La France laisse filer le déficit sans assumer un chiffre

Contraint de revoir en catastrophe son projet de budget 2019 pour y intégrer les concessions d'Emmanuel Macron aux "Gilets jaunes", le gouvernement a renoncé mardi à contenir le déficit public dans les limites européennes, sans précision à ce stade. /Photo prise le 10 décembre 2018/REUTERS/Jean-Paul Pelissier

PARIS (Reuters) - Contraint de revoir en catastrophe son projet de budget 2019 pour y intégrer les concessions d'Emmanuel Macron aux "Gilets jaunes", le gouvernement a renoncé mardi à contenir le déficit public dans les limites européennes, sans précision à ce stade.

Le glissement du déficit au-delà des 3% du PIB, inéluctable après l'annonce par le chef de l'Etat de mesures notamment à destination des salariés au smic et de certains retraités - a été reconnu en creux par le ministre de l'Action et des Comptes publics Gérald Darmanin mardi.

"Le déficit public va se creuser par l'effet des annonces, notamment de baisse de fiscalité que propose le président", a-t-il dit aux sénateurs, qui s'apprêtaient à voter un projet de loi de finances pour 2019 déjà caduc, puisque les dernières annonces gouvernementales devront être incluses avant la nouvelle lecture à l'Assemblée, la semaine prochaine.

Au moment de la présentation du PLF fin septembre, le gouvernement tablait sur un déficit public équivalant à 2,8% du produit intérieur brut (PIB) l'an prochain. Un chiffre intégrant un élément exceptionnel ("one-off"): la transformation du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) en baisse de charges pérenne, qui représente 0,9 point de ce total.

Pour préciser devant le Sénat l'impact des concessions consenties par l'exécutif ces dernières semaines, Gérald Darmanin a appuyé sa démonstration sur le chiffre du déficit 2019 corrigé de cette mesure exceptionnelle.

"Notre déficit public (...) est de 1,9" et il a été dégradé, à 2% du PIB, du fait des aménagements déjà votés par le Parlement, a-t-il expliqué.

DIX MILLIARDS

Les annonces du Premier ministre Edouard Philippe la semaine dernière sur l'abandon de la taxe carbone et le maintien de l'avantage fiscal sur le gazole non routier (GNR) pour les entreprises représentent un montant de quatre milliards d'euros et celles d'Emmanuel Macron avoisinent six milliards d'euros, a-t-il ajouté.

L'abandon de la hausse de la CSG pour la plupart des retraités coûtera "autour de 2 milliards" et la défiscalisation des heures supplémentaires "autour de 1,6 milliard", a-t-il dit. La troisième mesure était une augmentation de 100 euros de la rémunération pour les salaires au niveau du smic.

Gérald Darmanin a expliqué que ces dix milliards d'euros au total représentaient 0,5 point de dégradation, ce qui amènerait le pays "autour de 2,5 de déficit public" compte non tenu du "one-off" autorisé par la Commission européenne pour le CICE.

Mais les discussions avec l'exécutif européen porteront sur la totalité du déficit public 2019, et non sur le déficit hors effet bascule du CICE.

Le déficit public français pourrait donc atteindre 3,4% du PIB l'an prochain faute de mesures d'économies supplémentaires, alors que le PLF 2019 doit être adopté d'ici la fin du mois.

Interrogé mardi matin sur BFM TV, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a exclu un décalage de la bascule du CICE, comme suggéré par certains économistes.

Des économies seront faites notamment "dans le mode de fonctionnement de l'Etat", a poursuivi le porte-parole du gouvernement. "Nous allons réduire la voilure de certains services de l'Etat", a-t-il dit.

DES ÉCONOMIES, MAIS LESQUELLES ?

L'exécutif reste cependant flou sur les économies censées émaner du programme "Action publique 2022".

S'il a réaffirmé l'objectif de supprimer 50.000 postes dans la fonction publique d'Etat d'ici à 2022, seules 1.600 suppressions ont été confirmées en 2018 puis 4.500 en 2019. Pour 2020, l'objectif dépasse les 10.000 mais rien n'est encore inscrit dans le marbre.

La piste des économies ne convainc pas forcément.

Pour Michel Martinez, économiste de la Société générale, il est peu probable que le coût des mesures soit compensé par des économies, "d'autant plus que le président Macron n'en a évoqué aucune dans son discours".

"Selon toute vraisemblance, le déficit public 2019 dépassera le seuil de 3%. Nous ne prévoyons cependant pas qu'il s'approche de 3,5% du PIB, auquel cas il faudrait passer par des hausses de taxes sur les entreprises", écrit-il dans une note.

A cette équation budgétaire déjà complexe s'ajoute le fait que le budget 2019, avant la prise en compte de ces dispositions, a été construit sur une prévision de croissance de 1,7%, qui apparaît désormais quasiment impossible à atteindre.

Les répercussions du mouvement des "Gilets jaunes", entamé mi-novembre - qu'il s'agisse des blocages ou des violences qui l'ont émaillé - devraient en effet pénaliser la croissance de la fin d'année 2018 et par ricochet celle de 2019.

La Commission européenne a précisé mardi qu'elle réexaminerait le budget de la France au printemps, quand elle publiera ses prochaines prévisions économiques.

(Myriam Rivet, Simon Carraud et Leigh Thomas, édité par Yves Clarisse)