L’IA dans la musique : un « outil révolutionnaire » qui pose un « nouveau challenge » aux artistes

L’artiste Benoît Carré ( ici sur l’illustration ) aime jouer avec l’intelligence artificielle pour fabriquer ses morceaux. Comme dans son album « Hello World » sorti en 2018.
L’artiste Benoît Carré ( ici sur l’illustration ) aime jouer avec l’intelligence artificielle pour fabriquer ses morceaux. Comme dans son album « Hello World » sorti en 2018.

MUSIQUE - « Pour moi c’est comme un instrument, aussi sophistiqué soit-il. » L’intelligence artificielle peut faire peur, mais pour ce musicien, il faut prendre cette nouvelle technologie plutôt comme un vivier infini d’enrichissement pour la création artistique.

Benoit Carré est compositeur et baigne dans la musique depuis son enfance. Au-delà de cette passion, le musicien est aussi en alerte sur les inventions technologiques et aime utiliser justement l’intelligence artificielle dans ses projets musicaux.

Cet enthousiasme résonne un peu à contre-courant face aux problématiques que cet objet technique provoque dans l’industrie musicale. D’abord parce que pour le moment il y a un flou juridique qui persiste sur la propriété intellectuelle de ces créations d’un nouveau genre. Puis du côté des artistes, nombreux sont réticents. À l’image du chanteur Sting selon qui a déclaré récemment  : « On ne doit pas laisser les machines prendre le dessus. Il faut rester méfiant. »

Au HuffPost, Benoît Carré développe ses motivations et la façon dont il se sert de cet objet numérique révolutionnaire, parfois jugé effrayant.

« Un moyen de sortir de sa zone de confort »

Benoît Carré fait ses premiers pas en musique par la voie assez traditionnelle, en apprenant le piano classique et jazz. En 1993, il forme un groupe de variété française, Lilicub, avec la chanteuse Catherine Diran et le bassiste Philippe Zavriew. Ils vont jusqu’à être nommés aux Victoires de la musique en 1997.

Puis c’est surtout à partir de 2015 qu’il commence à fusionner la musique et le numérique. L’artiste est en relation avec François Pachet, compositeur et directeur du Spotify Creator Technology Research Lab (anciennement le laboratoire de Sony CSL) qui lui propose de venir participer à un projet - Flow Machine - pour découvrir les nouveaux logiciels numériques utilisés dans la musique.

« À ce moment-là, il développait un outil qui s’appelait “The Continuator”. Nous pouvions jouer sur un clavier et l’outil poursuivait ce que l’on avait commencé », explique Benoît Carré. De leur côté, les chercheurs « étaient très curieux d’avoir le point de vue d’un musicien », poursuit-il.

Le compositeur y voit déjà en cette avancée technique « un moyen de sortir de sa zone de confort et d’être inspirée par une entité qui va transformer ce que l’on fait. » Le projet est tellement inspirant pour lui, qu’il passe d’une journée par semaine au labo à 7 jours sur 7 « et j’ai invité d’autres artistes à venir avec moi. »

Premier album 100 % IA

Benoît Carré était déjà a priori convaincu, mais il a aussi réussi à emporter avec lui un bon nombre d’artistes, curieux et enthousiastes.« Beaucoup ont répondu présents pour composer un album exclusivement grâce à l’intelligence artificielle : il y a eu des artistes très différents comme un trompettiste de jazz Médéric Collignon, une chanteuse de folk canadienne Kyrie Kristmanson mais aussi Stromae. »

De ces imaginations combinées à l’utilisation de L’IA est né l’album Hello World en 2018. « C’est le premier projet paru dans le monde qui utilise exclusivement cet outil il me semble. Et nous avons eu de très bon retour », notamment du réputé média britannique BBC Music.

Au-delà de l’aspect grisant d’utiliser ce nouveau dispositif, l’IA est aussi une très bonne opportunité pour « hybrider les styles musicaux » , avance Benoît Carré.

Et c’est justement ce que semblait rechercher Stromae quand il a collaboré avec lui. L’artiste belge est passionné à la fois de musique cap verdienne et de chant grégorien. A priori deux univers qui n’ont rien à voir. Or grâce à l’IA, « nous avons pu mélanger les deux et cela a donné un morceau sur l’album “Hello World”. »

« J’ai adoré travailler avec lui car il n’a pas d’a priori. Il se laisse uniquement guider par la musique, ce que ça provoque comme émotion chez lui et chez les autres. L’IA était un bon outil pour l’emmener vers quelque chose qu’il avait envie de faire. »

« La pâte humaine sera toujours recherchée dans le futur »

Très enjoué par cette utilisation, Benoît Carré reconnaît aussi toutes les possibilités vertigineuses qui peuvent inquiéter. « Les capacités de calcul dans ces nouvelles technologies sont exponentielles, tout va très vite et aujourd’hui quand on voit ce qu’il se passe avec la musique cela peut en effet devenir effrayant. »

Comme le faux duo de Drake avec The Weeknd publié sur internet Heart On My Sleeve par Ghostwriter, un pseudo sur TikTok, qui avait fait bondir les deux chanteurs invoquant dans le Financial Times « une violation du droit des artistes ».

Mais il y a eu aussi d’autres « usurpations » de voix et de contenus par l’IA sur Rihanna, Billie Eillish ou encore Ariana Grande. « Si toutes ces inventions deviennent en plus très efficaces cela peut créer une dépendance, c’est indéniable, cela peut devenir addictif. Puis il se pose aussi la question de la propriété intellectuelle », souligne notre interlocuteur.

Pour le moment, ces créations ne sont pas encadrées et l’appartenance des morceaux fabriqués pas l’IA « revient aux artistes derrière la machine » d’après Benoît Carré.

Mais pour lui, il ne faut absolument pas balayer d’un revers de main cette avancée technique : « C’est aussi très challengeant, ça oblige les musiciens à être plus inventifs. » Avec toutes ses possibilités, l’IA met la barre très haut. Mais l’angoisse de voir certains artistes se faire remplacer n’est pas réaliste pour lui : « La pâte humaine sera toujours recherchée dans le futur. Avec l’IA, l’artiste est comme un chercheur d’or : celui qui le porte c’est celui qui le trouve et il faut réussir à partir de cet outil à faire une œuvre. »

« Pour moi c’est comme un instrument, aussi sophistiqué soit-il », rajoute-t-il à ce propos. D’ailleurs pour lui, la valeur musicale ne se placera bientôt plus sur la puissance vocale ou la capacité technique de réaliser un bon morceau : dorénavant tout se focalisera sur l’imaginaire d’après lui.

« Qu’est-ce qu’un artiste va réussir à imaginer pour se démarquer ? », interroge le spécialiste. Être le plus original possible avec l’IA : voilà peut-être le nouveau challenge des artistes de demain.

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