"Dans l'intérêt de Macron": une liste dirigée par le patron des chasseurs se lance dans les européennes
Willy Schraen, le numéro un des chasseurs et le lobbyiste Thierry Coste, proche de l'Élysée, montent une liste pour défendre le mode de vie rural. Considérée par certains comme une manière d'affaiblir le Rassemblement national, cette initiative fait monter la pression dans le camp de Jordan Bardella et d'Éric Zemmour.
Une liste aux européennes pour défendre la ruralité qui aurait le mérite d'abîmer le Rassemblement national. C'est le programme que va dévoiler ce mardi 5 décembre à Paris l'Alliance rurale, composée de Willy Schraen, le patron de la fédération nationale des chasseurs mais aussi de vedettes à l'instar de l'ex joueur de rugby Louis Picamoles.
"On veut rassembler très largement ceux qui en ont marre des technocrates de Bruxelles qui font tout pour nous empêcher de vivre dans nos campagnes", résume à BFMTV.com Thierry Coste, lobbyiste et tête pensante de l'initiative.
"Le président pense que c'est dans son intérêt"
Cet ancien agriculteur, dont les bureaux se situent à quelques pas de Matignon, se présente également comme le conseiller "ruralité" d'Emmanuel Macron. Celui qui a ses habitudes à l'Assemblée et au Sénat ne fait d'ailleurs pas semblant. Il explique avoir informé l'Élysée de sa démarche dès le mois d'avril.
"C'est très clair qu'il ne se serait pas lancé si on ne lui avait pas dit banco. S'il y va, c'est que le président pense que c'est dans son intérêt", traduit un député Renaissance qui connaît bien le monde de la chasse.
Dans les rangs de la macronie, nombreux sont ceux à considérer que cette liste est une chance. Dans un scrutin qui s'annonce compliqué pour la majorité présidentielle avec des premiers sondages qui donnent le Rassemblement national en tête, toute candidature qui peut mordre sur l'électorat de Jordan Bardella a du bon.
"Notre but, c'est d'arriver en tête. Ce qui peut abîmer les autres est bon signe", traduit un sénateur macroniste qui affirme au passage que "les chasseurs ont eu tout ce qu'il leur fallait ces dernières années".
"Automobilistes" et "motards" dans le viseur
Selon nos informations, le chef de l'État s'est cependant dit agacé des rumeurs qui le disent favorables à cette initiative. Le président, qui n'est pas lui même pas un pratiquant, a cependant multiplié les gestes ces dernières années vers le milieu de la chasse, de la division par deux du prix du permis à l'autorisation des silencieux en forêt en passant par la future possibilité d'acheter des cartouches de carabine dans les bureaux de tabac.
Mais la liste qui devrait également compter "un médecin, une infirmière, des entrepreneurs, des jeunes" veut viser bien plus large que le million de Français qui disent pratiquement régulièrement la chasse.
Au menu: "les mécontents qui visent à la campagne", dixit un patron de fédération locale de chasse qui évoque tous azimuts "les automobilistes qui n'en peuvent plus du prix à la pompe", "les motards qui prennent cher avec le nouveau contrôle technique" et "ceux qui n'ont toujours pas de 3G avec les zones blanches".
Un quasi passage obligé pour avoir une chance électoralement parlant: le nombre de chasseurs a été divisé par presque deux en vingt ans et se chiffre désormais à un million de pratiquants.
"Des ficelles un peu grosses"
"Quand on voit ce qui se passe aux Pays-Bas, ils ont leurs chances quand même si on dépasse les questions liées directement à notre pratique", sourit un collaborateur de la fédération nationale de la chasse.
En mars dernier, le mouvement Agriculteur-citoyen qui n'a alors qu'une seule élue dans tout le pays, arrive à la surprise générale devant le parti libéral, actuellement au pouvoir lors d'élections parlementaires.
Dans un pays qui ne compte que 4% d'agriculteurs, ce parti a su capitaliser sur un positionnement euro-sceptique, opposé à l'immigration et très critique des écologistes.
Autant dire que la nouvelle n'a rien de positive pour le Rassemblement national qui a fait ses meilleurs scores dans le périurbain et les campagnes à la présidentielle comme aux législatives.
"Les ficelles sont un peu grosses. On va pouvoir rappeler quand même que Thierry Coste, c'est Macron et que c'est lui qui aggrave la situation quotidienne de millions de Français", tance Philippe Ballard, porte-parole du groupe de Marine Le Pen à l'Assemblée nationale.
La tête de liste Willy Schraen a de son côté appelé à voter Emmanuel Macron dès le premier tour en 2022.
La défense de "l'enracinement, la tradition", "pas bon" pour Zemmour
À Reconquête, on affiche la même sérénité, du moins officiellement. "Ce n'est pas parce qu'on aligne quelques noms connus qui sont sensibles à la ruralité que les gens ont envie de voter pour eux", avance ainsi Stanislas Rigault, l'un des cadres du mouvement d'Éric Zemmour.
Plusieurs figures de liste défendent pourtant ostensiblement des valeurs très proches de celle de l'ex candidat à la présidentielle comme Camille Hoteman, la "26e reine d'Arles", un titre honorifique qui vise à représenter "la culture provençale" ou encore Robert Margé, l'une des stars de l'élevage de taureaux qui défend "l'art de vivre de la tauromachie".
"Ils vont aller sur l'enracinement, la tradition, le bon sens. C'est vraiment pas loin de notre positionnement. Et puis Thierry Coste a du métier", soupire ainsi l'un des lieutenants de l'ex candidat à la présidentielle.
Difficile de le contredire: c'est lui qui était à la manœuvre pour Chasse, pêche, nature et traditions qui avait recueilli en 1999 à la surprise générale plus de 6% des voix avec en tête de liste Jean Saint-Josse.
"L'angoisse" pour les LR
De quoi permettre de faire rentrer 6 députés au Parlement européen et de mordre sérieusement sur les listes de la droite dirigées à l'époque par Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy.
C'est encore Thiery Cosse qui a aidé Nigel Farage, l'ancienne figure anglaise du Brexit, à lancer la Countryside alliance en 1997, véritable tremplin politique quelques années plus tard pour le Britannique. Dans les rangs des Républicains, on ne fait d'ailleurs même pas semblant d'afficher l'indifférence cordiale du RN et de Reconquête.
"Ce n'est vraiment pas une bonne nouvelle du tout. Déjà que ça va être très compliqué, si en plus on a un obstacle en plus, ça devient l'angoisse", soupire ainsi un député européen LR.
"Un calcul un peu hasardeux"
Manifestement soucieux de ses bonnes relations avec l'ensemble de l'échiquier politique, le lobbyiste des chasseurs a déjeuné ces derniers mois avec Jordan Bardella, Laurent Wauquiez et Éric Ciotti. Sans guère faire l'unanimité dans le camp du président.
"Espérer que des gens qui ne voudraient pas voter pour nous votent pour d'autres qui, à la fin sont proches de nous, me semble un calcul un peu hasardeux", tance un ministre venu de la droite.
En cas de succès, le succès de l'Alliance rurale aurait surtout l'allure d'une bonne nouvelle le soir des élections. Thierry Coste promet qu'elle ne pas siégera pas avec les élus macronistes au Parlement européen. Une façon comme une autre de ne pas se considérer comme un poisson-pilote du président.
Article original publié sur BFMTV.com
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