"Ma mère s'est effondrée": l'annonce aux proches, une autre épreuve pour les malades du cancer
"Papa, maman, asseyez-vous, j'ai quelque chose à vous dire." Aurélie se souvient "comme si c'était hier" de cet appel téléphonique. Juste après avoir appris qu'elle était atteinte d'un cancer gynécologique, à l'âge de 39 ans, elle informait ses parents du diagnostic.
"Au ton dramatique que j'ai pris au bout du fil, ils ont tout de suite compris", se remémore cette femme, désormais âgée de 43 ans. "Je n'ai pas eu à prononcer le mot 'cancer', j'ai juste dit que les résultats n'étaient pas bons. Au téléphone, ma mère s'est totalement effondrée."
"Elle s'est mise à hurler et encore aujourd'hui son cri résonne en moi, tandis que mon père, lui, s'est muré dans un silence profond depuis ce jour-là."
Apprendre le diagnostic a été "un énorme choc, et William et moi avons fait tout ce que nous pouvions pour absorber et gérer en privé, pour le bien-être de notre jeune famille", a expliqué Kate Middleton au moment de son annonce publique. De la même manière, Aurélie se souvient d'une "douche froide".
"Un point de bascule"
"J'étais submergée par un milliard de questions, et je n'étais moi-même pas encore dans le combat, je réalisais à peine", confie-t-elle cinq ans après. Dans ce contexte, elle ne se sentait "pas encore armée" pour gérer "les émotions des autres". Elle a pu, "par chance" dit-elle, compter sur sa tante, touchée par le cancer par le passé. C'est elle qui a pris le relais pour accompagner ses parents, avec qui elle se trouvait au moment de l'annonce.
"L'annonce à ses proches est toujours un moment charnière, un point de bascule parmi les différentes étapes de la maladie", explique Isabelle Huet, présidente de Rose Up, une association qui accompagne les femmes atteintes d'un cancer.
"Il faut garder en tête qu’il n'y a pas de méthode pour bien s'y prendre, ni une seule façon de dire les choses", insiste-t-elle. "Cela va dépendre du caractère des uns et des autres. Mais c'est un moment qui en général reste gravé."
En effet, quatre ans après, impossible pour Emma d'oublier cette matinée ensoleillée au cours de laquelle elle a débarqué chez sa mère pour lui apprendre qu'elle avait un cancer du sein.
"Toute ma vie je garderai cette image d'elle, sereine et tout sourire, en train de déjeuner tranquillement au soleil dans son jardin", raconte-t-elle. "Mon cœur battait a 100 à l’heure, je me demandais comment j'allais bien pouvoir lui dire et quels mots j'allais devoir utiliser. Je savais qu'au moment où je prononcerais le mot, plus rien ne serait comme avant."
"On renvoie l'idée de la mort"
"Je me suis finalement mise à pleurer et j'ai lâché la bombe dès qu'elle m'a demandé si ça allait", se souvient Emma, aujourd'hui âgée de 37 ans. "Comme si j'avais voulu enlever le pansement d'un coup sec pour m'en débarrasser." "C'est pas vrai!?", lui répond d'abord sa mère, totalement déboussolée, avant de reprendre ses esprits pour endosser un rôle de matriarche. "On va y arriver, on est une famille", lui lance-t-elle finalement.
Une posture de soutien et d'accompagnement qui pas toujours facile à endosser pour les proches, qui peuvent aussi sombrer dans le désespoir. "Tout le monde n'est pas fait du même marbre et on ne le vit pas tous de la même manière", reconnaît Emma qui, comme la plupart des malades, a été confrontée à de multiples réactions.
D'autant qu'une fois la famille et les amis plus proches au courant, la tâche ne s'arrête pas là. S'en suit alors une succession d'annonces auprès de l'employeur, des services administratifs ou encore de connaissances plus lointaines. "Ça fait un choc a tout le monde", tente d'analyse cette ancienne graphiste, en pleine reprise d'études dans le domaine médical.
"Le mot 'cancer' a quelque chose de mortifère", tente-t-elle d'analyser. Qu'on le veuille ou non, on renvoie aux gens l'idée de la mort et personne n'est préparé pour ça."
"Certains vont être dans l’évitement, d'autres dans la panique ou le catastrophisme, d'autres encore vont être curieux", résume-t-elle. Il faut constamment prendre une posture différente en fonction de l’interlocuteur qu'on a en face de soi."
Emma dit par exemple avoir été contrainte de "secouer" un peu son père, en dépression à ce moment-là. "Je l'ai pris entre quatre yeux pour le booster", se souvient-elle. "Du moins lui dire que j'avais besoin qu'il soit là et lui demander si je pouvais compter sur lui, parce que je ne pouvais pas me laisser abattre."
"Une pression supplémentaire"
Face à la tristesse de leurs proches, les malades se sentent parfois obligés de montrer un visage confiant et optimiste, même quand leur moral est au plus bas. "On voit que les femmes qu’on accompagne prennent beaucoup sur elles pour essayer de ne pas inquiéter leur famille ou leurs amis", explique Isabelle Huet de Rose Up. "Ça leur met finalement une pression supplémentaire sur les épaules".
