Législatives en France : des agriculteurs dépendants de l’Europe mais tentés par l’extrême droite

Législatives en France : des agriculteurs dépendants de l’Europe mais tentés par l’extrême droite

Si l’extrême droite a été très majoritaire dans la France rurale aux élections européennes du 9 juin, les agriculteurs français n’ont pas été son plus ferme soutien. Ce vote en tente certains mais d'autres doutent aussi de la capacité du Rassemblement national (RN) à les défendre. Et les aides européennes, bien que décriées, sont indispensables à leur survie.

A l’entrée de Braslou, un village de 315 habitants, situé au sud de la Touraine, le panneau indiquant le nom de la commune est toujours à l’envers. Il est resté tête en bas depuis la colère des agriculteurs qui avait embrasé les campagnes, en France et en Europe, en début d’année. Une façon de montrer que “l’on marche sur la tête”, explique l’un de ceux qui a participé à ce “retournement” ici et dans les villages alentour.

Céréalier, Mathieu* a pris la suite de son père à la tête d’une assez grande exploitation de 270 hectares. Il est l’un des quelque dix agriculteurs exploitants de la commune et gère aussi une entreprise de travaux agricoles dont les engins interviennent pour d’autres fermes. Il est membre du syndicat des Jeunes Agriculteurs (JA), proche de la FNSEA majoritaire. Politiquement, il se revendique du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et Jordan Bardella.

Braslou
Braslou - Isabelle Bloncourt Repiton

Il a voté extrême droite le 9 juin. Il regrette que tous les agriculteurs européens ne soient pas soumis aux mêmes normes, que certains produits chimiques interdits en France soient autorisés en Espagne, que les volailles ukrainiennes, peu contrôlées, aient envahi le marché français.  “Je ne suis pas contre les importations à condition que les échanges soient équitables, l’étiquetage transparent” s’insurge-t-il.

Une députée macroniste appréciée pour son écoute

Dimanche 30 juin, il n’exclut pas de voter pour reconduire la députée du camp d’Emmanuel Macron, Fabienne Colboc. Elle est “accessible, souvent sur le terrain, très active et à l’écoute” du petit groupe de travail formé avec une vingtaine d’autres exploitants pour suivre les mesures promises par Emmanuel Macron et son gouvernement après la crise de l’hiver.

Elle les a reçus à Paris dans son bureau de députée, les a accompagnés lors d’une visite de cantines scolaires, dont l'approvisionnement fait débat. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron a mis à l’arrêt tous les travaux en cours. Il souhaite les reprendre après la séquence électorale.

Jordan Bardella rencontre les agriculteurs.
Jordan Bardella rencontre les agriculteurs. - AP Photo

S’il se dit contre le “macronisme”, il nuance : “Si je vote pour mes idées, je vote RN. Mais si je veux défendre mon métier, je vote pour elle. Le gouvernement actuel nous a suivi dans nos revendications”. En revanche, il doute des capacités du candidat RN qu’il ne connaît pas, à écouter et défendre les agriculteurs.

Mathieu n’a pas oublié que le groupe Identité et démocratie (ID) auquel appartient le RN au Parlement européen a voté pour les accords de libre-échange avec la Nouvelle Zélande. Les 15 eurodéputés français RN ont voté contre mais cela a créé un doute.

Et puis le candidat local du RN n’organise pas de réunion publique dans les environs, le programme agricole du RN est à peine évoqué . “On vote pour quelqu’un que l’on sent proche, un interlocuteur abordable”, justifie-t-il.

Aux européennes, dans l’ensemble des zones rurales en France, le Rassemblement national (RN) a frôlé les 40 %, soit plus de 8 points au-dessus de l’ensemble du pays. A Braslou, le RN a obtenu 25,4 % des suffrages le 9 juin et le parti mené par la nièce de Marine Le Pen, Marion Maréchal, 7,5 %. Soit  32,9 % pour l’extrême droite, un peu moins qu’à l’échelle nationale (36,8 %).

L’Europe, un mal nécessaire

Le vote rural n’est pas le vote paysan. Et le poids des agriculteurs dans la population ne cesse de se réduire. Historiquement, ils votent majoritairement pour la droite traditionnelle, pas pour l'extrême droite. Aux européennes, ils ont accordé 26 % de leurs suffrages au RN, soit moins que l’ensemble de la population française.

A Braslou, Sylvain, qui cultive des céréales bio sur 150 hectares depuis 2012, n’est pas allé voter le 9 juin, comme 49 % des électeurs français. La météo désastreuse du printemps ne lui en a pas laissé le temps. Il fallait semer pour rattraper le retard. Pour les législatives, il n’est sur de rien.

Il reconnaît que sans les aides européennes, il devrait cesser son activité. Mais si “les prix reflétaient nos coûts de production, on n’aurait pas besoin de ces aides. On doit pouvoir vivre de notre métier. Je veux défendre ma rémunération”.

Marine Le Pen s'adresse aux médias lors d'une visite d'un projet d'éoliennes en mer pour produire de l'électricité, à Erquy, dans l'ouest de la France.
Marine Le Pen s'adresse aux médias lors d'une visite d'un projet d'éoliennes en mer pour produire de l'électricité, à Erquy, dans l'ouest de la France. - AP Photo

Agriculteur bio mais pas écolo

Un peu plus loin, Magali et son mari,  agriculteurs bio depuis trois générations, s’efforcent de maintenir sur 137 hectares une production diversifiée : céréales (blé, lin, tournesol, épeautre, millet…), porcs en semi-liberté,  jeunes bovins… qu’ils écoulent en partie en vente directe.  Ils emploient deux salariés.

Magali considère elle aussi que le revenu agricole était la vraie revendication de la crise du début d’année. “La PAC européenne n’est qu'une compensation du fait qu’on vend à perte. Et la France  nous rajoute des contraintes, par exemple le survol par satellites des cultures bio pour les contrôler. Cela oblige à détenir un smartphone de dernière génération pour se connecter à une application dédiée. Emmanuel Macron croit que c’est le digital qui sauvera l’agriculture” proteste-t-elle. Elle est persuadée que l’agriculture conventionnelle traditionnelle, à base d’engrais chimiques,  finira par disparaître d'elle-même.

Les “oubliés” des zones rurales

Sans dire à qui elle va donner sa voix, elle exclut de voter pour les écologistes, trop dogmatiques à ses yeux - quand ils s’opposent par exemple au labour des terres . Elle  estime que “la peur du RN ne fait pas avancer”.

Au delà de leur activité, les agriculteurs rencontrés partagent le sentiment d’une grande partie du du monde rural, d’être les “oubliés”, les “délaissés” des politiques et des autorités. Désertion des services publics, aides sociales inaccessibles du fait de revenus qui demeurent malgré tout au dessus des minimas… Et ils s’effraient d’une insécurité et d’une immigration qu’ils ne vivent qu’à travers la télévision.