Avec les législatives, ils confrontent leur famille qui vote RN : « Je leur ai écrit une lettre de rupture »

La menace de voir arriver l’extrême droite au pouvoir a délié les langues dans certaines familles, peu enclines à parler de politique habituellement.
fizkes / Getty Images/iStockphoto La menace de voir arriver l’extrême droite au pouvoir a délié les langues dans certaines familles, peu enclines à parler de politique habituellement.

FAMILLE - « Ma grand-mère a sorti : “Je vais voter Bardella”. » Pour Lucas*, 22 ans, la menace de voir arriver le Rassemblement national au pouvoir a levé un tabou : celui des personnes qui votent pour le parti d’extrême droite dans sa famille. Au risque de briser la paix apparente qui y régnait jusque-là.

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Car sa famille, « très soudée », échange d’habitude beaucoup, notamment sur un groupe WhatsApp créé au moment du Covid. « Il y a ma grand-mère, ses sœurs, ma mère, mon père, mes sœurs, mon oncle et quelques cousins. On communique surtout pour s’amuser. Et très peu pour parler de politique, de l’actualité. Ce n’est pas notre habitude », explique cet étudiant en cinéma, issu d’un milieu ouvrier d’Indre-et-Loire.

Et pour cause : c’est une opération risquée. « J’ai toujours été sûr que certains votaient RN, surtout chez les plus âgés, mais ça n’a jamais été dit clairement. On fermait un peu les yeux parce qu’on essayait de préserver la famille », justifie-t-il. Jusqu’à cette fête d’anniversaire, juste après la dissolution de l’Assemblée nationale et l’annonce des législatives anticipées.

« J’ai envie de les secouer, de provoquer un électrochoc »

« Ma grand-mère a sorti ça d’un coup, raconte-t-il au sujet de son commentaire sur Jordan Bardella. Même si on ne sait jamais si elle est sérieuse, ça ne m’a pas fait rire et j’ai beaucoup gambergé les jours d’après. » « Homosexuel et de gauche », lui qui avait « toujours été accepté comme il est » par ses proches a soudain l’impression de « faire tache dans la famille ». Sa sœur, de gauche également, tente d’envoyer des photos de manifestations, assorties de petits « Votez NFP ! », dans le groupe familial. Sans réponse.

Face à ce silence, Lucas perçoit une impossibilité de dialoguer. Il décide donc de coucher sur le papier un texte de « rupture » adressé à ses proches. « J’ai écrit une lettre où je leur dis que je me retire de la vie familiale. Pas de façon permanente, mais après le second tour, je vais avoir besoin de souffler, exprime-t-il. Je leur explique de manière un peu incisive pourquoi je pars. J’ai envie de les secouer, de provoquer un électrochoc. De les mettre face à ce qu’ils ont fait. » Il l’enverra après le second tour, « en fonction des résultats ».

Pourquoi pas avant ? « Parce qu’ils sont butés et que je n’ai aucun moyen de les convaincre », regrette-t-il. Le sentiment qui domine, c’est la déception. « Je savais qu’ils avaient ces idées depuis toujours, plus ou moins. Je suis peut-être plus déçu par moi-même, d’avoir accepté certaines phrases racistes ou limites toute ma vie, que je ne peux plus entendre. Je n’ai plus peur de faire des étincelles, j’assume qui je suis », explique-t-il.

L’oncle « clairement zemmouriste »

Pour Pauline*, 38 ans, en couple avec Laure, c’est sa belle-famille qui pose problème, en particulier un oncle « clairement zemmouriste », qu’elle évite soigneusement. Mais l’ambiance générale dans ce noyau familial pèse sur la trentenaire. Si elle a toujours été bien accueillie et n’a jamais été la cible de remarques homophobes, elle connaît les opinions de certains proches de sa compagne.

« On sait que certains sont allés manifester contre le mariage pour tous, témoigne la jeune femme qui travaille dans les médias à Paris. Il y a un côté “on ne parle pas de politique”, qui crée un sentiment de non-solidarité. Personne ne dit rien et quelque part, personne ne prend notre défense. Comme si tout le monde cautionnait un peu. »

D’habitude, aux réunions de famille, les deux femmes se gardent tout simplement d’aborder les sujets qui fâchent. Mais devant la montée du RN, Pauline ressent désormais le besoin de prendre ses distances. Tous les étés, la famille se retrouve pour les vacances. Cette année, la trentenaire a choisi de ne pas y aller.

Une décision qui n’a pas été facile à prendre vis-à-vis de Laure. « Elle a été éduquée dans cette idée que la famille, c’est la famille et qu’on s’adapte, constate Pauline. Dans la mienne, qui est restreinte, je ne suis pas habituée à transiger sur mes opinions politiques pour ne pas créer de conflit. »

« Je l’ai menacée de ne plus voir son petit-fils »

Le score du RN et les législatives ont poussé Tommy*, 36 ans, à aborder cet épineux sujet pour la première fois avec ses proches. « La politique, ça a toujours été tabou dans ma famille, pour éviter les conflits », confie ce fils de parents vietnamiens, immigrés en France en 1976 et naturalisés depuis.

En 2017, il apprend « après coup » que sa mère a voté pour Dupont-Aignan au premier tour. « J’ai été stupéfait. Elle a ensuite voté Macron au second tour pour faire barrage au FN », ajoute ce père de famille des Yvelines. À l’époque, il ne la confronte pas, pour éviter de semer de la discorde. En 2022, il apprend que certains de ses oncles et tantes votent Le Pen. Encore une fois, il se retient de donner son avis. « J’ai serré du poing et je n’ai rien dit », soupire-t-il.

Mais devant l’urgence imposée par les législatives anticipées, il décide de « sortir de ce mutisme ». « J’ai pris le parti de me dire que la politique ne devait pas être un sujet tabou entre nous, raconte-t-il. J’ai voulu en parler pour éviter justement qu’ils ne votent à l’extrême droite. »

Avant le premier tour, il appelle sa mère pour en discuter et lui fait part de ses inquiétudes. « J’ai un enfant de deux ans et je ne veux pas qu’il vive dans une société française où le racisme est complètement décomplexé, souligne-t-il. J’ai essayé de la convaincre avec mes mots. Elle était très sceptique et je me suis aperçu que sa réflexion restait en surface. Elle ne croit plus aux programmes et vote par dépit, pour la personne qui selon elle causera le moins de dégâts. »

Il va même jusqu’à menacer, en les « prenant par les sentiments », sa mère et son beau-père de ne plus revoir leur petit-enfant. « J’ai dit cela un peu sur le ton de la blague, mais je ne pense pas que j’aurai besoin d’aller jusque-là », sourit-il. Pari gagné : ils voteront Nouveau Front Populaire, comme leur fils. Comme quoi, lever un tabou peut parfois servir.

*Les prénoms de nos interlocuteurs ont été modifiés à leur demande

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