Louis de Funès: ses anciens partenaires racontent ses dernières années

Louis de Funès et Michel Galabru dans
Louis de Funès et Michel Galabru dans

En 1981, lorsqu'il tourne La Soupe aux choux, Louis de Funès doute. Malgré ses 2,4 millions d'entrées, son projet de cœur L'Avare (1980) n'a pas rencontré le succès habituel pour une de ses productions et les critiques ont été sans pitié. Comme L'Avare, La Soupe aux choux est un projet personnel qui doit lui permettre de se renouveler avant de tourner un inévitable sixième volet du Gendarme.

Grand amateur de science-fiction, Louis de Funès s'est pris de passion pour ce roman de René Fallet, qui raconte l'amitié entre un paysan et un extraterrestre. L'acteur admire la prose de Fallet et sa charge contre la désertification rurale, qui s'inscrit parfaitement dans la lignée de L'Aile ou la cuisse et de La Zizanie, où de Funès dénonce les mutations d'une société française en pleine industrialisation.

Toujours aussi populaire - Le Gendarme et les Extra-terrestres a réuni en 1979 treize millions de spectateurs à travers l'Europe -, la vedette est cependant lasse des efforts déployés pour se maintenir en tête du box-office. "Vous savez, au cours de ma vie, j'ai causé des problèmes pour des choses qui n'en valaient pas la peine. Je me suis rendu malade", confie-t-il à sa partenaire Christine Dejoux entre deux prises de La Soupe aux choux. "La vie, c'est comme un train. Ça va vite, Il ne faut pas causer de problèmes pour ce qui n'en vaut pas la peine."

"Il souffrait d'être devenu une star à 50 ans"

Toujours en forme à l'écran, bien qu'il soit de plus en plus émacié, l'acteur commence à montrer en coulisses des signes de fatigue, accentués par les pressions commerciales qui s'exercent sur lui. Alors figurant dans Le Gendarme et les Extra-terrestres, Lambert Wilson se souvient d'un monsieur "sinistre", "triste" et "assez angoissé", dont on pouvait lire sur le visage les "responsabilités lourdes".

https://www.youtube.com/embed/S-TS5PFMKnA?rel=0

Pour combler son amertume, de Funès s'entoure de sa troupe (Michel Galabru, Claude Gensac, Maurice Risch) et confie la mise en scène de ses films à Jean Girault, son réalisateur fétiche depuis Pouic Pouic (1963). "Il avait un droit de regard. Aucun acteur n'était présent sur le plateau sans qu'il ait donné son accord", confirme Bernard Seitz, assistant réalisateur de ses derniers films.

"Louis de Funès voulait travailler avec des gens comme moi ou Grosso et Modo [qui jouent les gendarmes Gaston Tricard et Jules Berlicot, NDLR]", confirme Maurice Risch, qui a joué dans cinq de ses films entre 1966 et 1982. "Quand il trouvait un gag, on se comprenait tout de suite. Il n'y avait pas besoin d'explications pour que l'on comprenne où il voulait en venir."

Plus il avançait en âge, plus Louis de Funès aimait s'entourer de jeunes comédiens, le plus souvent issus du Conservatoire, à qui il prodiguait des conseils et confiait ses doutes. "Il souffrait d'être devenu une star à 50 ans et avait envie de lancer des gens", précise Sylvie Lancrenon, la photographe de plateau de L'Avare. "Quand il avait deux minutes, il venait s'asseoir auprès de moi. Il me demandait ce que je faisais, ce que je préparais", se souvient Pierre Aussedat, qui joue le clerc dans cette adaptation de Molière que de Funès a rêvé de réaliser pendant vingt ans.

Les tournages avaient pour eux des airs de colonie de vacances. Certains se souviennent de l'acteur buvant des coupettes de champagne en cachette de sa femme. D'autres se remémorent, le sourire aux lèvres, ses anecdotes de tournage et de ses imitations: "De Funès imitant un moustique reste un des grands moments de mon existence!", s'amuse Catherine Serre, une des quatre gendarmettes du dernier Gendarme. Entre deux prises, il pouvait aussi jouer du piano - divinement bien. "Dès que Christian Fechner [le producteur de La Zizanie et de La Soupe aux choux, NDLR], approchait pour écouter, Louis s'arrêtait net en disant: 'Il n'a pas payé'!", se souvient Jean-Jacques Moreau.

