« L’école à remonter le temps » sur M6 : une immersion dans le passé qui ne règle pas la crise de l’école d’aujourd’hui

« L’école à remonter le temps », diffusée ce lundi 19 février sur M6, évite, au premier abord, les pires écueils du genre.
M6 « L’école à remonter le temps », diffusée ce lundi 19 février sur M6, évite, au premier abord, les pires écueils du genre.

ÉCOLE - On aurait pu s’attendre au pire : une émission sur l’école d’autrefois, narrée par un acteur ouvertement monarchiste (Lorànt Deutsch) et diffusée sur une chaîne de télévision (M6) qui avait déjà été taxée de « réac » à la sortie de son Pensionnat de Chavagnes il y a plus de dix ans. Mais L’école à remonter le temps, diffusée dès ce lundi 19 février à 21 h 10, évite, au premier abord, les pires écueils du genre.

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Le principe est brillamment simple. Quinze élèves de collège, trois profs et un directeur d’établissement sont plongés en immersion dans quatre décennies de l’histoire de l’école française : 1880, 1930, 1950 et 1980. Le temps de vivre la journée type d’un écolier à ces époques.

Le casting des élèves est excellent et leurs réactions face aux us et coutumes d’autrefois font tout l’attrait de l’émission. Face à la perspective des classes non-mixtes, Keira, 13 ans, résume sobrement : « Pardon, mais wesh ! Mais non ! » Et quand les ados découvrent qu’on servait du vin aux écoliers par manque d’accès à l’eau potable, un élève observe qu’« en vrai, vivre sans eau, c’est vraiment chaud ».

Montrer le pire de certaines époques

L’émission a aussi l’intelligence de ne pas idéaliser les époques qu’elle nous fait traverser. Le traitement des femmes et des jeunes filles, réduites à leur statut de futures ménagères, est souvent souligné. Et si les profs n’ont évidemment pas recours aux châtiments corporels, le sujet est abordé.

Mais c’est un cours de géographie sur l’empire colonial français et la hiérarchisation des êtres humains dans les années 1930 qui donne lieu à l’une des scènes les plus saisissantes de ces deux premiers épisodes. Pas de punchlines bien senties du côté des adolescents, chez qui la sidération règne. La professeure d’histoire-géo chargée de la présentation raconte plus tard : « Ça a été très très dur de faire un tel cours […]. J’ai eu beaucoup d’émotions parce que je voyais les élèves un peu tétanisés par le discours. […] C’était tout bonnement insupportable. »

« J’irai me battre pour mon pays »

L’émission a tout de même quelques petits relents de naphtaline, comme lors d’un cours de 1880 sur la mobilisation des jeunes Français pour défendre leur patrie. Dans la salle de classe, les élèves laissent s’exprimer une ferveur patriotique inattendue. Un premier s’enthousiasme : « Je pense que chaque citoyen français devrait avoir le sentiment d’un devoir accompli. » Un deuxième plussoie : « Moi, j’y vais ! Si jamais y a la guerre, je vais au front ! » Léna, 14 ans, promet quant à elle : « J’irai me battre pour mon pays. » Une musique exaltante retentit en arrière-plan.

Parmi les seules voix discordantes, Rida, qui a le sens des priorités : « Moi, flemme, je ne ferai pas l’armée. Parce que déjà, je prends le risque de mourir et tout, et c’est chaud. Moi, j’y vais que s’ils fument ma mère ou un truc comme ça. »

Ses réticences seront néanmoins de courte durée. Il suffira d’un cours d’entraînement militaire pour que l’ado, séduit par l’exercice, change d’avis et jure : « S’ils m’appellent pour le service militaire, bah moi j’y vais ! »

Ce que l’émission ne dit pas de l’école d’aujourd’hui

Mais ce qui est surtout regrettable dans cette « École à remonter le temps », c’est ce qu’elle révèle en filigrane – et ce qu’elle omet entièrement de dire – sur l’école d’aujourd’hui.

Quand l’émission souligne les défaillances d’autrefois, elle ne peut pas s’empêcher d’en tirer des conclusions sur le présent. Et si elle évite le « c’était mieux avant », elle tombe parfois dans un « c’est pas si mal maintenant » un peu facile. Lorànt Deutsch estime ainsi en voix off que « ce retour dans le passé a le mérite de faire apprécier à nos ados, la vie qu’ils mènent en 2023 ».

L’émission semble vouloir offrir des pistes d’amélioration à l’Éducation nationale d’aujourd’hui, comme lorsqu’elle fait valoir l’intérêt de cours disparus, tels que la broderie ou la menuiserie – cette dernière serait « plus utile que certaines matières au collège » comme les arts plastiques, selon les élèves.

Mais pour trouver les vraies clés de la crise de l’école contemporaine, il faut plutôt s’intéresser aux sujets que « L’école à remonter le temps » n’aborde jamais. Dans les deux premiers épisodes, pas un mot, par exemple, sur le nombre d’élèves moyen par classe en 1880 et 1930. Rien ne sera dit non plus sur la rémunération des enseignants à cette époque, ni sur leur place dans la société. Aborder de tels sujets nous aurait peut-être moins fait apprécier 2024.

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