Législatives : à Paris, derrière le recul de la majorité présidentielle, une recomposition à contre-temps du clivage gauche-droite

Une petite tache rouge au milieu d’un océan bleu marine. Sur la carte des circonscriptions, l’Ile-de-France, et plus spécifiquement Paris, apparaissent comme une bulle très majoritairement acquise à la gauche face à la déferlante RN qui a balayé le premier tour des législatives anticipées, dimanche 30 juin. Le Nouveau Front populaire (NFP) y réalise quelques-uns de ses meilleurs scores, allant même jusqu’à faire élire dans l’est de la capitale, toujours très marqué à gauche, neuf députés dès le premier tour de scrutin : les LFI Sophia Chikirou (6e circonscription), Aymeric Caron (18e circonscription), Rodriguo Arenas (10e circonscription), Sarah Legrain (16e circonscription), et Danièle Obono (17e circonscription) ; les écologistes Pouria Amirshahi (5e circonscription), Sandrine Rousseau (9e circonscription) et Eva Sas (8e circonscription) ; et enfin le socialiste Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo (7e circonscription).

Une partie des électeurs macronistes captés par la gauche

La gauche est arrivée en tête dans 13 des 18 circonscriptions parisiennes, et sera présente dans huit des neuf seconds tours qui vont se disputer dans la capitale. Le NFP ne renforce pas seulement ses positions, il grignote aussi du terrain dans le centre de Paris, face aux macronistes. Dans la deuxième circonscription, la socialiste Marine Rosset devance de près de dix points (33,4 %) le candidat Renaissance Jean Laussucq (23,62 %) qui a visiblement souffert de la dissidence de Gilles Le Gendre, député sortant en rupture avec la macronie (19,62 %). Dans la 3e, Stanislas Guerini est désormais largement distancé par l’écologiste Léa Balange El Mariky (46,15 % contre 33,99 %).

À l’image du net recul qu’elle enregistre à l’échelle nationale, la majorité présidentielle perd du terrain dans la capitale, jusqu’à s’effacer complètement dans certains arrondissements. Clément Beaune, l’ex-ministre des Transports a été totalement balayé dimanche soir par le socialiste Emmanuel Grégoire (50,87 %) dans la 7e circonscription.

Un îlot de macronistes

Les soutiens d’Emmanuel Macron arrivent toutefois en tête dans quatre circonscriptions de l’ouest parisien. Sylvain Maillard (1ère circonscription), Astrid Panosyan-Bouvet (4e circonscription), Benjamin Haddad (14e circonscription), David Amiel (13e circonscription) et Olivia Grégoire (12e circonscription) réalisent des scores relativement proches de ceux enregistrés en 2022, entre 38 et 44 % des suffrages exprimés, à ceci près qu’ils sont plusieurs à être talonnés par un candidat de gauche.

Dans la 13e circonscription, seulement 976 voix séparent David Amiel de l’écologiste Aminata Niakaté

Le nouveau visage de la droite libérale

On observe que ce sont dans des territoires arrachés à la droite par la macronie en 2017, et surtout en 2022, que se maintiennent les soutiens d’Emmanuel Macron. Dans le même temps, Les Républicains s’effacent totalement de la carte électorale, y compris dans des circonscriptions où ils ont longtemps dominé, généralement relégués à la troisième ou quatrième place. « On peut se demander si Paris n’est pas en train de reconstituer l’opposition gauche-droite avant le reste de la France, dans une configuration où la majorité sortante serait le porte-étendard de la droite libérale », note Erwan Lestrohan, directeur conseil à l’institut de sondage Odoxa.

