Offensive aérienne saoudienne contre les Houthis au Yémen
par Khaled Abdallah et Sami Aboudi SANAA/ADEN (Reuters) - L'Arabie saoudite a lancé jeudi avec ses alliés sunnites de la région du Golfe une campagne d'attaques aériennes au Yémen pour repousser les Houthis chiites qui voulaient prendre Aden, le grand port du sud du pays. Le président yéménite, Abd-Rabbou Mansour Hadi, a quitté la ville où il s'était réfugié ces derniers jours pour se rendre en Arabie saoudite. Selon le directeur de son bureau, Mohamed Marem, il a gagné Ryad sous protection saoudienne et a décidé de participer en personne au sommet de la Ligue arabe ce week-end à Charm el Cheikh, en Egypte. L'Iran chiite, accusé de soutenir les rebelles, a exigé "une cessation immédiate de toutes les agressions militaires et frappes aériennes contre le Yémen et son peuple". L'Irak, dont le gouvernement est dominé par les chiites, la Syrie du président alaouite Bachar al Assad et le Hezbollah libanais ont également dénoncé cette "agression" des pays sunnites de la région contre les Houthis, qui ne peut selon eux que compliquer la situation. Quant au chef des milices houthies, Abdel-Malek al Houthi, il a prévenu dans un discours télévisé que ses combattants se battraient contre une "agression criminelle, injuste et injustifiée" de l'Arabie saoudite. Peu après l'annonce de l'offensive par l'ambassadeur d'Arabie saoudite aux Etats-Unis, dans la nuit de mercredi à jeudi, des avions de guerre non identifiés ont lancé une attaque sur l'aéroport de Sanaa, la capitale yéménite, et sur la base militaire aérienne voisine de Doulaimi, selon des habitants. Ces frappes se sont poursuivies toute la journée et à la tombée de la nuit, faisant un nombre indéterminé de morts parmi les civils. COALITION SUNNITE Un témoin a rapporté que quatre ou cinq immeubles près de l'aéroport avaient été endommagés. Les services de secours ont fait état de 13 morts, dont un médecin tué par des tirs qui ont atteint une clinique. Les forces d'Abd-Rabbou Mansour Hadi ont repris l'aéroport d'Aden tombé la veille aux mains de combattants fidèles à l'ancien président Ali Abdallah Saleh, alliés aux Houthis. Des combats de rue ont fait au moins 16 morts dans les villes de la région, notamment à Houta, capitale de la province de Lahdj au nord d'Aden. Selon la chaîne de télévision Al Arabiya basée à Dubaï, le royaume wahhabite a engagé une centaine d'avions de guerre et 150.000 soldats dans cette opération. Ryad dit ne pas avoir le projet d'une intervention terrestre pour le moment sans exclure cette option si nécessaire. L'Egypte, le Pakistan, la Jordanie et le Soudan se sont dits prêts à participer à une offensive terrestre. Les Emirats arabes unis ont mobilisé trente avions, Bahreïn et le Koweït quinze chacun, le Qatar dix, la Jordanie et le Maroc six chacun et le Soudan trois, ajoute Al Arabiya. Quatre navires de la marine égyptienne ont franchi le canal de Suez en direction du Yémen pour sécuriser le golfe d'Aden. De sources militaires égyptiennes,on rapporte que l'Egypte a participé à la campagne de bombardements. Parallèlement, à Charm el Cheikh, les ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe ont décidé la création d'une force conjointe d'intervention rapide. La Jordanie et le Soudan ont aussi confirmé leur participation à l'offensive aérienne en cours tandis que le Pakistan a dit réfléchir à la demande de Ryad d'envoyer des troupes au sol et averti que toute menace à l'encontre de l'Arabie saoudite suscitera une "forte réponse" d'Islamabad. SOUTIEN LOGISTIQUE AMÉRICAIN Les Etats-Unis, sans faire partie de la coalition, soutiennent l'opération. Le président Barack Obama a autorisé un soutien en matière de logistique et de renseignement, précise un communiqué de la Maison blanche. Federica Mogherini, Haute Représentante de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, a jugé en revanche qu'aucune action militaire n'apporterait une solution au dossier yéménite et a appelé l'ensemble des puissances régionales à agir de manière responsable. Le golfe d'Aden, étroit couloir maritime d'une quarantaine de kilomètres de large entre le Yémen et Djibouti, commande l'accès à la mer Rouge puis au canal de Suez et constitue une voie de transit majeure du commerce pétrolier mondial. Quelque 3,8 millions de barils de pétrole transitent chaque jour par le détroit de Bab-el-Mandeb, entre le golfe d'Aden et la mer Rouge. Les ports du Yémen sont fermés en raison de la situation. La situation est rendue encore plus complexe par la présence au Yémen de l'une des branches les plus puissantes d'Al Qaïda, Al Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), et par l'influence persistante au sein de l'armée yéménite de partisans de l'ancien président Saleh, chassé du pouvoir début 2012 à la suite de vastes manifestations. Dans une lettre adressée mardi au Conseil de sécurité des Nations unies, le président Hadi disait avoir demandé à la Ligue arabe et au Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Oman, Koweït, Bahreïn, Emirats arabes unis et Qatar) "de fournir immédiatement tous les moyens nécessaires, y compris une intervention militaire, pour protéger le Yémen et sa population". Pour le chef de la diplomatie des Emirats, Anouar Mohammed Gargach, "l'évolution stratégique dans la région sert les intérêts de l'Iran et nous ne pouvions rester silencieux quand on sait que les Houthis servent ces intérêts iraniens". Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré lors d'une conférence de presse que "l'Iran cherch(ait) à dominer la région". "Peut-on tolérer cela ? Cela commence à nous agacer, nous, l'Arabie et les pays du Golfe. Ce n'est vraiment pas tolérable et l'Iran doit le comprendre", a-t-il dit. La crise yéménite a provoqué une hausse de près de 4,5% des cours du pétrole jeudi sur le marché new-yorkais Nymex. (Avec les rédactions de Dubaï et Washington, Danielle Rouquié, Nicolas Delame, Bertrand Boucey et Guy Kerivel pour le service français, édité par Jean-Stéphane Brosse)