Législatives 2024 : Mbappé, Squeezie, Cotillard... Doit-on attendre quelque chose des consignes de vote des stars ?

Kylian Mbappé, ici au mois de juin 2024 lors d’une conférence de presse, où il a appelé à ne voter contre aucun extrême.
Frederic Scheidemann - UEFA / UEFA via Getty Images Kylian Mbappé, ici au mois de juin 2024 lors d’une conférence de presse, où il a appelé à ne voter contre aucun extrême.

PEOPLE - Léna Situations, Kylian Mbappé, mais aussi Judith Godrèche ou encore Marion Cotillard… À mesure que la date des élections législatives se rapproche, la mobilisation des célébrités, elle, grandit sur les réseaux sociaux ou à l’antenne, comme ce mercredi 19 juin sur France Inter, où Roschdy Zem a rappelé le caractère xénophobe du parti de Jordan Bardella et insisté sur l’importance d’aller voter.

Sur la montée du RN, Roschdy Zem estime que « quelque part, on l’a un peu cherché »

La veille, une cohorte d’écrivains, dont le dernier prix Goncourt Jean-Baptiste Andrea, ont lancé une pétition pour faire barrage au Rassemblement national. « Nous, actrices et acteurs du monde du livre, appelons toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans ces valeurs à se mobiliser et à porter leur voix avec détermination contre l’extrême droite », peut-on lire en description du manifeste, signé à l’heure où nous écrivons ces lignes par près de 2 000 personnes.

Des mots qui rejoignent ceux de Squeezie qui, sur Instagram, a publié une lettre appelant à « s’opposer fermement à une idéologie extrême qui prône la haine et la discrimination ». Une parole rare de la part du deuxième youtubeur de France (derrière Tibo InShape), qui suit celle de sa consœur Léna Mahfouf, Mister V et plusieurs autres personnalités de ce milieu habituellement discret sur le terrain politique.

Squeezie fait les gros titres

L’appel à faire barrage au RN de Squeezie, suivi par 8 millions d’abonnés sur Instagram, n’a pas seulement recueilli près de 2 millions de likes, il a aussi fait les gros titres de la presse, loin des pages people. Et ce, au même titre que le petit pin’s de Marion Cotillard dénonçant le « front Nazional », la tribune des sportifs portée par Yannick Noah dans L’Équipe, ou les mots du buteur Marcus Thuram en conférence de presse des Bleus.

« On est à un moment de grand bouleversement, de choc dans l’opinion publique et de fébrilité par rapport à cette campagne éclair, nous explique le chercheur en sciences de l’information et de la communication Jamil Jean-Marc Dakhlia. Devant la confusion générale et la recomposition de l’offre politique, les opinions se forment. Il y a une quête de repères, et les prises de position des célébrités suscitent alors l’intérêt. » Le sociologue des médias précise : « Ce qui se passe sur les réseaux sociaux est en train de dicter l’agenda des médias traditionnels, qui n’auraient peut-être pas osé aborder de tels sujets avec ces personnalités. »

Ou peut-être ne le peuvent-ils tout simplement pas. Comme lors d’un récent « press junket » avec Pierre Niney, il nous est souvent demandé, à nous journalistes, d’éviter les questions politiques en interview. Une règle « tacite », afin de recentrer la conversation sur la promo d’un film, nous explique une attachée de presse dans le cinéma qui préfère rester anonyme.

Ne pas voter « contre les extrêmes »

Plusieurs centaines de créateurs de contenus (comme Antoine Daniel, Mistermv et Manon Bril) ont, dans une tribune chez Mediapart, appelé à voter pour le Nouveau Front populaire. Mais la plupart des consignes de vote médiatisées sont en général beaucoup plus frileuses, à l’instar de celle de Kylian Mbappé.

