Réchauffement climatique : le méthane, cette menace dont personne ne parle

L'élevage représente 32% des émissions de méthane d'origine humaine (Photo : Getty Images/iStockphoto)

Nettement moins médiatisé que le CO2, le méthane est cependant l'un des gaz à effet de serre qui pose le plus de problèmes dans le mécanisme du changement climatique. Paradoxalement, il offre également des solutions pour limiter ce dernier.

À force de focaliser les discussions et négociations internationales sur le dioxyde de carbone (CO2), on en oublierait presque que ce dernier n'est pas le seul gaz à effet de serre responsable du changement climatique. Si le CO2 représente effectivement la majeure partie des émissions, d'autres composés se mélangent chaque jour à l'atmosphère et accentuent le réchauffement de la planète.

Le méthane, principal gaz à effet de serre après le CO2

Parmi ces gaz à effet de serre "secondaires", le plus considérable, et celui qui soulève le plus de questions, est probablement le méthane (CH4). Immédiatement associé dans l'inconscient collectif à l'élevage et aux flatulences du bétail, il est produit naturellement par de nombreux autres formes de vie, sous l'effet de la fermentation et de la décomposition organique, et est abondamment utilisé comme combustible par l'homme, souvent sous le nom de "gaz naturel".

Mais quel est donc son poids dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre ? Et quel est l'impact réel du méthane sur le réchauffement climatique ? Pour répondre à la première question, on peut notamment se pencher sur les données publiées par la plateforme Climate Watch du World Resources Institute, qui évalue à 17% la part du méthane émis dans l'atmosphère terrestre sur l'année 2018, quand celle du CO2 culmine à 74,4 %.

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Des émissions en augmentation constante

Le méthane est cependant le gaz dont la concentration atmosphérique a le plus augmenté au cours de l'ère industrielle. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), cette concentration a plus que doublé entre 1750 et 2019, passant d'environ 800 parties par milliard (ppb) à 1866 ppb, et continue d'augmenter année après année. Une situation d'autant plus problématique que le pouvoir réchauffant du méthane est supérieur à celui du CO2.

"Quand on met un kilo de méthane dans l'atmosphère, il piège, sur 100 ans, presque 30 fois plus de rayonnements que le CO2", décrit Philippe Bousquet, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE), cité par Franceinfo. À court terme, son potentiel de réchauffement est même encore plus important : sur une durée de 20 ans, le CH4 est 84 fois plus réchauffant que le CO2, d'après les chiffres du ministère de la Transition Ecologique.

Le méthane "responsable de plus d'un quart du réchauffement"

Mécaniquement, le méthane constitue donc l'un des moteurs principaux du changement climatique, au point que le Giec a calculé, dans son dernier rapport, que "le CH4 est responsable de plus d’un quart du réchauffement". Cette tendance serait même en train de s'aggraver, puisque selon LCI, qui cite en source le Giec : "sur la dernière décennie, la température moyenne de la Terre a augmenté de 1,1°C, une progression à laquelle les émissions (de méthane) ont contribué à hauteur de 0,5°C."

S'il pèse toujours moins que le CO2, le méthane est donc "le deuxième gaz à avoir contribué au réchauffement climatique observé jusqu'ici", selon Marielle Saunois, chercheuse au LSCE, interrogée par Franceinfo. Or, comme pour le CO2, une large partie des émissions annuelles de méthane provient des activités humaines. Selon un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement (UNEP), cette proportion s'élève à environ 60%.

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35% des émissions de CH4 proviennent des énergies fossiles

Parmi les principales sources "artificielles" de CH4, l'élevage figure évidemment en bonne place (32%), mais d'autres puits à méthane sont plus méconnus, à l'image des déchets (20%), des mines de charbon (12%) ou encore de la riziculture (8%). Par ailleurs, près d'un quart des émissions de CH4 (23%) proviennent de l'industrie pétrochimique, et viennent donc s'ajouter aux abondantes émissions de CO2 générées par ce secteur.

Comme l'explique Clément Giron, ingénieur en modélisation numérique interrogé par LCI, ces émissions liées à l’extraction, la transformation et la distribution du pétrole et du gaz "peuvent provenir de fuites accidentelles, mais aussi d’opérations de maintenance au cours desquelles il y a des lâchers de gaz naturel effectués pour des raisons de sécurité, par exemple. Une grande partie de ces lâchers auraient pu être évitée : le but est d’être capable de réduire au maximum le nombre de fuites."

Des pistes pour réduire les émissions de méthane

De nombreux chercheurs planchent en effet sur des moyens de diminuer l'impact des puits de méthane évoqués plus haut. Par exemple, dans le cas de l'élevage, diminuer la consommation globale de viande serait évidemment bénéfique, mais il existe aussi des solutions à plus court terme. "Il y a des possibilités d'inclure des additifs dans l'alimentation des bêtes, comme des graines de lin ou certaines graisses", suggère Marielle Saunois à Franceinfo. Cela aurait pour effet de mécaniquement diminuer les flatulences produites par le bétail, et donc leurs émissions de CH4.

Dans le cas de la riziculture, le méthane est produit par des bactéries tirant partie de l'inondation permanente des champs pour proliférer à l'abri de l'oxygène ambiant. Un problème qui pourrait être atténué, selon Marielle Saunois, par des "techniques de culture de rizières en inondation intermittente, plutôt que continuelle". Dans le cas des déchets, couvrir les décharges à ciel ouvert ou encore séparer les déchets organiques des autres constituent aussi des pistes de solution.

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Des bénéfices collatéraux sur la santé humaine

Il est donc possible d'agir efficacement à très court terme pour diminuer l'impact du CH4 sur le changement climatique. "Les émissions de méthane d'origine humaine pourraient être réduites de 45 % au cours de la décennie, affirme ainsi un communiqué de l'UNEP publié en août 2021. Cela permettrait d'éviter un réchauffement climatique de près de 0,3 °C d'ici à 2045."

Les bénéfices ne seraient d'ailleurs pas uniquement environnementaux. "Le méthane a une durée de vie d’une dizaine d’années, car il est détruit par réaction photochimique dans l’atmosphère, indique Marielle Saunois, cette fois citée par Reporterre. Cette oxydation du méthane va produire de l’ozone, qui a un effet néfaste sur la santé car c’est un oxydant. Il est responsable d’irritations, de problèmes d’asthme, etc."

Le méthane, "plus fort levier pour ralentir le changement climatique" à court terme

"Des quantités trop importantes d’ozone altèrent aussi le feuillage de certaines cultures, ce qui entraîne une diminution du rendement agricole", complète la chercheuse. On comprend donc que, compte tenu des caractéristiques du CH4 et de ses effets collatéraux, la question du méthane constitue un enjeu crucial pour l'avenir de l'humanité, d'autant plus que les moyens d'action immédiats sont nombreux.

"Réduire les émissions de méthane est le plus fort levier que nous ayons pour ralentir le changement climatique au cours des vingt-cinq prochaines années, et complète les efforts nécessaires pour réduire les émissions de CO2, synthétise Inger Andersen, directrice exécutive de l’UNEP, citée par Reporterre. Les bénéfices pour la société, l’économie et l’environnement sont nombreux et dépassent de loin le coût."

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