Pour l'autonomie de la Corse, l'inspiration de la Polynésie française

Gérald Darmanin et Gilles Simeoni reprennent les négociations sur l'évolution du statut de la Corse. Le gouvernement pourrait s'inspirer de l'exemple polynésien, pour arriver à un compromis. (photo d'illustration prise à Cargese en Corse le 25 mars 2022, jour des funérailles d'Yvan Colonna, décédé après une agression en prison) (Photo: JULIEN DE ROSA via AFP)

Gérald Darmanin et Gilles Simeoni reprennent les négociations sur l'évolution du statut de la Corse. Le gouvernement pourrait s'inspirer de l'exemple polynésien, pour arriver à un compromis. (photo d'illustration prise à Cargese en Corse le 25 mars 2022, jour des funérailles d'Yvan Colonna, décédé après une agression en prison) (Photo: JULIEN DE ROSA via AFP)

POLITIQUE - Gilles Simeoni ne cache pas son impatience: “On a perdu trop de temps, aujourd’hui nous avons la ferme intention de réussir”, lâchait l’autonomiste corse, président du Conseil exécutif, quelques jours avant la rencontre à Paris de Gérald Darmanin avec une délégation d’élus corse. Le rendez-vous de ce mercredi 20 juillet est un prélude à la visite du ministre de l’Intérieur sur l’île de Beauté pour évoquer un dossier explosif, mis sur pause depuis plusieurs mois: l’autonomie de la Corse.

Le premier quinquennat Macron n’a pas laissé de bons souvenirs aux autonomistes corses. “Si je regarde ce qu’il s’est passé jusqu’à aujourd’hui, je ne peux pas être confiant”, tacle Gilles Simeoni dans le Journal du Dimanche le 14 juillet. Le responsable corse attend du ministre de l’Intérieur un engagement ferme sur le processus d’autonomie. “Nous attendons qu’il nous donne des éléments sur le principe d’une révision constitutionnelle dès lors que l’on se mettrait d’accord sur un projet d’autonomie et qu’il nous donne des éléments de calendrier dans un horizon d’action raisonnable”, détaille-t-il.

De son côté, Gérald Darmanin s’est dit prêt à “commencer les discussions qui sont conformes à l’idée (...) d’autonomie dans la Constitution de la République française” lors de sa prochaine visite en Corse. La source d’inspiration est toute trouvée: la Polynésie française et son statut d’autonomie particulier.

Un président, une Assemblée et des symboles polynésiens

Le statut de la Polynésie française est fixé par la loi organique du 27 février 2004, qui définit une organisation proche d’un parlementarisme d’assemblée. Elle est associée à l’Union européenne avec le statut de pays et territoire d’outre-mer.

L’Assemblée de Polynésie est élue au suffrage universel direct tous les cinq ans. Le président de la Polynésie est ensuite élu à la majorité absolue parmi ses membres. C’est lui qui constitue son gouvernement, composé d’un vice-président et de sept à dix ministres. Il dirige l’action du gouvernement et décide des délibérations à soumettre à l’Assemblée. Il est aussi celui qui promulgue les “lois du pays”, dans la limite de ses compétences.

La Polynésie est aussi libre de déterminer ses “signes distinctifs permettant de marquer sa personnalité dans les manifestations publiques officielles aux côtés de l’emblème national et des signes de la République.” Le drapeau polynésien trône donc à côté des drapeaux français et européens lors des prises de parole d’Emmanuel Macron dans l’archipel, ce qui n’est pas le cas en Corse, ni dans les autres territoires ultramarins, à l’exception de la Nouvelle-Calédonie.

Emmanuel Macron, devant les drapeaux français et européens à gauche, polynésiens à droite, lors d'un discours à Tahiti, Polyénsie française, le 27 juillet 2021. (Photo: via Associated Press)
Emmanuel Macron, devant les drapeaux français et européens à gauche, polynésiens à droite, lors d'un discours à Tahiti, Polyénsie française, le 27 juillet 2021. (Photo: via Associated Press)

Emmanuel Macron, devant les drapeaux français et européens à gauche, polynésiens à droite, lors d'un discours à Tahiti, Polyénsie française, le 27 juillet 2021. (Photo: via Associated Press)

Quelles compétences? 

Toutes les lois votées au Palais Bourbon ne s’appliquent pas en Polynésie française. Ce territoire ultramarin est entièrement compétent en matière économique et sociale, d’éducation, de santé, d’équipement et d’environnement. Ainsi, pendant la crise du Covid-19, le gouvernement a fait voter une obligation vaccinale plus élargie que celle appliquée dans l’hexagone. Dans le domaine fiscal, la collectivité peut créer ses propres impôts.

L’une des revendications des Corses est l’obtention d’un “statut de résident”, notamment pour limiter la spéculation sur le foncier. Officiellement, en Polynésie, il n’existe pas. En revanche, il existe bien un droit de préemption pour empêcher une vente, “dans le but de préserver l’appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population de la Polynésie française”. Ce qui revient à peu près au même.

De même, dans le domaine de l’emploi, une mesure similaire a été votée en 2019 en Polynésie. Elle permet de favoriser l’accès à ceux qui justifient d’une durée suffisante de résidence sur le territoire ou de relations conjugales.

Le gouvernement français conserve, lui, ses compétences dans les domaines régaliens (immigration, sécurité, défense, justice), politique étrangère, de l’enseignement universitaire et monnaie.

Ce qui pourrait coincer avec la Corse

“Sur un certain nombre de points” un “statut à la Polynésienne pourrait répondre aux aspirations des autonomistes. C’est le cas pour la maîtrise de la fiscalité, la maîtrise du foncier, la priorité aux Corses en matière d’emploi, la reconnaissance de l’identité culturelle de la Corse”, analyse pour France 3 André Roux, professeur de droit public à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et auteur d’une thèse sur l’histoire de l’autonomie en Polynésie française. Toutefois, “un statut ‘à la Polynésienne’ ne serait pas transposable tel quel” en Corse, estime le constitutionnaliste. Un point en particulier pourrait bloquer: la langue corse.

En Polynésie, la loi organique de 2004 rappelle que “le français est la langue officielle de la Polynésie française”. Toutefois, le tahitien, le marquisien, le paumotu et le mangarevien sont citées comme “les langues de la Polynésie française”, bien qu’aucune co-officialité ne soit reconnue. “La langue tahitienne est un élément fondamental de l’identité culturelle: (...) elle est reconnue et doit être préservée, de même que les autres langues polynésiennes, aux côtés de la langue de la République”, précise la loi.

La co-officialité de la langue corse a été fixée par Emmanuel Macron pendant son quinquennat comme une ligne rouge. Mais Gilles Simeoni se veut optimiste: “Ces questions ont vocation à être traitées dans le processus (...) Abordons l’ensemble des problématiques sur lesquelles nous sommes au départ le plus en désaccord avec l’État.”, estime-t-il dans le JDD.

En Polynésie, l’ouverture des discussions sur le statut corse n’a pas manqué de faire réagir. À l’AFP, le 24 mars dernier, le député indépendantiste Moetai Brothersona mettait en garde les Corses contre “une autonomie de pacotille.” “Je leur dis: ne faites pas comme nous en acceptant les compétences sans obtenir les moyens. Ne vous laissez pas enfermer comme nous ad vitam aeternam dans ce statut d’autonomie.”

À voir également sur Le HuffPostLes funérailles d’Yvan Colonna à Cargèse devant une foule nombreuse et compacte

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

LIRE AUSSI: