La montée de l’extrême droite en Suède et en Italie s’inscrit « dans une continuité »

Supporters of the Sweden Democrats cheer during the Party's election night in Nacka, near Stockholm on September 11, 2022, after exit polls were released during the general elections in Sweden. (Photo by Jonathan NACKSTRAND / AFP) / ALTERNATIVE CROP
JONATHAN NACKSTRAND / AFP Supporters of the Sweden Democrats cheer during the Party's election night in Nacka, near Stockholm on September 11, 2022, after exit polls were released during the general elections in Sweden. (Photo by Jonathan NACKSTRAND / AFP) / ALTERNATIVE CROP

JONATHAN NACKSTRAND / AFP

Les supporters du parti d’extrême droite les Démocrates de Suède célèbrent leur bon score lors des élections législatives le 11 septembre 2022.

POLITIQUE - « Partout en Europe, les peuples aspirent à reprendre leur destin en main ! » Le lundi 12 septembre, Marine Le Pen a félicité sur Twitter le score historique réalisé par le parti d’extrême droite « Démocrates de Suède » (SD, pour Sverigedemokraterna) mené par Jimmy Akesson. Avec plus de 20 % des voix, il devient le deuxième parti du pays devant les conservateurs des « Modérés » dont le chef Ulf Kristersson va devenir Premier ministre ce jeudi.

Le message de la leader du Rassemblement national n’est pas anodin. Il fait aussi implicitement référence aux élections générales italiennes du 25 septembre pour lesquelles le parti post-fasciste Fratelli D’Italia (Frères d’Italie) est favori. Cela signifie que l’ancienne militante du parti mussolinien Mouvement social italien  Giorgia Meloni devrait devenir la prochaine présidente du Conseil - c’est-à-dire cheffe du gouvernement.

Depuis quelques années, le vent de l’extrême droite souffle de plus en plus fort sur l’Europe occidentale. Anti-immigration, anti-LGBT, accent sur la sécurité, anti-UE... Tous les partis qui se revendiquent de ce courant défendent les idées nationalistes et brandissent la théorie du « grand remplacement » comme la plus grande menace des peuples. Ces idées gagnent du terrain : en France, le Rassemblement national est passé de 8 à 89 députés à l’Assemblée après les législatives de juin.

Des partis néonazis et post-fascistes

La progression des Démocrates de Suède impressionne aussi : de 5,7 % des voix en 2010, le parti aux inspirations néonazies a recueilli 12,86 % des voix en 2014, 17,5 % en 2018 et 20,5 % en 2022. Même dynamique en Italie. De 2 % des voix en 2013, Fratelli d’Italia a convaincu 4,4 % des électeurs en 2018 et est crédité de 25 % des suffrages pour les législatives de fin septembre.

Cette montée de l’extrême droite, qui touche en réalité toute l’Europe, s’inscrit « dans une continuité » et fait partie « d’une dynamique européenne, voire mondiale qui a débuté depuis les années 1980 », explique au HuffPost Anaïs Voy-Gillis, docteure en géographie et spécialiste des nationalismes en Europe.

Elle liste trois crises récentes qui ont contribué à ce phénomène : la crise économique de 2008 qui a « renforcé le sentiment anti-européen », la crise des réfugiés de 2015 « venue matérialiser les discours des partis nationalistes-identitaires sur ’l’invasion migratoire’ et la mise en danger des identités nationales et européennes », enfin la crise de la représentativité et le rejet des élites.

La dédiabolisation au cœur de la stratégie de l’extrême droite

Stéphane François, professeur de science politique à l’université de Mons également interrogé par le HuffPost, partage cette analyse. « On peut dater le point de bascule à la crise des années 1980 qui résulte du choc pétrolier de 1973. C’est au moment du tournant de la rigueur [décidé en 1983 par François Mitterrand, NDLR] », précise le spécialiste des droites radicales.

En parallèle, l’extrême droite a aussi entamé sa « dédiabolisation » pour gagner en respectabilité, et les partis adverses ont mis progressivement fin au « cordon sanitaire » consistant à les écarter du pouvoir. En Italie, le cordon sanitaire a disparu dès les années 1990 avec Silvio Berlusconi, qui a fait entrer dans son gouvernement plusieurs membres du MSI, parti fasciste ancêtre de Fratelli d’Italia. C’est dans ce parti que Giorgia Meloni a débuté son engagement politique.

En Suède, le chef des Modérés Ulf Kristersson a recherché le soutien du SD après son échec aux législatives de 2018. Un rapprochement inédit, contesté, mais efficace : ensemble, la coalition de droite avec le SD contrôlerait 176 sièges au Parlement (dont 73 pour l’extrême droite), soit pile la majorité absolue ou un fauteuil de marge.

C’est aussi le cas en France, raconte Stéphane François. « Ce qu’on observe dans notre pays a été en grande partie déclenché à cause du débat autour de l’identité nationale par Nicolas Sarkozy, qui a voulu capter les idées de l’extrême droite. On paye aujourd’hui la démagogie de certains personnages politiques », cingle-t-il.

« Un accident de calendrier »

2022 n’est donc en rien une surprise pour lui, mais une simple « conséquence de ce qui se développe depuis des années ». Les résultats électoraux favorables à l’extrême droite en Suède, en France et en Italie sont « un accident de calendrier. Les idées ont eu le temps d’infuser dans la population et maintenant il y a des élections avec les résultats que l’on connaît ».

Et ce n’est pas fini, car « l’extrême droite a encore une marge de progression, juge-t-il. En plus, les idées de l’extrême droite sont reprises par de nombreuses personnalités à droite. Il n’y a qu’à voir Éric Ciotti en France, c’est effrayant. » C’est aussi le cas en Suède, où Ulf Kristersson a mené une campagne dure s’attardant notamment sur la criminalité dans le pays, thème de prédilection des Démocrates de Suède. « Kristersson pourrait ne rester dans l’histoire que comme le serrurier des SD », a ainsi taclé le quotidien Dagens Nyheter.

C’est pourquoi Anaïs Voy-Gillis, auteure de L’Union européenne à l’épreuve des nationalismes, pense qu’« il y aura une recomposition de l’échiquier politique à droite à l’échelle nationale et européenne, avec un renforcement de l’extrême droite au Parlement européen » pour les élections de 2024.

« Il faudra aussi voir, dans le cas d’une arrivée au pouvoir, si l’expérience les renforce ou les affaiblit. Or, il semblerait que l’exercice du pouvoir ne soit pas un frein à la progression de ces partis », complète Anaïs Voy-Gillis. Stéphane François est encore plus inquiet : « Le risque si les partis d’extrême droite jouent le jeu des élections, c’est que les militants se radicalisent encore plus et passent au terrorisme car ils trouvent les partis trop modérés. La situation actuelle pourrait malheureusement s’aggraver. »

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