"Il n'a pas fait ce qu'il avait rêvé de faire dans La Soupe aux choux"

Sur le plateau, les célébrités défilaient. Alain Delon a débarqué pendant L'Avare, Johnny Hallyday pendant Les Gendarmettes, pour rendre visite à son épouse de l'époque, Babeth Étienne, qui avait hérité d’un des rôles principaux du film. C'est sur le plateau du Gendarme, dans la peau de Ludovic Cruchot, que de Funès se sentait le mieux. "C'est le moment où je l'ai connu le plus en forme. Il nageait dans un bonheur total", confirme Maurice Risch, qui a rejoint la série sur Les Extra-Terrestres.

Ces tournages étaient d'autant plus agréables pour l’équipe que les films étaient déjà vendus dans toute l'Europe et assurés de casser la baraque au box-office. Sans parler des conditions de travail: "On venait nous appeler à la plage quand on devait aller tourner. Ils nous avaient demandé de rester au cas où ils avaient une idée. On est donc resté quatre mois à Saint Tropez, très bien installés."

Les tournages étaient pourtant loin d'être une sinécure pour Louis de Funès. Christine Dejoux se souvient d'une star qui perdait confiance en elle et peinait à imposer ses idées: "Christian Fechner m'a raconté ce que voulait faire Louis dans La Soupe aux choux. Il avait envie d'un autre jeu, de travailler dans un autre registre. Sauf qu'en face de lui il y avait Jean Carmet et Jacques Villeret. Quand Fechner a vu les rushes, Louis était un peu en dessous. Louis a donc un peu monté [le niveau de son jeu]. Il n'a pas fait ce qu'il avait rêvé de faire dans ce film. C'est dommage."

Quarante ans après, Christine Dejoux se souvient de la frustration de ce "grand acteur qui n'a pas pu montrer le dixième de ce qu'il était capable de faire": "Ce qui est à l'image n'a rien à avoir avec ce que j'ai vu. Je l'ai vu quand il me donnait la réplique. Et après j'ai vu le film. J'ai vu les prises qui ont été gardées. Lorsque la caméra était sur moi, ce qu'il faisait été formidable, sensible, et le metteur en scène [Jean Girault] lui demandait de faire son numéro habituel."

En 1980, alors âgé de 66 ans, il n'avait déjà plus l'énergie qu'il avait encore en lui en 1977, sur le tournage de La Zizanie: "Le metteur en scène, c'était lui sur La Zizanie", assure Pierre-Olivier Scotto, qui a décroché dans le film de Claude Zidi le rôle de l'imitateur de Louis de Funès. "C'était lui qui construisait les gags. Zidi était là pour filmer, mais [de Funès] dirigeait même Girardot. Elle n'était d'ailleurs pas contente du tout. Ils ne s'entendaient pas du tout sur le tournage. Il était très autoritaire. Il avait la main sur le film. Il imposait la rythmique des scènes. Et Girardot suivait."

Interdiction de tourner la nuit et les week-ends

Ce travail était harassant pour le comédien, qui devait se ménager depuis son infarctus en 1975. Son jeu avait d’ailleurs changé: "Dans La Zizanie, il faisait beaucoup moins de prises que dans Rabbi Jacob", indique Jean-Jacques Moreau, qui a joué dans les deux films. "Il avait moins d'énergie. Il était moins sur ressort. Il fallait qu'il se préserve." Le retour au théâtre de Louis de Funès dans Oscar (1971-1973) puis dans La Valse des toréadors (1973-1974) et la préparation de ce qui devait être son cinquième film avec Gérard Oury, Le Crocodile, l'avaient beaucoup fragilisé.

https://www.youtube.com/embed/s-dSg5ljQI8?rel=0&start=794

Sur les tournages, il était accompagné par son médecin traitant, qui n'hésitait pas à l'arrêter quand il était trop fatigué, et par Georges Maurer, dit Jojo. Cet ancien catcheur - "assez impressionnant", selon Maurice Risch - était devenu à sa sortie de prison le garde du corps de Louis de Funès, sur les conseils de Gérard Oury et Michèle Morgan.

