« Avec la montée de l’antisémitisme, j’ai dû dire à ma fille de 12 ans de taire son judaïsme » - Témoignage

Une mezouzah, symbole de protection divine pour les personnes juives. Ce boîtier est souvent placé sur les portes d’entrée des maisons, des synagogues ou des commerces.
kolderal / Getty Images Une mezouzah, symbole de protection divine pour les personnes juives. Ce boîtier est souvent placé sur les portes d’entrée des maisons, des synagogues ou des commerces.

TÉMOIGNAGE - C’est tristement en train de devenir la norme, mais comme beaucoup de juifs, j’ai moi aussi ôté la mezouzah accrochée à ma porte d’entrée. Ce symbole, que j’embrasse chaque jour pour me souvenir que je jouis de la protection de D. ieu., est désormais accroché à l’intérieur de mon appartement. Ce symbole qui affichait jusqu’ici mon foyer pour ce qu’il est - « Voici une maison juive » -, je ne veux plus qu’il soit visible.

La décision a été difficile à prendre, mais j’ai sauté le pas à la demande même de mes enfants. Parce qu’ils ne sont pas dupes nos enfants. Loin de là. La montée en puissance d’un antisémitisme assumé, décomplexé, et qui existait déjà bien avant le 7 octobre, ils la voient et ils la vivent.

J’essaie de rassurer mes enfants, mais ils comprennent

Ils savent ce qu’est une croix gammée, ils en ont même vu une cette semaine, sur le chemin de l’école, gravée sur les murs d’un immeuble haussmannien. J’ai essayé de les rassurer, de répondre à chacun des pourquoi, mais ils ont capté les signaux contradictoires. Ceux d’une mère qui flippe intérieurement. Ceux d’une mère bientôt à court de prétextes pour les dispenser des cours de Torah qu’ils suivent chaque semaine à la synagogue.

J’ai également dû avoir LA discussion avec ma fille de 12 ans, ma petite ado en pleine construction identitaire. J’ai pris des pincettes pour lui donner la consigne qui fait mal : taire son judaïsme quand elle est seule dans la rue ou dans le bus qui l’emmène au collège, dans le cas où on lui poserait curieusement la question. Et même si j’ai rabâché que cette mesure n’était que préventive, elle n’achète pas, elle est sûre qu’un danger imprécis mais bien présent, plane au-dessus de nos têtes.

Depuis quelques semaines, comme beaucoup de juifs, j’ai activé le mode robot. Je me plie aux tâches quotidiennes en bon automate. Je ne fais que ça d’ailleurs. Je n’ai plus goût à grand-chose. Je fuis les invitations, les dîners, professionnels et personnels, ceux où il y aura des non-juifs, je l’avoue. Pas parce que je suis sectaire. Mais je me méfie, j’appréhende, je crains les discussions qui me dévasteront. Celles qui démarrent par de la compassion et finissent par des « Oui, mais ». Celles qui prônent la paix mais cèdent aux amalgames.

Je suis juive et j’ai peur

Comme beaucoup de juifs, j’en suis là. Mais ça n’est pas le plus terrifiant. Il y a le « ça ». Et évoquer le « ça » avec ma famille et avec mes amis juifs me donne la nausée. « J’ai peur de ça, tu sais…  », « Tu crois qu’on doit s’attendre à ça ?  », « Ne t’inquiète pas, ça ne peut plus nous arriver. » Parce que oui, on parle du pire sans vraiment oser le nommer. On tente de se rassurer, mais on a tous ce « ça », tapi dans l’ombre de nos esprits marqués par une Histoire qui, sous aucun prétexte, ne devrait se répéter.

Non, je ne peux pas m’empêcher de penser à ça. Mes nuits sont hantées par la même idée, celle qu’à peu de chose près, ça avait commencé de la même façon. Je me fais des scénarios qui, il y a un mois encore, m’auraient semblé aberrants. Je cherche des villes, des pays, où – parait-il – les juifs se sentiraient en sécurité. Je déplore ne pas être suffisamment à l’abri financièrement pour organiser « la suite ». Et quand mes pensées glissent vers ce qu’il y a de plus terrible pour une mère… je les bloque du mieux que je peux. On ne touchera pas à mes enfants.

Je suis juive et j’ai peur. Je suis française, mais je ne me sens plus en sécurité chez moi, en France. Je fais hélas partie de ces - trop nombreux – juifs de France qui tombent doucement dans la psychose. Et j’aimerais qu’on ne nous laisse pas sombrer. Cette triste réalité, je veux qu’on la dénonce davantage, chaque jour s’il le faut. Et je crois modestement qu’il le faut.

À voir également sur Le HuffPost :

Antisémitisme : une enquête ouverte à Paris après des chants choquants filmés dans le métro

Parler des violences policières à leurs enfants est « épuisant, mais indispensable », pour ces parents noirs ou arabes