"La police tue" : que disent les chiffres ?

La Brigade de Recherche et d'Intervention (BRI) lors d'un exercice à Paris, le 1er juillet 2021. (Photo by STEPHANE DE SAKUTIN / AFP) (AFP)

Le sujet est de nouveau sur le devant de l'actualité après la mort de deux personnes en 24h suite à des refus d'obtempérer.

Une femme, passagère d'un véhicule dont le conducteur a refusé d'obtempérer, a été tuée à Rennes par un tir des forces de l'ordre. Quelques heures plus tard, le conducteur d'un véhicule est mort à Nice dans les mêmes conditions.

De quoi remettre sur le devant de l'actualité la polémique sur les décès enregistrés lors de l'intervention des forces de l'ordre. Un sujet mis en avant déjà en juin dernier par Jean-Luc Mélenchon, après le décès d'une jeune femme, passagère d'un véhicule dont le conducteur refusait de se soumettre à un contrôle de police.

Une loi aurait incité davantage à l'usage des armes

En 2021, selon les chiffres de l'IGPN et de l'IGGN, quatre personnes avaient été tuées dans ces circonstances, une seule en 2020 en zone police. Le refus d'obtempérer est en parallèle un délit en hausse depuis sept ans. Un rapport du Sénat avait déjà montré une hausse de 28% de ce délit entre 2015 et 2020.

Un délit qui est devenu la principale raison de l'usage des armes à feu par les forces de l'ordre. Explication avancée par les spécialistes, une loi de 2017, qui est venue introduire la notion d'intention dans l'usage de la légitime défense. Désormais, les forces de l'ordre peuvent notamment ouvrir le feu sur un véhicule "dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui".

"Le calcul du policier peut éventuellement être : s'il y a un refus d'obtempérer, alors la personne, qui vient de passer le barrage, qui vient de me dépasser, qui ne me pose plus un danger immédiat, peut porter atteinte à l'intégrité physique d'autrui, donc je tire". Résultat, cette loi qu'il juge "problématique" a provoqué la hausse du nombre de tirs par les policiers, qui "ont crû de 50%", selon le chercheur Fabien Jobard, directeur de recherche au CNRS sur France Info.

Une polémique déjà abordée en octobre dernier par le candidat du NPA à l'élection présidentielle Philippe Poutou.

9 décès pour refus d'obtempérer en 2022

D'autant que ces derniers mois, les exemples se multiplient. Depuis le début de l'année, on dénombre neuf décès suite à un refus d'obtempérer.

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Au-delà des victimes de refus d'obtempérer, il existe des exemples médiatiques de personnes tuées par l'action des forces de l'ordre. C'est notamment le cas de Rémi Fraisse, Steve Maia Caniço ou encore Zineb Redouane et Cédric Chouviat.

17 morts en 2018, 27 en 2019 selon l'IGPN

Des chiffres officiels existent depuis 2018 et la première présentation du recensement des blessés ou tués lors d’une intervention policière, par la patronne de l'IGPN de l'époque, Marie-France Monéger-Guyomarc’h. "Dans une démocratie, il n’est pas anormal que l’on puisse savoir combien de tués sont recensés en intervention de police", expliquait-elle. Un décompte qui, toutefois, "n’a pas vocation à spéculer sur la légitimité des actions".

Sur l'année 2018, le rapport de l'IGPN fait état de 17 décès et 169 blessés "à l’occasion des missions de police". L'année suivante, le bilan du recensement des particuliers blessés ou décédés fait état de 27 décès et 141 blessés.

32 décès et 48 blessés en 2020 selon l'IGPN

Le dernier rapport de l'IGPN disponible concerne l'année 2020, durant laquelle la France est confinée plusieurs mois, il fait état de 32 décès et 78 blessés. L'origine des 32 décès est répartie en cinq catégories : usage d’une arme (9 décès), décès liés à l’état de santé (9 décès), décès liés au comportement de la personne (suicide, noyade, 7 décès), usage de la force physique (2 décès) et accident de la circulation (5 décès).

