici la police. "Pour comprendre le racisme dans la police, le terme de discrimination systémique est utile. Ce terme permet d’aller au-delà de la question de savoir si tel ou tel policier est raciste, pour se poser la question de savoir si l’accumulation de pratiques policières, prises dans leur totalité, a des conséquences inégalitaires, si le fonctionnement de l’institution a pour résultat que les groupes racisés sont traités de manière défavorable", explique notamment à Basta! Magda Boutros, sociologue et professeure à Science-Po.

Une affirmation qui recueille un certain écho au sein de la population. Selon un sondage YouGov pour Le HuffPost de juillet dernier, seuls 22 % des Français estiment qu'il n'y a pas de racisme dans la police. Dans le détail, 19 % des sondés jugent que le racisme est largement répandu chez les policiers quand 48 % estiment qu’il existe effectivement, mais à la marge. En tout, deux Français sur trois (67 %) considèrent que le racisme est bel et bien présent dans la police.

L'ONU dénonce les "profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l'ordre"

Un débat récurrent, qui a notamment eu une portée internationale à l'été 2023, suite à la mort de Nahel et aux émeutes puis à la répression policière qui s'en sont suivies. "C'est le moment pour le pays de s'attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l'ordre", a lancé Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, aux institutions françaises.

Une accusation qui n'avait pas plu à Laurent Nunez, préfet de police de Paris, qui a dénoncée une accusation "totalement infondée", se disant "assez choqué" par l'usage du terme"racisme". "Il y a pu avoir des cas sanctionnés" ou "quelques dérapages", a-t-il reconnu sur le plateau de BFMTV. Pourtant, à ses yeux, il n'y a "pas de racisme dans la police".

5 fois plus de contrôles fréquents pour "les hommes perçus comme noirs ou arabes"

"On continuera à contrôler quelles que soient les origines, vraiment, les policiers n'intègrent pas ce genre de dimensions", a notamment argumenté le préfet de police de Paris. Une affirmation contredite par l'une des rares enquêtes sur le sujet, menée en 2016 et publiée en 2017 par le Défenseur des Droits Jacques Toubon.

"Les hommes perçus comme noirs ou arabes apparaissent cinq fois plus concernés par des contrôles fréquents (c'est-à-dire plus de cinq fois les cinq dernières années)", mentionne notamment l'enquête menée auprès d'un échantillon représentatif de 5 000 personnes, dont 85% ont affirmé ne jamais avoir été contrôlées au cours des cinq dernières années.

Une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d'être controlé

80% de ceux qui correspondent au profil de "jeune homme perçu comme noir ou arabe" ont été contrôlés ces cinq dernières années, contre 16% pour le reste des personnes interrogées. "Par rapport à l’ensemble de la population, et toutes choses égales par ailleurs, ces profils ont ainsi une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés", souligne le Défenseur des Droits.

Une enquête met également en avant que les contrôles d’identité fréquents ciblent davantage les hommes, 5 fois plus contrôlés, ainsi que les jeunes : les moins de 25 ans sont 7 fois plus contrôlés.

"Le comportement de la police française (...) peut être assimilé à du profilage racial"

En 2009, une autre enquête est menée, par des chercheurs du CNRS, à Paris. Ils observent environ 500 contrôles d'identité menés dans différents points de la capitale. L'enquête de terrain conclut que les personnes perçues comme "noires" (d'origine subsaharienne ou antillaise) et celles perçues comme "arabes" (originaires du Maghreb ou du Moyen-Orient) ont été contrôlées de manière disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme "blanches" : une personne noire avait ainsi entre 3 et 11 fois plus de risques d'être contrôlée ; une personne perçue comme Arabe avait quant à elle sept fois plus de risques. Conclusion : "le comportement de la police française dans ces cinq emplacements peut être assimilé à du profilage racial", écrivaient les chercheurs du CNRS.

"Un biais raciste généralisé dans la police"

"La police se trouve être le produit de sa propre histoire, qui est très marquée par la confrontation avec les Algériens. D'autre part, elle est en première ligne des difficultés sociales. Et ces difficultés sociales et économiques sont essentiellement portées par les familles issues de l'immigration", expliquait en 2020 à France Info Fabien Jobard directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), au sein du centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).

Pour le chercheur, le "croisement de tout cela provoque un biais raciste généralisé dans la police. Et les policiers eux-mêmes ne sortent pas indemnes d'une telle institution, c'est-à-dire qu'ils viennent porter le racisme institutionnel".

Des cas de racisme entre policiers

Dans un entretien au Monde, Fabien Jobard s'appuie sur les études citées plus haut pour prouver le "racisme institutionnel" qui touche la police. "Les contrôles d’identité, bien plus fréquents en France que chez nos voisins européens, en sont l’illustration", ajoute-t-il. Des cas de racisme sont également présents entre agents de police. ArteRadio relayait ainsi en 2020 l'affaire d'un policier noir de Rouen découvrant qu'il était la cible de propos racistes de la part de 6 collègues.

La même année Streetpress infiltrait un groupe privé Facebook rassemblant plus de 8000 membres des forces de l'ordre, dans lequel les messages racistes et sexistes y étaient légion.

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Deux agents avaient été condamnés à trois mois de prison avec sursis chacun pour "injure publique à caractère racial", l'un à 9000 euros d’amende en plus pour "provocation à la haine raciale". Dernier exemple en date, à Angoulême, une enquête de l'IGPN a été ouverte contre deux policiers pour violences et propos racistes envers un suspect, à qui ils auraient déclaré "on va te frapper, on n'aime pas les bougnoules".