"L'impression que le monde s'écroule": le traumatisme de voir un proche accusé de violences sexuelles

Il y a plusieurs années, un camarade de promotion d'Anaïs* a agressé sexuellement une autre étudiante de leur université. "J'en ai beaucoup voulu aux personnes qui sont restées amies avec lui", confie-t-elle. "Pourtant, aujourd'hui, je reproduis exactement la même chose."

En avril dernier, elle a appris que son frère aîné avait agressé une femme. Sa sœur jumelle est également au courant: elles ont toutes les deux reçu un SMS de ce dernier. "J'ai déconné avec Paloma*", écrivait-il, sans plus de détails. Depuis, Anaïs n'en parle pas. "Même mes amis les plus proches ne sont pas au courant car je ne veux pas qu'ils jugent mon frère ou qu’ils me jugent moi", confesse-t-elle.

Avec son frère, elle fait comme si de rien n'était. "Même si je suis sûre que ce qu'il a fait était l’erreur d’une fois, il m'arrive parfois d'imaginer que mon propre frère puisse s'attaquer à moi, c’est une vision terrible", sanglote-t-elle. Si elle a déjà pensé à le confronter, couper les ponts lui paraît impossible.

"J'aurais l'impression de briser toute ma famille, ma mère va être anéantie et ça va foutre un immense bordel", exprime-t-elle.

"Tous mes principes féministes ont été balayés"

Quelle attitude adopter face à un proche agresseur? Responsable des programmes d'En Avant Toute(s), une association qui lutte contre les violences faites aux femmes, Louise Delavier constate que cette question se pose beaucoup au sein de la structure, qui reçoit de nombreux témoignages en ce sens. "C'est vrai que dans les discours militants, il se dit qu'il faut couper les ponts, mais dans la réalité, c'est plus compliqué que ça", détaille-t-elle.

"Quand ça nous touche personnellement on arrête de voir tout noir ou tout blanc", abonde Adèle, dont le meilleur ami a été accusé de viol par son ex-petite amie l'année dernière. Lui nie en bloc. "Je m'en veux encore aujourd’hui de cette réaction mais comme une conne je lui dis directement: 't'inquiète je te crois, je suis là pour toi'", raconte Adèle.

"Je me suis pris une claque dans la tête, tous mes principes féministes ont été balayés en un instant", ajoute-t-elle.

"Au fond, je savais très bien que si quelqu'un de mon entourage restait ami avec un violeur, je ne lui pardonnerais pas, mais là clairement j'essayais de me trouver des excuses", explique la jeune femme.

La sidération

Au début de l'ère #MeToo, les affaires apparaissent comme un sujet lointain: il s'agit de personnalités comme Harvey Weinstein ou encore Johnny Depp... "Ça restait l’Autre mais aujourd'hui on voit que l'agresseur peut être tout le monde, quelqu'un qu'on côtoie, quelqu'un de gentil…", détaille Louise Delavier.

Quentin se souvient du choc quand il a appris que son colocataire était accusé. "Un jour, j'ai un appel d'un numéro inconnu", se remémore-t-il. "C'était sa copine. En larmes, elle m'explique qu’elle a dû partir de l'appart, que son copain la menace physiquement au couteau et qu'il lui fait du chantage au suicide."

"L'appel dure une heure et vraiment je tombe des nues", confie-t-il à BFMTV.com.

Commence alors une longue remise en question. Quelques mois avant cet appel, Quentin avait déjà eu écho d'une autre histoire: "Ils s'étaient engueulés et il l'avait soulevé par la ceinture et plaqué contre un mur", relate-t-il. Son ami s'était alors justifié "par son caractère impulsif et le fait que sa copine le poussait à bout". "Donc quand elle me raconte tout, je la crois, mais je suis extrêmement choqué", dit-il.

"Depuis qu'il était avec elle, je trouvais qu'il sortait moins, que sa copine l'isolait… Donc là, je m'en suis voulu d'avoir pensé que c'était elle le problème alors que c'était lui", témoigne Quentin.

"Les montagnes russes"

"En fait, tout le long, c'est les montagnes russes", décrit Coline. Le lendemain d'une soirée à la fac, elle apprend que son meilleur ami est accusé d'avoir commis une agression sexuelle la veille sur une fille de sa promotion. "Je me suis dit que c'était impossible", explique-t-elle.

Peu après, elle rencontre cette femme pour discuter de sa plainte. Elle commence alors à se dire que les accusations sont peut-être vraies. "Je me sentais mal de douter de lui car c'était quelqu'un à qui je tenais énormément et à qui je me confiais", souffle-t-elle.

"C’était une horreur cette situation", déplore Coline, qui a dû aller témoigner au commissariat pour parler du comportement de son ami "qui avait toujours été hyper clean avec (elle)". "J'avais le cul entre deux chaises car je ne voulais pas porter préjudice à mon ami et en même temps je ne voulais pas non plus mettre cette fille en porte-à-faux", ajoute-t-elle.

