Marchandage de votes de députés : ce qu’il est légal de faire ou pas

La députée LFI Mathilde Panot accuse le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin d’avoir “marchandé des votes pour éviter le rejet de sa loi immigration”. La pratique est-elle vraiment illégale ?

Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, regarde l'Assemblée nationale à Paris, lundi 11 décembre 2023 (AP Photo/Michel Euler)
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, regarde l'Assemblée nationale à Paris, lundi 11 décembre 2023 (AP Photo/Michel Euler)

Le ministre de l’Intérieur a-t-il tenté de soudoyer des députés pour faire passer la loi immigration ? C’est ce que dénonce la présidente du groupe La France insoumise à l'Assemblée Mathilde Panot. "Marchander des votes pour éviter le rejet de sa loi immigration, contre des gendarmeries, des brigades de gendarmes mobiles ? Ces faits, s'ils sont avérés, sont une atteinte grave à l'exercice démocratique !", a-t-elle affirmé sur X, après la publication d’un article de Paris Match évoquant les cas de trois députés LR qui auraient été approchés par le ministre. L’Insoumise a saisi mardi la procureure de la République sur ces faits “pouvant s’apparenter à de la corruption d’élus par Gérald Darmanin”, selon elle. Le principal intéressé a annoncé son intention de porter “plainte pour diffamation et dénonciation calomnieuse”. Le marchandage des votes est-il illégal ?

L’achat de vote strictement interdit

“Un ministre n’a pas le droit d’acheter le vote d’un député, de le payer pour cela”, nous explique Benjamin Morel, maître de conférence en droit public à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas. Il en est de même pour un député qui solliciterait un ministre en échange d'une faveur.

Ces faits qui relèvent de la corruption active sont encadrés par le Code pénal. L'article 433-1 précise : “Est puni de dix ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 000 000 € (...) le fait, par quiconque, de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques à une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public, pour elle-même ou pour autrui pour qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte lié à sa fonction ou son mandat."

L’encadrement plus flou du marchandage de votes

En revanche, d’autres méthodes, moins directes, ne sont pas expressément illégales. “La première est la politique du 'baril de porc', héritée d’un concept américain, ajoute le constitutionnaliste. Un amendement ou une disposition législative favorable à une circonscription, purement opportuniste donc, peut être ajouté à une loi en vue d’obtenir des votes.”

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L’autre méthode, celle dénoncée par Mathilde Panot, repose sur des apports matériels. “Ils ne vont pas avoir pour objectif de soutenir économiquement et personnellement le député, mais d’apporter une plus-value dans sa circonscription, comme favoriser l’implantation d’une brigade de gendarmerie ou d’une entreprise”, illustre Benjamin Morel. Le vote du député étant réputé libre et inconditionné, ce type de pacte ne peut pas être engagé par un contrat.

La difficulté de la preuve

Mais sans écrit, prouver qu’il y a une forme de favoritisme ou de corruption est extrêmement difficile. “Pour qu’il y ait un contentieux, il faut démontrer que des moyens publics ont été détournés pour acheter le vote ou que l'intérêt public n'est pas desservi", précise le maître de conférence. Dans le cas d'une promesse de brigade de gendarmerie, il faudrait démontrer qu'elle n'est pas nécessaire dans la circonscription, ce qui est rarement le cas, et qu'elle a été promise de manière explicite en échange d'un vote.

Généralement, les subventions obtenues servent au financement des projets d'intérêt général de la circonscription. La corruption ne peut donc pas être établie, surtout sans enrichissement personnel du député. La pratique du marchandage de votes, qui peut soulever des questions sur la légitimité d'un vote, serait donc globalement tolérée. "Ce système est très développé aux Etats-Unis, conclut Benjamin Morel. C'est presque institutionnalisé à cause de la déstructuration des partis politiques. En réalité, c'est très révélateur d'un système. Sans majorité et quand structurellement vous êtes faibles, le marchandage est un outil couramment utilisé pour faire passer des lois".

Ce n’est pas la première fois que ces marchandages de votes sont décriés. En mars dernier, lors des discussions à l'Assemblée nationale sur la réforme des retraites, plusieurs députés ont accusé des membres du gouvernement d'avoir tenté de monnayer leurs votes. "Un conseiller de [la Première ministre Elisabeth] Borne m'a appelé. Il m'a dit que si un sujet me tenait à cœur, il pouvait faire quelque chose si je m'abstenais… mais j'ai coupé court", a par exemple raconté un député Liot à un journaliste de LCI.

VIDÉO - L'Assemblée nationale rejette la loi immigration, une déroute pour le gouvernement