Mort de Nahel : quand les policiers ont-ils le droit d’utiliser leur arme ?

La mort de l'adolescent, tué mardi matin par un tir de policier après un refus d’obtempérer, ravive la question de l’utilisation des armes à feu par les forces de l’ordre.

Un policier français portant une arme (crédit : getty image)
Un policier français portant une arme (crédit : getty image)

Un tir polémique. Mardi matin, Nahel, un jeune homme de 17 ans a été tué à Nanterre (Hauts-de-Seine) après un refus d’obtempérer. Sur les images largement relayées sur les réseaux sociaux, on voit deux policiers contrôler l’automobiliste avant que l’un d’eux lui tire dessus à bout pourtant au moment où la voiture redémarre. Le jeune homme, qui a fini sa course dans un poteau quelques mètres plus loin, est décédé "à 9h15 suite à au moins une blessure par arme à feu", a indiqué le parquet de Nanterre, malgré l’intervention du Samu. Le policier, lui, a été placé en garde à vue.

La vidéo relayée a vivement fait réagir. Le footballeur Kylian Mbappé a par exemple qualifié la situation "d'inacceptable", l’acteur Omar Sy a lui demandé "qu’une justice digne de ce nom honore la mémoire de cet enfant". Du côté des députés, Manuel Bompard (La France insoumise) a tweeté : "Oui, un refus d’obtempérer c’est contraire à la loi, mais la mort ne fait pas partie des sanctions prévues par le code pénal." "Un refus d’obtempérer ne peut pas être une condamnation à mort. Pour personne. Jamais", a écrit de son côté Sandrine Rousseau (EELV). "Le refus d’obtempérer ne donne pas de permis de tuer. Ce n’est pas une question d’électorat mais d’humanité et de respect de l’Etat de droit !", a renchéri pour sa part Olivier Faure (PS). Alors, quand un policier a-t-il le droit de faire usage de son arme ?

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Les principes "d'absolue nécessité" et de proportionnalité

Avant 2016, seul le principe de la légitime défense s’appliquait aux policiers, à l’instar des autres citoyens. Ainsi, ils avaient le droit d’utiliser leur arme en cas de menace immédiate contre eux ou une autre personne, d’absolue nécessité (la seule solution est la riposte) et si cet usage était proportionnel au regard de la gravité de l’attaque. Ce principe, toujours d’actualité, est inscrit à l’alinéa 1 de l'article L435-1 du Code de la sécurité intérieure.

Après les attentats de 2015, le cadre a évolué : la loi du 3 juin 2016 prévoit que les policiers peuvent utiliser leur arme pour neutraliser un individu qui vient de commettre des meurtres ou des tentatives de meurtres pour en empêcher d’autres. Dans ces cas, il n’y a donc plus besoin que la menace soit immédiate, mais ils doivent "avoir des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable", précise l’alinéa 5 du même article.

Nouvelle évolution après l’agression de policiers à Viry-Châtillon en octobre 2016. Le législateur prévoit dans la loi du 28 février 2017 d’aligner l’usage des armes des policiers sur celui des gendarmes et militaires. Trois nouvelles situations sont ajoutées.

L’article L435-1 alinéa 2 précise que les agents de la police nationale peuvent faire usage de leur arme "lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu'ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées."

De même à l’alinéa 3, "lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s'arrêter, autrement que par l'usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui".

La polémique autour de l'alinéa 4

Enfin, l’alinéa 4, particulièrement décrié depuis sa mise en vigueur, autorise l’usage d’une arme "lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui." Comme dans les cas précédents, les principes d'"absolue nécessité" et de "stricte proportionnalité", liés à la légitime défense, doivent toujours être respectés.

Depuis la loi de 2017 qui autorise les policiers à tirer sur un véhicule en fuite, "il y a eu moins de tirs et moins de cas mortels qu’avant", a affirmé le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Une affirmation contredite par le député LFI Manuel Bompard, citant une enquête du site Basta Mag : "Entre 2017 et 2022, 30 personnes sont mortes suite à un refus d’obtempérer. Entre 2002 et 2017, 17 personnes sont mortes suite à un refus d’obtempérer." En 2022, l'AFP a compté 13 décès après des refus d'obtempérer lors de contrôles routiers et parle de "record". Cinq policiers ont été mis en examen dans ces dossiers, les autres ayant été libérés sans poursuite à ce stade.

"Quand vous êtes sur le terrain, que vous avez un quart de seconde pour réagir, c’est extrêmement difficile", avait déclaré le DGPN fin 2022 dans des propos relayé par Sud Ouest. Et d'ajouter : "Il est toujours plus facile d’analyser les faits après qu’ils se soient commis, mais dans l’instant, c’est une décision très compliquée à prendre". L’enquête ouverte par la police des polices, l’IGPN, après la mort de Nahel devra faire la lumière sur les circonstances de l’utilisation de l’arme par le policier en question.

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