"On a du mal à imaginer nos proches faire ça parce qu’on a une représentation faussée du viol, d'autant plus lorsque c'est quelqu'un de notre famille, car on ne l'imagine même pas avoir une vie sexuelle", analyse Louise Delavier, de l'association En Avant Toute(s).

"L'impression que le monde s'écroule"

Lorsqu'elle a appris que son frère avait agressé une femme, Anaïs est ainsi restée décontenancée. "C'était mon grand frère, la personne que je voyais un peu comme un exemple, je l'admirais beaucoup… Ça a tout pulvérisé", regrette la jeune femme.

"Dès que j'y pense, j'ai l'impression que le monde s'écroule", confie-t-elle.

"J'ai toujours eu l’impression d’avoir des amis hommes safe, j'estime faire attention aux personnes avec qui je m'entoure", témoigne Adèle, qui s’est "sentie trahie" par son meilleur ami. "Je pensais évident que mes potes partageaient mes valeurs", déplore-t-elle.

Au moment des accusations contre son ami, Coline, elle, s'est repassé en boucle les moments passés en sa compagnie, parfois seule avec lui: "Pour avoir vécu des choses un peu similaires je me suis dit que c’était impossible que lui soit responsable de ce genre d’actes horribles."

S'est posée pour elle la question de qui croire. La plainte contre son meilleur ami, qui nie les faits, a été classée sans suite. "Je sais que le fin mot de l'histoire on ne l'aura jamais et c'est hyper frustrant", réagit-elle.

"Je trouvais que cette fille en faisait franchement des caisses", affirme-t-elle. Elle explique que la victime présumée racontait cette histoire à tout le monde "dans les détails". "Elle allait même voir les profs, comme si elle essayait de ruiner sa réputation."

"C'est peut-être un acte de colère parce qu'elle a vécu quelque chose de traumatisant", pense-t-elle au début. En effet, elle a elle-même été victime d'une agression sexuelle. "Mais j’ai mis des années à en parler, ne serait-ce qu'à ma mère, encore moins à le crier sur tous les toits", confie Coline.

La jeune femme explique s'en vouloir "énormément" d'avoir remis en cause la parole de son ami. "C'est presque comme si j'avais trahi sa confiance", estime-t-elle.

"Au final, je me suis 'rangée' de son côté ou plutôt du 'je m'en mêle pas'", explique-t-elle, confiant avoir vécu un véritable "ascenseur émotionnel".

Des étapes "comme lors d’un deuil"

Pour savoir comment gérer la situation, Adèle s'est tournée vers son groupe d'amis. "On s'est dit que chacun faisait ce qu'il voulait mais il m'a fallu cette confrontation avec mes potes pour me réveiller en quelque sorte", raconte-t-elle.

La jeune femme hésite. Elle cherche d'abord à parler à son ami de ses actes et gestes pour qu'il réalise leur gravité et ne recommence pas. Puis décide finalement de rompre le contact.

"J'étais d'abord extrêmement triste, puis super en colère, j'ai l’impression d’être passée par des étapes presque comme lors d'un deuil", confie la jeune femme.

Encore aujourd'hui, elle rumine son choix. "Quand j'ai coupé les ponts avec mon meilleur ami, il n'était pas bien psychologiquement", raconte-t-elle. "S'il se passe quelque chose je m'en remettrai jamais."

Une crainte d'isolement partagée par de nombreux proches d'agresseurs. "J'ai remarqué que je lui parlais un peu par pitié parce que beaucoup de gens avaient coupé les ponts avec lui et qu'il disait avoir des idées noires", confie Quentin, qui n'a désormais quasiment plus de contact avec son ancien colocataire. Il explique que "la confiance était rompue" et qu'il avait "de moins en moins envie de lui parler ou de répondre à ses messages".

Des proches "aussi victimes"

"Si on décide d'aider des auteurs de violences, il est important de se fixer nos limites", estime Louise Delavier. "Il ne faut pas se forcer, ça peut être mouvant et on n'est pas obligé de le faire." D'autant qu'apprendre qu'un proche, en qui on a confiance, peut avoir commis des violences sexistes ou sexuelles peut être vécu comme un véritable traumatisme.

"Les gens n'ont souvent pas encore conscience qu'ils sont eux aussi victimes", explique la militante féministe.

Louise Delavier insiste: les proches d'agresseurs sont tout autant légitimes à demander de l'aide. Pour se faire accompagner, Quentin a ainsi contacté une association de lutte contre les violences sexistes et sexuelles pour des conseils et parle énormément avec son entourage. Il songe désormais à voir un psychologue.

* Le prénom a été changé.

Article original publié sur BFMTV.com