Le rapport précise toutefois que ces chiffres prennent en compte "les décès qui ont eu lieu alors que les personnes ont été soit en contact avec la police (action de police), soit étaient placées sous leur surveillance. C’est pourquoi, par exemple, ces données incluent aussi des décès survenus dans des locaux de police et qui sont la conséquence d’un état de santé dégradé."

Contexte dans lequel les 32 décès enregistrés par l'IGPN ont eu lieu.
Contexte dans lequel les 32 décès enregistrés par l'IGPN ont eu lieu en 2020 (source : IGPN)

Des décès au contexte très différent

Figurent dans ce décompte la mort de l'assassin du professeur Samuel Paty, celui d'un homme de 36 ans mort en chutant du 13ème étage lors de sa fuite par les balcons à l'arrivée de la police mais aussi un décès suite à un refus d'obtempérer à Poissy. "À la suite d’un refus d’obtempérer, le conducteur d’un véhicule, âgé de 28 ans, s’arrêtait finalement puis accélérait brutalement dans la direction d’un policier sans qu’il puisse se dégager. Il faisait alors usage de son arme en direction du conducteur", détaille le rapport.

Parmi les 32 décès, on dénombre également "2 décès en rapport avec l’usage de la force physique" détaille le rapport, dont le décès de Cédric Chouviat, contrôlé à scooter, il est plaqué au sol et fait un malaise qui lui sera fatal.

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Une méthodologie qui exclut certains décès

Mais pour être pris en compte dans le rapport de l'IGPN, les décès doivent obéir à certaines conditions : avoir été constatés à l’occasion d’une mission de police et avoir donné lieu à l’ouverture d’une enquête judiciaire (à la suite d’une plainte de l’intéressé, d’une enquête décès, d’une interpellation, etc.), précise le rapport.

Certains décès peuvent donc passer entre les mailles du rapport, mais sont pris en compte par des travails journalistiques ou associatifs. Comme le rappelait Libération, le site Bastamag tient une base de données régulièrement mise à jour. Ainsi, de janvier 1977 au 9 décembre 2020, le site recense 746 morts suite à l'action des forces de l'ordre.

Bastamag prend en compte les policiers hors service et les courses poursuites

Le média compte 28 décès en 2020, 2019, et 2018 ; 36 en 2017 et 24 en 2016. Un décompte qui diffère peu de celui de l'IGPN (32 en 2020, 27 en 2019) malgré une méthodologie différente. Contrairement à Bastamag, l'IGPN ne décompte pas les accidents de la route ou homicides par arme dont les auteurs sont des policiers n’étant pas en service au moment des faits, ainsi que les décès liés à des interventions de la gendarmerie.

En 2020, Bastamag prend en compte dans les 28 décès recensés le cas d’un policier de la BAC ayant tué sa femme avec laquelle il était en instance de séparation ou celui d’un homme s’étant noyé après avoir fui la police lors d’un contrôle. En revanche, le média se basant sur des revues de presse pour établir son décompte, des cas moins médiatisés, pris en compte par l'IGPN, peuvent ne pas figurer dans le décompte du média. Ainsi, relève Libération, sur les 32 morts recensés par l’IGPN, on en retrouve "seulement" 22 dans la liste de Bastamag.

Des décomptes qui ne distinguent pas les circonstances

En revanche, point commun entre les décomptes de l'IGPN et de Bastamag, ils agrègent des cas variés et ne tiennent pas compte des circonstances, de l’appréciation du caractère proportionné de l’usage de la force ou de l’éventuel état de légitime défense de l’agent.

D'autres décomptes comme celui de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, établi en 2016, ne retient que "les situations dans lesquelles la force a été directement exercée par des policiers et des gendarmes". Les décès lors de course-poursuites sont ainsi exclus du décompte, aboutissant à un bilan de 26 décès entre 2005 et 2015.