"Ils les ont laissés mourir": le récit du naufrage de migrants au large de la Grèce par une bénévole

"Ils les ont laissés mourir": le récit du naufrage de migrants au large de la Grèce par une bénévole

Un drame particulièrement meurtrier. Le naufrage d'un bateau de migrants en mer Ionienne, au large de la Grèce, a fait au moins 79 morts mercredi, ce qui en fait l'un des naufrages de migrants les plus meurtriers survenus dans la région. Des "centaines" de personnes étaient à bord, selon les gardes-côtes grecs, le bilan pourrait donc encore s'alourdir.

Bénévole pour la ligne de téléphone d’urgence Alarm Phone, Nawal Foufi a recueilli les appels à l'aide du navire et a apporté son aide à distance aux migrants en fournissant, depuis l'Italie où elle vit, les coordonnées GPS du bateau aux autorités.

Dès mardi matin, elle partage en direct les informations qu'elle reçoit sur son compte Facebook personnel et confie son inquiétude.

Une "situation dramatique"

"En train de gérer le SOS d'un bateau de 750 personnes en provenance de Libye", écrit-elle mardi à 9h33 sur son compte.

"Les gens à bord risquent de boire de l'eau de mer, l'eau s'est épuisée après le quatrième jour de voile", s'inquiète déjà Nawal Foufi.

Moins d'une heure plus tard, les craintes de la bénévole, qui évoque une "situation dramatique", semblent se confirmer. "Nous avons besoin de secours immédiat", assure-t-elle.

6 morts annoncés en fin d'après-midi

En début d'après-midi, la jeune femme précise les informations qu'elle possède concernant le bateau et fournit les coordonnées GPS exactes du lieu du naufrage.

"7 personnes à bord se sont évanouies", indique-t-elle, assurant que les autorités italiennes, maltaises et grecques ont toutes été informées de la situation. "On attend les sauveteurs", dit-elle, avant d'annoncer un peu plus tard que la Grèce promet d'envoyer eau et nourriture.

En fin d'après-midi, à 17h53, un premier bilan tombe: "6 personnes sont mortes et 2 autres sont dans un état critique", annonce Nawal Foufi, disant avoir été informée directement par les migrants. "J'espère de tout cœur que c'est un malentendu ou un moyen d'accélérer l'opération de sauvetage", veut-elle croire.

"Un grave déséquilibre risquant de faire couler le bateau"

Dans la soirée, la bénévole s'inquiète de l'évolution de la situation. Elle assure qu'un cargo venu en approche a jeté à la mer des bouteilles d'eau pour venir en aide aux migrants, mais que tout ne s'est pas passé comme prévu.

"Chaque fois qu'une bouteille était jetée, les migrants allaient tous d'un côté du bateau pour chercher de l'eau. Cela a provoqué un grave déséquilibre, risquant de faire couler le bateau", explique-t-elle, indiquant que le navire a ensuite fait naufrage.

"Nous exigeons un sauvetage immédiat de la Grèce ou de Malte", dit-elle, assurant que les secours tentent alors de "gérer la panique à bord".

"Ils les ont laissés mourir"

Mercredi matin, la jeune femme craque et laisse aller sa peine. "Mon Dieu nooooooon", s'épanche-t-elle en milieu de matinée dans un message accompagné d'émoji de pleurs.

"Nonnnnnnn. Ils les ont laissés mourir. J'ai reçu des nouvelles d'un naufrage", se lamente-t-elle encore en commentaire.

À 11h21, Nawal Foufi publie cette fois un message plus détaillé dans lequel elle rend hommage aux naufragés.

"750 n'est pas qu'un simple chiffre", rappelle-t-elle. "Leurs voix hantent mon esprit... Des dizaines et des dizaines d'appels, de pleurs, de cris", se souvient-elle avec émotion.

Parmi ces appels, elle évoque notamment celui d'un homme, Will, avec lequel elle a échangé quelques secondes. "Il avait l'air de mourir de soif. Il ne pouvait plus dire un mot. Il me suppliait, me disant d'informer n'importe quel pays européen de venir les chercher", déplore-t-elle.

Confusion à bord

Plus tard dans la soirée, Nawal Foufi raconte dans un long récit que le naufrage est survenu alors que les migrants étaient "perdus". Voyant un cargo arriver dans leur direction, aucun ne savait "s'il s'agissait d'une opération de sauvetage ou d'un moyen de mettre leur vie encore plus en danger".

Restée au téléphone avec eux mardi matin jusqu'au soir aux alentours de 23 heures, elle assure avoir tenté par tous les moyens de les rassurer et de leur promettre que les secours étaient en route. Elle se dit persuadée que les migrants n'avaient "pas l'intention de continuer le voyage vers l'Italie, car ils ne savaient pas comment naviguer pour se rendre dans les eaux italiennes".

L'un des migrants lui confie avant le naufrage: "J'ai l'impression que ça va être la dernière nuit de notre vie".

"Leurs mots restent dans mon esprit"

Touchée par les appels qu'elle a reçu, elle rend hommage à ces migrants disparus, à "leur détermination" et à "leur volonté". "J'aimerais dire à cette femme et à cet homme (avec qui j'ai échangé) qu'ils sont de vrais héros. (...) Leurs mots, sortant d'une gorge sèche après des jours passés en mer, sont des marques qui restent dans mon esprit", assure-t-elle.

"Toute l'Europe doit agir! Les cris de ces enfants ne sont-ils pas arrivés au siège des institutions de l'UE?", interroge-t-elle.

Dans un tweet, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) dénonce mercredi cette nouvelle "tragédie" qui, estime-t-elle, rappelle la nécessité d'une "action concrète et globale des États pour sauver des vies en mer et réduire les voyages périlleux".

Article original publié sur BFMTV.com