La France doit s'armer contre la guerre "informationnelle", selon un rapport

par Sophie Louet

PARIS (Reuters) - La France doit mieux s'armer contre les manipulations de l'information à l'échelle étatique, singulièrement contre les "cybertroupes" russes, en se dotant notamment d'une véritable structure de détection et de parade sur internet et en s'extrayant du seul prisme électoral pour anticiper les menaces futures, souligne un rapport rendu public mardi.

L'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire, qui dépend du ministère des Armées, et le Centre d'analyse, de prévision et de stratégie, lié au ministère des Affaires étrangères, ont enquêté sur cette "guerre" nouvelle, dont l'illustration emblématique en France furent les "Macron Leaks" lors de la campagne présidentielle de 2017.

Tout en se défendant d'être anti-russes, les auteurs relèvent le rôle prépondérant du Kremlin dans l'"offensive informationnelle" envers les puissances occidentales.

"Ce n'est pas faire preuve de russophobie que de constater que toutes les ingérences récentes dans des référendums (Pays-Bas, Brexit, Catalogne) et des élections (Etats-Unis, France, Allemagne) sont liées, de près ou de loin, à la Russie", peut-on lire dans le rapport qui a donné lieu à des déplacements dans vingt pays, dont la Russie et les USA, ainsi qu'auprès de trois organisations : Union européenne, Otan, OSCE.

"Moscou n'est certes pas le seul acteur étatique qui utilise ces tactiques, mais c'est le seul qui les utilise aussi bien, depuis aussi longtemps, qui les a érigées en doctrine officielle et dont la stratégie assumée est d'affaiblir l'Occident", souligne le rapport, dont Reuters a obtenu une copie.

AFFAIBLIR L'EUROPE

Les auteurs citent notamment l'"usine à trolls" de Saint-Pétersbourg, financée par le Kremlin, dont l'existence a été révélée en 2013 par des journalistes russes, accusée d'ingérence dans la campagne américaine de 2016.

Ou encore la création de "cyber-brigades", "l'arsenalisation" des médias traditionnels, avec des organes de propagande comme Sputnik et RT, fustigés publiquement par Emmanuel Macron en 2017 lors d'une conférence de presse avec Vladimir Poutine, des campagnes de manipulation présumée en Syrie, la création de fausses ONG ou le recours au "Darknet".

Le rapport fait également état de SMS envoyés aux familles de militaires ukrainiens pour leur annoncer leur mort au combat, "ce qui suscite généralement des appels vers les soldats et permet par la concentration des signaux de détecter leur localisation pour ensuite les bombarder".

"Beaucoup d'autres feront demain ce que les Russes ont longtemps été les seuls à faire, ou à faire aussi bien", mettent en garde les auteurs, en prédisant une extension du champ de bataille à de nouveaux fronts comme l'Afrique et l'Amérique latine.

"Pour affaiblir l'Europe, les Russes pourront utiliser ces populations comme proxy (intermédiaire-NDLR)" notamment en Afrique du Nord aux fins d'une propagande anti-immigration.

Sur le long terme, le rapport met en exergue l'intérêt croissant des acteurs russes pour les infrastructures de communication que sont les câbles sous-marins et les satellites.

"L'APPROCHE PAR LE HAUT A SES LIMITES"

Pour autant, "il faut résister à la tentation d'utiliser la Russie pour expliquer tous nos maux, de l'élection de Trump au Brexit, et donc nous déresponsabiliser", indique le rapport.

Il faut "sortir du court terme, qui est souvent un prisme électoral (...) pour prendre conscience que le combat est quotidien".

Dans ce cadre, les auteurs formulent 50 recommandations à destination des Etats, de la société civile et des acteurs privés, notamment les géants du Web, pour faire face à une menace qui ira selon eux crescendo. Et prônent d'"écouter la société civile, notamment les journalistes", alors qu'une proposition de loi polémique sur les "fausses nouvelles" est pendante au Parlement français.

Les auteurs ne contestent pas la nécessité de légiférer mais mettent en garde contre la surrégulation. "Le premier rempart contre les manipulations de l'information (...) doit rester la société civile", car "l'approche par le haut a ses limites", notent-ils en évoquant le risque contre-propagandiste.

La coopération avec la société civile pourrait s'approfondir au sein d'une structure dédiée, qui pourrait "prendre différentes formes, de la mise en réseau de personnes ressources aujourd'hui disséminées dans différents services à la création d'un centre doté de son personnel propre", peut-on lire.

Le Danemark et la Suède, notamment, disposent déjà d'une "task force" spécifique.

La France, selon le rapport, doit s'atteler à "l'élaboration constante et actualisée" de scénarios de menace en testant notamment les procédures avec des "red teams".

(Edité par Yann Le Guernigou)