« Ma mère est bipolaire, et m’occuper d’elle prend toute mon énergie. Si je le fais, c’est parce que je l’aime. »
BIPOLARITÉ - J’ai eu une enfance heureuse avec mes deux parents, jusqu’à ce qu’ils se séparent quand j’avais 13 ans et que la bipolarité de ma mère ne prenne le pas sur notre relation. Elle a peu à peu arrêté d’être une maman. Aujourd’hui, j’ai 35 ans et je vis en Belgique, alors qu’elle habite dans le sud de la France.
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Et depuis quelques années, j’ai abandonné la relation mère/fille que nous avions. Nous n’avons plus qu’un rapport d’aidant, car m’occuper d’elle me prend tout mon temps et toute mon énergie. Ses phases maniaques sont plus faciles à gérer, contrairement à ses phases de down, qui sont très intenses. La séparation l’a plongée dans une profonde dépression, et c’est à partir de ce moment que j’ai commencé à m’occuper d’elle.
Je l’ai fait de manière assez naturelle, car je voyais bien qu’elle ne parvenait pas à gérer son quotidien. Ça a commencé par changer ses ampoules, puis par lui acheter l’électroménager qui ne marchait plus… C’est aussi moi qui prenais les décisions pour partir en vacances alors que je n’avais que 15 ans. Parallèlement, je devais gérer ses longues phases de dépression, où elle ne sortait plus de son lit. Elle me disait des choses affreuses et m’accablait de reproches.
À l’adolescence, je ne comprenais pas ce qui lui arrivait et personne ne m’a aidée. Je suis fille unique, et les autres membres de ma famille étaient dans le déni. J’ai vécu de grands moments de solitude. Ce n’est que vers mes 18 ans qu’un psychiatre a posé le diagnostic de la bipolarité. Mais là encore, nous ne voulions pas regarder la réalité en face, et il y a eu un long temps de latence entre le diagnostic et le moment où on a pris en compte sa maladie.
« J’étais devenue sa référence »
Pourtant, durant l’adolescence, nous avions des moments de fusion dans notre relation. On faisait tout ensemble, on sortait, on faisait du shopping. Pendant ses phases de dépression, c’est moi qui la motivais pour sortir du lit et faire des activités. J’étais devenu sa référence. Mais tout d’un coup, tous ses problèmes étaient de ma faute. Elle me disait que je l’abandonnais quand j’allais voir mes copines par exemple.
La vingtaine a été très conflictuelle. Son discours n’était pas logique et je ne le comprenais pas. Je ressentais beaucoup de colère. Le fait que je parte de la maison l’a beaucoup déstabilisée. Les premiers temps, quand j’étais au téléphone avec elle, ma mère me faisait culpabiliser de ne pas assez rentrer. Je pleurais dès que je raccrochais. Et lorsque je venais la voir, elle me faisait culpabiliser de ne pas passer assez de temps avec elle.
Après une grosse dispute vers mes 22 ans, j’ai commencé à comprendre qu’elle était malade et qu’elle n’y était pour rien. J’ai réussi à différencier les choses, entre ce qu’elle disait et la réalité, et que tout n’était pas de ma faute. J’ai commencé à mettre des barrières, à espacer les appels. J’ai arrêté de tenter de lui faire comprendre la réalité. Le discours dans ma tête a changé, et le fait de me dire qu’elle était malade m’a enlevé l’idée que j’allais la sauver.
« Je n’arrive même plus à la prendre dans mes bras »
Malgré notre relation difficile, je n’ai jamais arrêté de l’aider. C’est par exemple moi qui lui ai acheté sa voiture avec son argent. C’est aussi moi qui l’ai poussée à tourner la page de notre maison de famille, car elle ne pouvait plus s’en occuper ; j’ai organisé la vente. Je suis sa béquille car elle perd un peu ses moyens lorsqu’elle doit prendre une décision. Je m’assure aussi qu’elle a bien pris ses rendez-vous, qu’elle a bien mangé, qu’elle a bien rempli ses papiers pour la retraite… Toute mon énergie est dédiée à la logistique et à son bien-être émotionnel.
Si j’assure tout ce suivi avec elle, c’est parce que je l’aime. Mais le rôle d’aidant me prend tellement de place que je n’arrive même plus à la prendre dans mes bras. Ma mère aimerait avoir une fille avec qui elle part en vacances, avec qui elle peut faire des câlins. Mais elle ne se rend pas compte que je ne peux pas lui offrir ce qu’elle souhaite. Je trouve ça très triste.
Avec elle, je parle très peu de moi. Elle ne me pose pas de questions sur mes relations depuis que je me suis séparée il y a deux ans et je ne lui raconte rien. Si je me laisse trop aller, il y a des choses que je peux dire et qui la perturbent. Alors c’est plus simple de ne pas parler de moi. Je pense que j’ai abandonné l’idée que ma mère redeviendrait la maman que j’ai connue, à l’époque ou la maladie était bien moins présente.
« J’en veux aux adultes qui ne m’ont pas soutenu »
Quand je repense à mon adolescence, j’en veux aux adultes qui ne m’ont pas soutenue. S’ils l’avaient fait, ça m’aurait peut-être enlevé les doutes où je me disais que j’étais le problème. Je ne savais pas si certaines choses étaient normales à l’époque, et aucun adulte n’était là pour me le dire. Mon père aussi a été dans le déni. Il a beaucoup culpabilisé d’être parti, et pendant longtemps, il a cru que c’était à cause de lui que ma mère était comme ça. Certes, ça n’a pas aidé, mais elle était avant tout malade.
En revanche, je n’en veux pas à ma mère. Je vois bien qu’elle fait son maximum, je sais qu’elle m’aime et que la bipolarité est une maladie. J’ai aussi de moins en moins peur d’être moi aussi bipolaire à mon tour. Cette maladie se déclenche assez tôt, et elle aurait pu apparaître après ma rupture, mais je n’ai pas totalement pété les plombs.
Aujourd’hui, mon but est d’assurer à ma mère un cadre où elle peut vivre. Elle est encore un petit peu dans le déni, et ne se rend pas compte à quel point elle est déconnectée. Même si elle me fait encore des reproches, ce n’est pas grave, tant qu’elle est heureuse et qu’elle peut vivre de la plus belle des manières possibles. Moi, je navigue avec ma marge de manœuvre.
*Ce prénom a été modifié
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