En Mongolie, léopards des neiges et gazelles sauvages menacés par l'élevage

Un léopard des neiges sur son territoire de la montagne Jargalant, à Mankhan, dans la province occidentale de Khovd, le 13 mars 2023 en Mongolie (Odbayar Urkhensuren)
Un léopard des neiges sur son territoire de la montagne Jargalant, à Mankhan, dans la province occidentale de Khovd, le 13 mars 2023 en Mongolie (Odbayar Urkhensuren)

La montagne mongole de Jargalant Khairkhan a longtemps été le territoire exclusif des léopards des neiges. Mais avec l'installation d'éleveurs en quête de pâturages pour leurs troupeaux, la cohabitation avec les grands félins est devenue délicate.

"Actuellement, il y a huit familles d'éleveurs qui vivent sur cette montagne", raconte Daribazar Nergui, qui a perdu 10 de ses bêtes tuées par le léopard dont la fourrure et la discrétion lui valent le surnom de "fantôme des montagnes".

Classées comme espèce vulnérable par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), les panthères des neiges ont vu leur nombre descendre sous le millier en Mongolie.

Pendant longtemps, animaux sauvages et bétail ont cohabité sur les vastes plaines de Mongolie.

Mais alors que les éleveurs cherchent à étendre leurs troupeaux et améliorer leurs revenus, ils s'installent de plus en plus sur des terres autrefois uniquement peuplées de faune sauvage, qui se retrouve menacée de maladies et de famine.

Une autre espèce affectée par ce phénomène est la gazelle de Mongolie, aussi appelée gazelle à queue blanche.

Animal emblématique de la nature mongole, elle parcourt des milliers de kilomètres chaque année, de l'est et du sud de Mongolie vers le nord de la Chine, pour sa migration.

Son nombre a chuté ces dernières années, passant de dizaines de millions à moins de trois millions, selon le ministère de l'Environnement.

En cause? Le changement climatique et la désertification, expliquent les experts.

- Demande en cachemire -

Parallèlement, le bétail a triplé ces dernières décennies, selon les chiffres du gouvernement, passant de 20 millions en 1990 à 60 millions aujourd'hui.

"Lorsque le bétail augmente, il faut trouver de nouveaux pâturages" qui sont "utilisés par les animaux sauvages", déclare à l'AFP Batbold Dorjgurkhem, de l'organisation de protection de la nature WWF.

"Autrefois, on avait cinq têtes de bétail par km2, aujourd'hui on en a 15".

Cette augmentation du bétail a été stimulée par la plus forte demande mondiale en laine cachemire, principalement depuis la Chine.

Et en Mongolie, l'un des pays les moins peuplés du monde, où un tiers de la population est nomade, avoir plus de bétail a permis à de nombreux éleveurs de sortir de la pauvreté extrême.

Mais leurs conditions de vie restent difficiles.

"Si vous avez peu d'animaux, environ 200-300, alors votre vie ne peut pas s'améliorer, vous ne pouvez pas acheter une voiture ou économiser pour l'avenir de vos enfants", confie l'éleveur Darkhanbaatar Batsuhkh d'Erdenesant, ville à 200 km de la capitale Oulan-Bator.

Les éleveurs sont aussi confrontés à des conditions climatiques parfois extrêmes, notamment le dzud, une vague de froid typique de Mongolie qui gèle les sols et empêche le pâturage.

Le changement climatique augmente la fréquence et l'intensité des dzuds, selon l'ONU.

"Les éleveurs sont soumis à une pression financière énorme", assure Gandulguun Sanjaa, le chef d'un groupe de 200 familles dans la province de Sukhbaatar (est).

"Ils sont toujours à court d'argent".

- "Sélection naturelle" -

Alors que bétail et animaux sauvages partagent de plus en plus souvent les mêmes terres, les conflits sont inévitables entre bêtes tuées par des prédateurs et maladies qui se propagent.

L'antilope Saïga en est un bon exemple: cette espèce originaire de l'ouest de la Mongolie a vu sa population chuter de 15.000 à 3.000 après une épidémie en 2016-2017 d'une maladie appelée peste des petits ruminants.

Si son nombre est depuis reparti à la hausse, l'animal reste considéré comme "quasi menacé".

"On ne peut pas attraper des animaux sauvages pour les vacciner", déplore Ochirkhuu Nyamsuren, vice-recteur de l'école vétérinaire de l'université de Mongolie des Sciences de la vie.

"La sélection naturelle et l'immunité de groupe, c'est leur seul destin".

Quant au léopard des neiges, il a réussi à stabiliser le recul de sa population: une étude en 2021 en a comptabilisé 953 en Mongolie, le deuxième pays pour ces félins.

Mais au moins 220 bêtes ont été tuées par des léopards l'an dernier, selon Munkhdavaa Khasag, gouverneur d'adjoint du district de Mankhan.

"Les éleveurs se plaignent toujours des léopards de neige et de la perte de leurs animaux", raconte-t-il. "Mais nous leur disons qu'ils doivent quitter la montagne, c'est une zone d'un parc naturel réservée aux léopards des neiges et ils ne sont pas autorisés à y faire paître leur bétail".

Selon plusieurs experts, c'est au gouvernement d'améliorer les conditions pour les éleveurs.

"Il faut créer en Mongolie un système sain, où les matières premières et les produits issus de l'élevage sont mieux valorisés", explique M. Batbold, du WWF.

"Les éleveurs doivent trouver des moyens d'augmenter leurs revenus autrement qu'en ayant plus de bétail".

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