Kanye West coche toutes les cases de l’antisémitisme dans son discours

Invité sur le plateau de l’émission InfoWars du complotiste Alex Jones ce jeudi 1er décembre, au côté du suprémaciste blanc Nick Fuentes, Kanye West s’est fendu de plusieurs sorties antisémites stupéfiantes, clamant son amour pour Hitler et les nazis.
InfoWars Invité sur le plateau de l’émission InfoWars du complotiste Alex Jones ce jeudi 1er décembre, au côté du suprémaciste blanc Nick Fuentes, Kanye West s’est fendu de plusieurs sorties antisémites stupéfiantes, clamant son amour pour Hitler et les nazis.

IDÉES - C’est loin d’être la première fois que Kanye West tient un discours antisémite. Mais de l’avis de tous, une grave limite a été franchie, lorsqu’il a, ce jeudi 1er décembre, déversé un torrent de propos violents contre les juifs, allant jusqu’à dire « adorer les nazis » et défendre Adolf Hitler.

Ces propos ont été prononcés face au complotiste Alex Jones et au négationniste Nick Fuentes, sur un plateau d’émission où Kanye West a pu s’exprimer plusieurs heures d’affilée choquant même parfois ses interlocuteurs, pourtant amateurs de sorties hautement polémiques. Le HuffPost a demandé à Illana Weizman, sociologue et autrice de l’essai Des Blancs comme les autres ? Les juifs, angle mort de l’antiracisme (Stock), de caractériser ce discours, qui s’inscrit selon elle dans la lignée la plus classique de l’histoire de l’antisémitisme. Négationnisme, suprémacisme blanc, adoration de Hitler, Juifs décrits comme obsédés par l’argent et le pouvoir… Le rappeur relie tous les clichés antisémites.

Le HuffPost : Kanye West semble avoir franchi un palier dans les propos antisémites. Que dire de ses dernières outrances ?

Illana Weizman : Lors de ce show de Kanye West, on a assisté à un moment de vrillage total. Un cap a été passé. Mais cette accélération dans la succession des prises de parole antisémites date du mois d’octobre. Il se lâche. Il dit quand même, dans cette interview : « Hitler n’a pas tué 6 millions de juifs, c’est un fait inexact. » C’est du pur négationnisme [le fait de nier l’existence des camps d’extermination nazis]. Ce n’est pas à ce moment-là qu’il devient antisémite, car il l’était déjà avant, mais on voit la constellation qui se met en place.

Ce n’est pas un truc nouveau qui surgit soudainement et sans logique : l’un de ses collaborateurs avait notamment raconté qu’en 2015, il pensait à titrer son nouvel album en rapport avec Hitler et qu’il était fan de Hitler, qu’il était connu dans son entourage qu’il avait une fascination pour lui.

Il faut aussi remettre ça en lien avec ses propos négrophobes. En mai 2018, sur TMZ, il parle en ces termes des victimes de l’esclavage : « On entend parler de l’esclavage qui a duré 400 ans. Pendant 400 ans ? Ça ressemble à un choix ». C’est du négationnisme de l’esclavage. Il y a eu le t-shirt « White Lives Matter » à la Fashion Week, son copinage avec Trump… C’est tout un système qui flirte avec la suprématie blanche et pas seulement l’antisémitisme.

Pour vous, quel est le point de bascule qui a pu mener à l’interview d’hier ?

Le t-shirt « White Live Matters » porté à la Fashion Week a été le détonateur. À ce moment-là, Puff Daddy l’interpelle sur Instagram et l’accuse de racisme. Kanye West lui répond alors qu’il n’est qu’un « pantin des juifs ». C’est là où l'on voit ce fantasme des juifs qui tiennent les ficelles apparaître. Et qui fait partie de l’idéologie suprémaciste blanche.

Dans les discours du Ku Klux Klan ou plus récemment lors des manifestations en 2017 à Charlottesville, un rassemblement de groupes radicaux, suprémacistes et nazis, les slogans c’était : « Les juifs et les Noirs ne nous remplaceront pas. » Il y a l’idée que les gens qui vont « grand remplacer » les Caucasiens européens ou américains seraient des populations immigrées plutôt d’Afrique noire, arabes ou hispaniques – selon le contexte – mais que les juifs seraient aux manettes. Car les juifs, s’ils ne sont pas suffisamment nombreux démographiquement, auraient selon eux les moyens logistiques, les moyens de communication, le pouvoir et les lobbys avec eux.

En mai dernier, un jeune suprémaciste blanc de 18 ans a tué dix personnes noires dans un supermarché de Buffalo aux États-Unis. Dans son manifeste qu’on a ensuite retrouvé, il disait qu’il commençait par les Noirs, mais que sa cible suivante c’était les juifs.

Dans une interview antérieure, Kanye West a affirmé : « Les juifs se sont emparés de la voix des Noirs. Que ce soit en nous faisant porter des chemises Ralph Lauren, en nous faisant signer pour telle ou telle maison de disques, en ayant un manager juif, en étant signé dans une équipe de basket juive, en faisant un film sur une plateforme juive comme Disney ». En quoi ces propos sont-ils représentatifs de sa pensée ?

Avec le juif capitaliste et qui aime l’argent, c’est le trope antisémite le plus connu et diffusé : c’est la mainmise sur les médias et les divertissements, sur les sphères de pouvoir. Dans l’interview d’hier, il dit aussi : « Je vois aussi de bonnes choses chez Hitler. J’aime tout le monde, et les juifs ne vont pas me dire : ‘Vous pouvez nous aimer et vous pouvez aimer ce que nous vous faisons avec les contrats, et vous pouvez aimer que nous poussions la pornographie’. » Il parle à la place des juifs et il dit que ce sont eux qui tiennent les contrats et qui poussent à la perversion de la société par la pornographie.

Ça aussi, c’est une thématique très classique : dans l’histoire de l’antisémitisme, il y a toujours eu l’idée que les juifs pervertissaient la société, qu’ils promouvaient la prostitution et la pornographie, qu’ils avaient une sexualité débridée, avec l’image du Juif comme prédateur sexuel. Il le reprend ici à son compte.

Il dit aussi de Hitler : « Ce type a inventé les autoroutes, inventé le microphone que j’utilise en tant que musicien. Vous ne pouvez pas dire à haute voix que cette personne n’a jamais fait quelque chose de bien. » Que penser de ces affirmations, sans fondement historique ?

Ça, je ne sais pas d’où ça sort… Mais en tout cas, ce n’est pas une raison pour dire qu’il n’est pas antisémite « parce qu’il est fou ». On voit qu’il part dans des délires et qu’il a des soucis psychiques, mais l’un n’empêche pas l’autre. Ce n’est pas incompatible. En France, notamment, quand il y a des meurtres antisémites et que les accusés sont reconnus comme non-responsables pénalement à cause de leur santé mentale ou parce qu’ils sont passés à l’acte à cause d’une « bouffée délirante », le motif antisémite est quand même reconnu. Il ne faut pas dépolitiser son discours parce qu’il serait malade.

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