Sa vie était réglée comme du papier à musique. Le tournage en studio était obligatoire. L'équipe travaillait la semaine et jamais le week-end. Les journées étaient courtes, les horaires fixes avec une pointeuse et l'atmosphère studieuse. La star devait aussi faire deux heures de sieste chaque jour - ce qui ralentissait le plan de travail:

"C'était compliqué, parce qu'il avait un droit de regard contractuel", raconte Bernard Seitz. "Quand il revenait de sa sieste, on lui montrait ce qu'on avait fait pendant qu'il dormait. La plupart du temps, ça lui plaisait. De temps en temps, il y avait un truc qui ne lui plaisait pas et on le refaisait - même si ce n'était pas un plan avec lui. Je me souviens que sur La Soupe aux choux, on avait fait un plan de Jean Carmet qui ne lui plaisait pas du tout. Jean [Girault] avait mis la caméra un peu bas, je crois - et on l'a refait."

Louis de Funès avait aussi l'interdiction de tourner la nuit, poursuit Bernard Seitz: "Ça nous a imposé une manipulation assez importante sur La Soupe aux Choux. On avait construit les maisons sur un terrain derrière Brie-Comte-Robert, dans l'Est parisien. On a dû les démonter pour les mettre sur le grand plateau du studio d'Epinay, pour qu'on puisse tourner les scènes de nuit. Ce fut un surcoût gigantesque pour le producteur, mais Fechner était amoureux de Louis de Funès. Tout était possible pour lui."

"J'ai été très étonnée qu'il meure très peu de temps après"

Les tournages étaient de plus en plus difficiles à supporter. Celui de L'Avare, en 1979, ne fut pas de tout repos en raison de sa double casquette de réalisateur et d'acteur. Il avait opté pour des séquences assez longues, tournées à deux ou trois caméras. La scène du monologue de la cassette fut ainsi tournée avec une équipe réduite pour le préserver, mais dans un jardin à Senlis par -7 degrés: "Je me souviens qu'il avait été transi de froid", note Bernard Seitz. Tourné en studio, La Zizanie fut aussi un calvaire pour le comédien qui devait jouer dans un décor de maison dont émanaient fumée et brouillard qui le faisaient tousser.

https://www.youtube.com/embed/JsPEChlyVHo?rel=0&start=92

Il ne laissait pourtant rien paraître. Sur le tournage des Gendarmettes, en 1982, rien ne laissait présager sa disparition quelques mois plus tard, début 1983. "Je le trouvais très en forme sur le tournage. J'ai été très étonnée qu'il meure très peu de temps après", indique Sylvie Lancrenon. "Fufu" restait encore très exigeant, ajoute Catherine Serre: "Il y a des scènes que l'on a dû reprendre vingt, vingt-cinq fois jusqu'à ce qu'il soit content. Il assistait à tout. Il supervisait tout. Il était là sans arrêt. Il venait même sur les scènes où il ne tournait pas."

Nouvel infarctus

"Il s'était vachement bien retapé, mais au lieu d'être à 10.000 à l'heure, il était à 9.500 à l'heure - ce qui est déjà inatteignable pour beaucoup de gens", ajoute Patrick Préjean, qui joue un des gendarmes. Peut-être puisait-il dans ses dernières réserves pour diriger les comédiens et terminer le film, sachant que son vieux complice Jean Girault était déjà très malade. "Le SAMU nous l'amenait tous les matins. Ils le posaient sur un fauteuil. Louis essayait de tenir, mais il avait beaucoup de mal", raconte Maurice Risch.

Girault est mort de la tuberculose sur le tournage. "Ça a été un choc. On a arrêté le tournage, on est rentré à Paris et on a repris tout en studio", indique Catherine Serre. Tony Aboyantz, l'assistant de Girault, a terminé le film et de Funès a tenu jusqu'à la fin, dignement. Mais l'éclat de ses yeux bleus perçants s'était terni. Et l’ambiance était beaucoup plus morne.

Sorti en octobre 1982, le film réunit 4,2 millions de fidèles. Quelques mois plus tard, Louis de Funès accepte la proposition d’une bande de jeunes comiques, le Splendid, de jouer dans une parodie de films sur la Résistance. Mais l’acteur s’éteint, après un nouvel infarctus, le 27 janvier 1983, quelques semaines avant le premier coup de manivelle. Il est remplacé par son vieil ami, Michel Galabru, dans ce film dont le titre résume à merveille la fin de sa carrière: Papy fait de la résistance.

Article original publié sur BFMTV.com