« Si la page du macronisme de gauche est en train de se tourner à Paris, les candidats Renaissance présents au second tour sont, pour la plupart, issus des rangs de la droite ou du centre droit, comme Sylvain Maillard (ex-UDI), Benjamin Haddad (ex-UMP) ou Olivia Grégoire (passées par les cabinets de Xavier Bertrand). Désormais, l’offre Renaissance dans la capitale capte les électeurs de la droite libérale », poursuit le sondeur. D’ailleurs, la carte parisienne des résultats du premier tour apparaît comme le quasi-décalque de la situation électorale de 2012, avec une forte territorialisation du clivage gauche-droite entre, d’un côté, les arrondissements de l’ouest et du sud-ouest de la capitale, à l’époque acquis à LR, et le reste aux mains de la gauche et des écologistes.

Le dynamisme en trompe-l’œil du Rassemblement national

L’autre enseignement de ce scrutin, c’est l’apparente progression du Rassemblement national. Toujours très minoritaire dans la capitale, le parti de Marine Le Pen confirme néanmoins son implantation, avec des scores qui ne cessent de grimper, scrutin après scrutin. Pour ces législatives anticipées, le RN réalise en moyenne 10,71 % des voix par circonscription, loin, très loin des 29,25 % engrangés à l’échelle nationale. Toutefois, il y a deux ans, le score moyen du parti cofondé par Jean-Marie Le Pen tournait autour des 3,8 % à Paris. À l’époque, aucun de ses candidats n’avait franchi la barre symbolique des 5 %.

Cette progression s’exprimait déjà aux européennes, de manière moins marquée. Le 9 juin, la liste conduite par Jordan Bardella glanait 8,5 % des voix à Paris, contre 7,2 % en 2019.

Cette fois, le RN apparaît largement renforcé par son alliance avec Éric Ciotti ; trois candidatures dans la capitale sont issues du ralliement du président des LR à Marine Le Pen. C’est d’ailleurs l’un de ses candidats qui réalise le meilleur score à l’extrême droite : 17,56 % des voix dans la 14e circonscription (qui correspond au sud du 16e arrondissement) pour Louis Piquet, ex-filloniste passé par Reconquête ! d’Éric Zemmour. Il est d’ailleurs le seul soutien du RN à se qualifier pour un second tour, dans le cadre d’une triangulaire.

En dehors de l’alliance passée avec Éric Ciotti, c’est dans la 13e circonscription de Paris (le sud du 15e arrondissement) que le Rassemblement national plafonne. Sophie Rostan y a rassemblé 14 % des suffrages. Inversement, Valérie Tirefort, dans le 18e arrondissement, ne dépasse pas les 7 %.

Pour Erwan Lestrohan, ces scores sont à relativiser. « Il n’y a pas vraiment de poussée électorale du RN à Paris, ou du moins celle-ci est encore assez contenue », explique le sondeur. « Le vote RN a toujours plus ou moins existé à Paris. Aux municipales de 2014, Wallerand de Saint-Just réunit 6,3 % des voix, un score déjà assez proche de ceux réalisés aux Européennes et aux législatives par plusieurs candidats. Le vote RN se reporte essentiellement sur les bureaux de vote du pourtour parisien, au pied des grands ensembles qui longent le périphérique, des territoires où l’on trouve des personnes économiquement vulnérables, et donc plus sensibles aux crises », explique-t-il.

Les conservateurs tentés par le vote RN

Cette année, ce vote a mécaniquement bénéficié de l’effacement des LR, du moins pour partie ; car si les candidats Renaissance captent désormais les voix de la droite libérale, ils réalisent des performances moins fortes lorsqu’il s’agit de draguer la droite conservatrice, « celle qui met en avant les valeurs avant les préoccupations économiques », souligne Erwan Lestrohan.

Ce constat explique aussi la triangulaire dans le très droitier 16e arrondissement (14e circonscription) ; le député macroniste sortant Benjamin Haddad arrive très largement en tête, porté par les voix des libéraux (47,71 %), que ne parvient pas à récupérer le LR « canal historique » Patrick Dray (17,56 %), lui-même talonné par le ciottiste et ex-zemmouriste Louis Piquet (17,56 %).