En juillet 2023, Cécile est diagnostiquée d'un cancer colorectal. Mais elle n'a pas vraiment le temps d'encaisser la nouvelle. Dans les jours qui suivent, la jeune femme de 33 ans se souvient avoir dû passer son temps à rassurer ses parents et ses amis proches, particulièrement inquiets.
"C'est très dur parce qu'on n'est pas bien soi-même mais on attend du malade qu'il dise qu'on va bien et que tout va bien se passer, on essaie d'arrondir les angles parce que l'annonce est tellement violente", explique-t-elle.
"J'avais ma propre peine à gérer mais aussi celle des autres", résume-t-elle aujourd'hui avec le recul.
Si elle est lassée d'entendre des phrases toutes faites telles que "bon courage" ou "ça va aller", Cécile a aussi dû faire face à la maladresse de certains proches. "Je pensais que ce serait ton dernier Noël", a par exemple lâché sa sœur.
Des propos violents, mais que la trentenaire a appris à encaisser, parce qu'elle comprend que "les gens ne sont pas toujours armés" pour évoquer ces sujets-là. "Beaucoup ne savent pas quoi dire quand on leur apprend quelque chose d'aussi dramatique."
C'est la raison pour laquelle un certain nombre de patients font même le choix de cacher la maladie à une partie de leur entourage. Emma a ainsi préféré ne pas annoncer son cancer du sein à sa grand-mère de 91 ans.
Une manière de "la préserver" compte tenu de son âge avancé. Elle a soigneusement sélectionné la poignée de personnes avec qui elle souhaitait partager la nouvelle. "Je voulais vivre ça en toute intimité et être tranquille dans mon cocon, dans la bulle de combat que je me suis construite", résume-t-elle.
Verbaliser ou faire le choix du silence
De la même manière, Aurélie a cette fois choisi de ne pas dire à ses parents de 74 ans que son cancer de l'ovaire avait récidivé en janvier dernier. "Je sais qu'ils sont de nature anxieuse et je ne veux pas les tuer avant l'heure", explique-t-elle. "Je ne veux surtout pas avoir à leur faire cette annonce une nouvelle fois, ni revoir la tristesse sur leurs visages."
Pour de nombreux malades, la question se pose aussi pour les plus petits. Faut-il les mettre au courant? Dans la vidéo ou elle annonce être atteinte d'un cancer, Kate Middleton confie avoir eu besoin d'"un certain temps" pour expliquer "de manière appropriée" à ses trois enfants George, Charlotte et Louis qu'elle était atteinte d'un cancer.
"On pourrait être tenté de ne pas le dire pour les préserver, mais il faut en parler", assure Karen Kraeuter, psychologue clinicienne spécialisée en oncologie. Selon elle, "toutes les études ont montré qu'il était favorable de le dire à ses enfants, peu importe leur âge, pour des raisons psychologiques", tout en adaptant bien sur son vocabulaire à l’âge de ces derniers.
"L'enfant n'est pas bête, il sent les choses", confirme Stéphanie, touchée par un cancer du sein. L'enseignante belge et son mari ont tout de suite décidé de dire la vérité à leur fille de 5 ans, puis de se faire aider de livres pour enfants et d'un psychologue lorsqu'il fallait lui annoncer des choses plus graves.
"De toute façon quand je suis rentrée à la maison le soir, elle a bien vu que je pleurais donc ça ne servait à rien de lui mentir", estime la quadragénaire. "On lui a expliqué calmement que j'étais malade en évoquant une masse au sein et en lui disant que ce n'était pas normal mais qu'on n'allait pas laisser ça là."
De son côté, Aurélie n'a jamais voulu "dramatiser la chose" avec son fils de 4 ans, mais a quand même tenu à utiliser le mot "cancer", " afin de nommer la maladie, même si ça ne voulait pas dire grand-chose pour lui". "Avec lui je n'ai pas fait de grande annonce solennelle car de toute façon je n'avais au début pas tous les tenants et les aboutissants de ce qui allait se passer", explique-t-elle. "Pour ne pas l'inquiéter inutilement, je l'ai fait progressivement, à chaque étape."
Pas une, mais plusieurs annonces
Car, il n'y a bien souvent pas qu'une seule annonce à faire, souligne encore Isabelle Huet. "C’est en plusieurs temps", rappelle-t-elle. "D'abord celui du diagnostic, celui de l'annonce des traitements par lequel le malade va devoir passer, sans parler des résultats d'examens, des potentielles complications ou encore des éventuelles rechutes."
"Ce n'est pas simple à gérer, dans la mesure ou les proches sont bien souvent complètement démunis et manquent de clés, surtout s'il s'agit du premier cas autour d'eux", ajoute-t-elle. "Il y a beaucoup d'incompréhension des deux côtés et même s'il est super bien entouré, le malade a toujours un peu l’impression d'être en décalage avec les autres car personne ne peut réellement comprendre ce qu'il traverse."
Dans tous les cas, les professionnels de santé comme les patients s'accordent à dire que les proches ont un rôle crucial dans l'accompagnement du malade. Aujourd'hui en rémission, Stéphanie voit tout cela "comme un ascenseur émotionnel sur le long-terme". "Pour nous les malades, comme pour nos proches qui se sentent impuissants face à tout ça."