L’Ukraine dans l’Otan ? Pourquoi la France a changé d’avis depuis le début de la guerre avec la Russie

Les pays membres de l’Otan se réunissent à Vilnius, en Lituanie. Emmanuel Macron se dit, depuis peu, favorable à l’intégration de Kiev dans l’Alliance.

INTERNATIONAL - C’est un revirement dans la politique étrangère française. Emmanuel Macron a appelé le 28 juin dernier à « définir un chemin pour concrétiser la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’Otan ». Des mots forts prononcés à seulement quelques jours du sommet de l’Alliance atlantique qui s’ouvre ce mardi 11 juillet à Vilnius, en Lituanie.

Ces propos font suite à ceux formulés à Bratislava fin mai, où le chef de l’État avait déjà enjoint les alliés de l’Ukraine à « l’inclure dans (une) architecture de sécurité » et s’était dit « favorable à (lui) donner des garanties de sécurité tangibles et crédibles ». « Il nous faut être beaucoup plus ambitieux que nous ne le sommes parfois sur ces questions », avait-il souligné.

Des déclarations surprenantes puisqu’en décembre 2022, Emmanuel Macron avait écarté la possibilité d’intégrer Kiev dans l’Otan dans une interview au Monde. Ce « serait perçu par la Russie comme quelque chose de confrontationnel. Ce n’est pas avec cette Russie-là que vous pouvez l’imaginer », avait-il alerté, avant d’estimer que l’entrée de Kiev dans cette organisation de 31 États n’était « pas le scénario le plus vraisemblable ».

« L’Ukraine a payé le prix du sang »

Ce virage à 180 degrés du président « marque une rupture avec la position traditionnelle de la France et d’un certain nombre de pays comme Allemagne depuis sommet de Bucarest en 2008 », a affirmé Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l’Otan et spécialiste des questions de défense, fin juin sur France culture.

À cette époque, « au terme d’un compromis assez laborieux, on avait dit à l’Ukraine “vous avez vocation à rejoindre la famille euroatlantique mais nous n’allons pas engager le processus d’adhésion à proprement parler” », a-t-il rappelé. Une sorte de oui en théorie, mais pas en pratique. Paris et Berlin, rejoints par Washington, sont depuis restés très frileux. Le début de la guerre déclenchée par la Russie a conforté leur position, car intégrer Kiev obligerait les membres de l’organisation à défendre leur allié et s’engager directement dans ce conflit comme le stipule l’article 5 du traité.

Mais un « changement » est en train de s’opérer du côté français, confirme au HuffPost Olivier Schmitt, professeur de relations internationales au Centre d’étude sur la guerre de l’Université du sud Danemark. « Jusque-là, il y avait deux camps qui s’affrontaient : les néo-idéalistes − pays de l’est, nordiques, pays baltes – qui estiment que l’Ukraine a payé le prix du sang pour défendre les valeurs occidentales » et ceux, dont Emmanuel Macron était l’un des chefs de file, qui craignent la colère de Moscou.

La France s’est « trompée »

« Le discours de Bratislava montre la tentative de la France de se rapprocher du premier camp », souligne Olivier Schmitt. Le sujet aurait même été abordé lors d’un conseil de défense le 12 juin, rapporte Le Monde. Ironie de la situation, « pendant quelques semaines, les observateurs des pays d’Europe centrale et baltes avaient des doutes sur la sincérité de l’engagement français. Mais les diplomates ont fait un bon service après-vente » et réussi à les convaincre, ajoute le chercheur.

Pourquoi ce revirement ? Chacun y va de son explication. Pour Camille Grand, « c’est l’aspiration très forte des Ukrainiens à rejoindre l’Otan : 91 % le souhaitent contre 50 % il y a quelques années. C’est encore un grand succès pour Vladimir Poutine ». Par ailleurs, ajoute l’expert, « l’adhésion à l’Otan paraît plus facile à gérer que l’envoi de troupes, ou une assistance sans fin et illimitée pour garantir sa sécurité ».

D’après Olivier Schmitt, la France s’est rendu compte qu’elle s’était « trompée sur l’invasion de l’Ukraine, sur les relations avec la Russie et ce qu’elle pouvait attendre de Moscou », perdant ainsi « en crédit et en capacité d’influence ». Il faut dire que le président français avait froissé ses alliés après avoir affirmé qu’il ne fallait pas « humilier » la Russie et lui accorder des « garanties de sécurité » au sortir de la guerre afin de ne pas répéter les erreurs de 1918 qui conduisirent à l’avènement de l’Allemagne nazie.

À présent Emmanuel Macron veut « créer les conditions d’une coopération » et « espère rétablir une forme de légitimité pour avoir un rôle dans un accord de paix ou de cessez-le-feu », complète-t-il.

L’Otan et les « garanties de sécurité »

À rebours de ces analyses, le chercheur à l’Institut Jacques Delors Cyrille Bret également interrogé par LeHuffPost, rejette toutefois l’idée de « rupture » dans le discours français : « Je vois surtout des éléments de continuité, car la France a toujours assuré son soutien à l’Ukraine que ce soit à propos de sa souveraineté, ses choix diplomatiques militaires... Il était illusoire de penser que Paris était hostile à l’entrée de Kiev dans l’Otan. »

Et malgré l’ouverture d’Emmanuel Macron, impossible d’imaginer que l’Ukraine puisse intégrer l’Alliance atlantique tant que la guerre est en cours. Joe Biden l’a assuré lors d’une interview ce dimanche 9 juillet : « Je ne pense pas qu’elle soit prête. » « Je ne pense pas qu’on ait une unanimité dans l’Otan pour faire entrer - ou non - l’Ukraine (...) au beau milieu d’une guerre », a également dit le président américain.

Kiev pourra néanmoins compter sur d’autres garanties de sécurité qui seront au cœur des discussions au sommet de Vilnius. Qu’est-ce que cela signifie ? Cyrille Bret liste le déploiement de troupes aux frontières entre l’Otan et l’Ukraine, des instruments de dissuasion conventionnels à l’égard de la Russie, l’envoi de matériel ou encore la formation de personnels. Olivier Schmitt se veut plus prudent : « Personne ne sait vraiment ce que cela recouvre. Ce sera la surprise. »

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