« J’appelle les jeunes à aller voter. On voit que les extrêmes sont aux portes du pouvoir. On a l’opportunité de choisir l’avenir de notre pays », a indiqué le capitaine de l’équipe de France lors d’une conférence de presse, ce dimanche, affirmant être « contre les extrêmes, les idées qui divisent (...) On a besoin de s’identifier à ce pays, à nos valeurs, qui sont des valeurs de tolérance, de mixité, de respect. » Des propos « exemplaires », selon la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, mais pourtant pas si clairs sur le bulletin à glisser dans l’urne.

L’emballement interroge. « Ce qui est en jeu, c’est leur popularité. Lorsqu’il y a une prise de parole (sauf pour certains artistes déjà engagés), il ne faut pas cliver, de risque de perdre une partie des personnes qui achètent ce qu’on produit », estime Jamil Jean-Marc Dakhlia, qui évoque aussi la crainte d’une campagne de haine en réponse.

La confusion politique et people

Ce tabou chez les célébrités les plus mainstream n’est pas nouveau. L’engagement auprès d’un candidat politique a tendance à s’effilocher en France, nous apprend le chercheur, contrairement aux États-Unis, où le soutien des personnalités s’est professionnalisé en comités d’artistes. « Aujourd’hui, on s’exprime plutôt sur une cause, constate le spécialiste. Les formes d’engagement sont plus volatiles. » Ici, le débat se recentre donc sur les valeurs républicaines et donne lieu à des formules générales, du type « Oui à la démocratie », « Non, aux extrêmes ».

Notre intérêt pour ces soutiens - qu’ils soient légers ou plus affirmés - trouverait ses racines dans une confusion héritée de l’époque de Nicolas Sarkozy, période à laquelle le people s’est mélangé au politique, nous informe à son tour Laurence Devillairs, philosophe politique. « Les hommes politiques pensant gagner de l’envergure ont commencé à mettre en scène leur vie privée. Ils ont confondu charisme et personnalité », concède l’universitaire.

Un brouillard alimenté par les réseaux sociaux. « Le fait que le personnel politique s’exprime à travers des tweets, par exemple, revient à dire qu’ils s’expriment comme tout le monde. Le politique devient un influenceur. Et les influenceurs, des politiques. Or, tout ne se vaut pas », estime la normalienne, selon qui le discours technocratique actuel n’a pas aidé. Un point de vue partagé par Jamil Jean-Marc Dakhlia : « Cette impression de proximité, d’avoir affaire à des non-professionnels de la politique, nous rend attentifs à eux. »

Prendre la parole ou non ?

Scandalisée par les candidatures de Quatennens (qui s’est retiré depuis) et Cahuzac, Laurence Devillairs pointe du doigt l’absence non seulement d’exemplarité des politiques, mais aussi d’éthique. « Dans un contexte de confusion, c’est ça qu’on cherche chez les célébrités parce que les hommes politiques ont perdu en conviction », argumente-t-elle.

Qu’il s’agisse d’une prise de position ou d’une consigne de vote, tout le monde ne verse en revanche pas dedans. Du côté de l’extrême droite, par exemple, cela fait grincer des dents. Sur France Inter, le vice-président du Rassemblement national Sébastien Chenu n’a pas beaucoup aimé la « leçon de politique » de Mbappé et des autres stars, qu’il estime « déconnectées de la réalité ».

À l’autre bord, aussi. Dans une tribune chez Libération, la metteuse en scène Ariane Mnouchkine dit ne pas être certaine « qu’une prise de parole collective des artistes soit utile ou productive ». Elle interroge la responsabilité des « gens de gauche » (dont elle fait partie) dans la montée du RN. « Une partie de nos concitoyens en ont marre de nous : marre de notre impuissance, de nos peurs, de notre narcissisme, de notre sectarisme, de nos dénis », déplore la directrice du Théâtre du Soleil.

L’humanité des célébrités est toute relative. Privilégiées pour certains. Sauveuses pour d’autres. Quelle que soit leur prise de position, tranchée ou non, leur voix est entendue par des millions de personnes, et donc, de potentiels votants.

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