L’abaya qui cache la forêt

Le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal, lors de la rentrée scolaire à la Réunion, le 17 août 2023.
Le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal, lors de la rentrée scolaire à la Réunion, le 17 août 2023.

POLITIQUE - La rentrée scolaire se fera sous haute tension. L’annonce phare du nouveau ministre de l’Éducation nationale ne concernera que 0,3 % des établissements scolaires. En aucun cas, l’interdiction de l’abaya ne doit occulter les nombreuses problématiques qui accompagneront cette rentrée scolaire.

Contrairement aux grandes promesses du président de la République, il semble impossible d’avoir cette année encore un enseignant devant chaque élève, encore moins dès la rentrée.

Impossible, car ce sont 2700 postes d’enseignants qui n’ont pas été pourvus à la suite des derniers concours de recrutement. Dans le premier degré, ce sont 16 % des postes ouverts à la suite du concours de professeur des écoles qui sont restés vacants. Une injustice s’ajoute à cette problématique, ce sont quatre académies qui concentrent à elles seules ces postes manquants : Mayotte, Guyane, Créteil et Versailles. Pour le second degré, même difficulté : les résultats du CAPES montrent qu’un poste sur quatre reste vacant en mathématiques, un poste sur cinq en lettres modernes et plus d’un poste sur deux en allemand. Un trou béant, qu’aucune mesure choc n’a su combler ces dernières années.

Le gouvernement lui-même a fait cet aveu de faiblesse pendant l’été, sortant un décret en catimini en plein mois d’août et cette fois-ci sans annonce médiatisée. Si le président promettait un professeur devant chaque élève dès la rentrée, via notamment le remplacement des professeurs absents au pied levé par un de leurs pairs, il a discrètement laissé la possibilité aux chef.fes d’établissement de faire appel aux assistants d’éducation (AED) pour ces remplacements, si les enseignants manquaient. Finalement, le gouvernement invente ce que les élèves et enseignants connaissent depuis bien longtemps… les heures de permanence.

Finalement, le gouvernement invente ce que les élèves et enseignants connaissent depuis bien longtemps… les heures de permanence.

Sans surprise, si les candidat.e.s font défaut, c’est que le métier souffre d’un fort manque d’attractivité lié notamment à une rémunération jugée peu séduisante. Le président de la République promettait une revalorisation de 10 % pour tous les enseignants durant sa campagne, cette annonce semble aujourd’hui bien lointaine. Désormais, le ministre Gabriel Attal martèle que, « tous les enseignants toucheront entre 125 et 250 euros net de plus par mois » : en réalité, il n’en sera rien. Pour environ deux-tiers des enseignants, cette augmentation d’indemnité et non de salaire - qui ne sera donc pas prise en compte pour la retraite - sera plafonnée à 95 € par mois. Pas de quoi soulever les foules, ni convaincre nos étudiants de devenir les enseignants de demain.

Si le métier souffre d’un grand manque d’attractivité, c’est aussi parce que l’enseignant est devenu un véritable couteau suisse qui doit pallier tous les manques : manque de médecins scolaires - presque 1 poste sur 2 n’est pas pourvu -, d’infirmier.e.s scolaires, d’assistant.e.s sociales… Quand l’élève a un problème, c’est à l’équipe éducative de trouver des solutions.

Autre dossier brûlant de cette rentrée : l’inclusion des élèves en situation de handicap. Les AESH manqueront encore cette année à l’appel, la faute à un emploi particulièrement précaire : temps partiel forcé, CDD obligatoire pour les trois premières années d’exercice, le tout pour un salaire moyen dépassant à peine les 800 euros. La charge retombera sur des enseignants livrés à eux-mêmes, à défaut de formation suffisante. Sur les familles aussi, puisque faute de moyens et de personnels adéquats, ce sont 23 % des élèves en situation de handicap qui, selon l’Unapei, ne pourront pas être scolarisés pour cette rentrée 2023. Depuis de nombreuses années, nous demandons la CDIsation dès l’embauche des AESH, un changement du calcul du temps travaillé afin qu’elles soient payées en temps complet ainsi qu’une meilleure formation en continu pour ces personnels essentiels.

Après l’école de la « confiance », et celle du « choc des savoirs », on se demande quand adviendra enfin l’école de l’égalité républicaine. Celle de la mixité scolaire, qui s’attelle à donner à chaque élève les mêmes outils peu importe son milieu social, celle qui offre à toutes et tous les mêmes perspectives de réussite. C’est à ce chantier sur lequel ses deux prédécesseurs ont échoué, qu’il incombe au nouveau ministre de s’attaquer.

Après l’école de la « confiance », et celle du « choc des savoirs », on se demande quand adviendra enfin l’école de l’égalité républicaine.

Pour que l’école publique aille mieux, concentrons-nous sur l’essentiel : un enseignant formé devant chaque classe, des locaux entretenus et adaptés au travail scolaire, des classes de moins de 20 élèves pour bien apprendre, un accompagnement rapide et ciblé dès les premiers signes de décrochage scolaire.

Ce sont deux visions de l’école qui s’opposent : face à la vision néolibérale de l’école publique portée par le gouvernement, qui ne fera qu’aggraver les inégalités entre les établissements et les élèves, nous soutenons une école pour toutes et tous, inclusive pour les élèves en situation de handicap et qui s’attelle à ne laisser personne au bord du chemin durant toute la durée de la scolarité obligatoire. Nous voulons une école fière de sa mixité sociale, en opposition avec le système actuel de plus en plus ségrégué. L’école publique ne doit pas devenir l’école des pauvres, conséquence d’une fuite des élèves vers l’enseignement privé. Plus largement, l’affaiblissement de l’école s’inscrit dans la disparition globale des services publics, entraînée par les politiques publiques d’un Gouvernement qui prône la privatisation quand nous appelons de nos vœux un service public fort qui protège tous les Français.

Aussi l’abaya ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, celle des manques criants de l’école publique et de la crise profonde du monde éducatif. Gabriel Attal ne construira pas une politique éducative sérieuse en brandissant uniquement des mesures totems devant l’opinion publique. De même le nouveau ministre de l’Éducation nationale ne « réparera » pas l’école publique, comme il l’entend, sans lui donner les moyens financiers et humains nécessaires à la hauteur de ses ambitions.

« Nous souffrons énormément du temps instantané. L’école, c’est du temps long. Ce n’est pas un fait divers » rappelait l’ancien ministre Pap Ndiaye cet été. À son successeur de suivre ce précieux conseil.

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