« Il m’a fallu 25 ans pour sortir des codes de la virilité avec mes amis mecs et le faire a changé ma vie »

« Il fallait être fort tout le temps, ne jamais montrer ses émotions ou essayer d’être vulnérable. De toute façon, il ne fallait pas faire attention les uns aux autres »
Kentaroo Tryman / Getty Images/Maskot « Il fallait être fort tout le temps, ne jamais montrer ses émotions ou essayer d’être vulnérable. De toute façon, il ne fallait pas faire attention les uns aux autres »

TÉMOIGNAGE - J’ai pendant longtemps rêvé d’avoir des « vrais amis ». Que ce soit au sein d’équipes sportives ou avec mes amis d’enfance, j’ai toujours été très entouré. Pourtant, j’étais souvent mal à l’aise dans mes relations sociales, et en recherche perpétuelle de quelque chose que je ne saisissais pas.

C’est seulement à l’âge adulte que j’ai compris qu’il y avait un problème dans la majorité de mes amitiés, principalement masculines. Entre la compétition, la difficulté à se montrer vulnérable et l’absence d’empathie, je me sentais très seul dans ma « bande de potes » qui correspondait pourtant aux clichés de films et de série.

Dans les amitiés masculines, la compétition est omniprésente

J’ai grandi dans une famille où la compétition entre frères était monnaie courante. À 4 ans, j’ai commencé à pratiquer un sport collectif que je n’ai jamais quitté, dans un milieu très masculin. On m’y a inculqué des valeurs comme l’entraide et le dépassement de soi, mais aussi, moins volontairement, l’idée d’une hiérarchie liée à la performance des uns et des autres et la compétition pour gagner sa place sur le terrain.

Pendant mon collège, j’ai passé quelques années en sport études en internat. Les adolescents que je côtoyais étaient tous très sportifs, et nous avions des relations ambivalentes : en public, les relations de dominations étaient très marquées et les « bizutages » assez agressifs. Mais en groupe plus restreint, notamment avec mes camarades de chambre, j’ai découvert mes premières vraies « amitiés entre mecs ». Nous étions isolés, éloignés de nos familles et de nos amis, et forcés de partager les émotions intenses que nous vivions tous.

Quand mes résultats scolaires ont chuté, j’ai quitté l’internat et je suis rentré au lycée dans ma ville natale, où j’ai retrouvé mes amis d’enfance. À 15 ou 16 ans, nous étions un peu plus âgés et très conscients des enjeux qui pesaient sur nos amitiés. Au lycée, il fallait être « cool », et pour une bande d’une dizaine de mecs, cela passait par répondre à certains codes.

Être « cool », c’était être détaché

C’était tout un apprentissage qui n’avait pas de raison d’être. Pour être accepté dans le groupe, il fallait être complètement détaché de tout, faire comme si rien ne nous touchait pour avoir l’air « cool ». Entre les cours, il ne fallait pas trop s’empresser de rejoindre la bande sous peine de passer pour un mec collant. Et un mec collant, « ça fait pitié ».

Il fallait être fort tout le temps, ne jamais montrer ses émotions ou essayer d’être vulnérable. De toute façon, il ne fallait pas faire attention les uns aux autres, ne jamais s’attendre après les cours, ne jamais se demander quoi que ce soit. C’était en même temps étrange et en même temps la norme.

Il y avait une hiérarchie assez marquée avec un « leader » et des affinités différentes qui coexistaient dans la bande. Mais l’important était d’être validé par le groupe, y compris dans les histoires de cœur qui commençaient. Si tu étais intéressé par une fille qui n’était pas valorisée par tout le monde, tu rentrais dans la catégorie « bouffon », c’était la honte, il ne fallait pas le dire. Et bien sûr, la compétition était permanente, sur à peu près tous les aspects de notre vie amicale.

J’ai commencé à me sentir seul dans ma bande de potes

Cette bande de potes a été le gros de ma vie sociale pendant une dizaine d’années, jusqu’au début de l’âge adulte. Je n’ai jamais remis en question ces dynamiques entre nous : pour moi, c’était juste nos manières de faire. Quand, à la fac, j’ai commencé à rencontrer des mecs qui montraient d’autres types de masculinité, d’autres manières d’être amis entre eux, je me disais juste « Ils viennent d’un autre environnement, ils ont des codes différents », sans m’interroger plus que ça.

Autour de 23 ans, la vie d’adulte a commencé à apporter son lot d’épreuves, mais cette dynamique a persisté. Entre la fac, mes petits boulots et mon investissement sportif, j’avais un emploi du temps surchargé et un temps de vie sociale limité. J’ai commencé à ressentir un malaise, parce que j’avais besoin de parler et qu’en face, on ne m’écoutait pas. Le jour où une grosse déception amoureuse m’a mis très mal, j’ai appelé un de ces amis. Il est arrivé, je lui ai dit « ça ne va pas trop » et il m’a répondu « Ah ok » avant de parler d’autre chose. Après quinze minutes à l’écouter parler, je suis parti. J’ai senti le vide de notre relation, et je me suis senti très seul. Pendant les soirées que nous passions ensemble, il arrivait parfois qu’un des mecs, un peu éméché, nous dise « J’ai pas besoin de vous, si demain on ne se voit plus, ça ne me fera rien », comme pour prouver quelque chose.

Ce que j’ai gagné en apprenant à être vulnérable avec mes amis

Ma vie amicale a pris un tournant quand j’ai rencontré ma partenaire actuelle. La voir interagir avec ses amis et, par extension, les voir interagir avec moi sans compétition ou fausse désinvolture m’a permis d’expérimenter d’autres manières d’être ami entre mecs. En parallèle, le confort du couple me permettait d’avoir moins peur de me sentir seul.

J’ai commencé à choisir plus activement avec qui je passais du temps. Avec les quelques amis de la bande avec qui je me sentais à l’aise, j’ai commencé à apprendre à sortir de ce faux détachement qui était la norme et j’ai arrêté de voir les autres. Petit à petit, je me suis entouré de personnes qui me ressemblaient plus et avec qui j’ai développé des relations plus sincères, et surtout bien plus spontanées puisqu’elles n’impliquaient pas de faire semblant de s’en foutre.

Parce que ces relations me faisaient sentir que je pouvais être aimé comme je suis sans avoir à respecter des codes, je me suis laissé aller à plus de vulnérabilité. J’ai eu des conversations plus profondes avec des amis, dont j’ai découvert après plusieurs années d’amitié qu’ils avaient parfois des traumas similaires aux miens et qu’on pouvait se soutenir sincèrement dans la guérison. Aujourd’hui, quand mes amis me demandent comment je vais, si je ne vais pas bien, je le dis. Et je n’ai plus peur de me faire rejeter parce que je parle trop, au contraire. Je sais que je peux en parler et me sentir soulagé et moins seul, parce que mes amis me donnent de l’empathie. Je sais que nous sommes capables de créer des espaces où se livrer, où sortir de la compétition.

Et souvent, je me demande : comment est-ce que j’ai pu accepter comme la norme, pendant aussi longtemps, des relations qui ne m’épanouissaient pas ?

Ça peut sembler anodin, mais cela change considérablement la vie. Avoir des relations plus saines avec mes amis mecs, apprendre à être vulnérable, ça m’a aussi permis de mieux me comprendre. Être sincère avec les autres, c’est aussi être sincère avec soi-même, et c’est précieux.

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