Pour « Justice en France », France 3 a pu filmer des procès, voici comment

Dans « Justice en France » sur France 3, les caméras entrent dans les salles d’audience.
France Télévisions Dans « Justice en France » sur France 3, les caméras entrent dans les salles d’audience.

JUSTICE - La gorge d’un prévenu qui se serre, une avocate qui se ronge les ongles frénétiquement, un président qui joue avec ses lunettes comme pour donner du mouvement à un moment suspendu. Dans Justice en France, la nouvelle émission de France 3 diffusée ce mercredi 19 octobre à 23 h 10, le téléspectateur assiste, comme s’il y était, à tout ce qui fait une audience : les discussions procédurales, parfois absconses, mais aussi le non verbal, ce qui fait l’humanité de la justice.

Ce n’est pas la première fois que des procès sont retransmis à la télévision française. Des autorisations exceptionnelles de tournage ont déjà été délivrées, pour des documentaires ou des reportages. Il était aussi possible jusqu’ici de filmer ou photographier un procès pour constituer des archives historiques, comme c’était le cas récemment avec les procès des attentats de 2015. Mais jamais des audiences n’avaient été filmées dans le cadre d’une émission régulière.

Cette petite révolution télévisuelle est possible grâce à la loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire », voulue par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti et promulguée en décembre 2021. Elle autorise les tournages lors des procès, sur demande formulée auprès du ministère de la Justice qui rend un avis, même si la décision finale appartient aux chefs de juridiction. France Télévisions a signé un partenariat avec la Chancellerie dès le mois de mars pour réaliser cette émission mensuelle.

Un cahier des charges très précis

« Enfin nous y sommes », s’est félicité, « très ému », le ministre de la Justice le 16 octobre, lors de la diffusion en avant-première du premier épisode, à laquelle Le HuffPost a assisté. Ce programme est pour lui l’occasion de « rapprocher le citoyen de sa justice », elle qui « impressionne », qui n’est « pas assez connue » et qui déborde de « notions qu’on a du mal à comprendre ».

L’émission se veut en effet « pédagogique » : les images des procès - des délits routiers jugés par la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour le premier numéro - sont entrecoupées d’interventions en plateau pour expliquer ce qui se joue. Le présentateur et journaliste judiciaire Dominique Verdeilhan est assisté d’un avocat ou d’un magistrat pour expliquer certaines notions et donner du contexte. « Je poserai les questions qu’un téléspectateur pourrait être amené à se poser devant la séquence : pourquoi le juge prend-il seul la décision ? Quel est le rôle du procureur ? Pourquoi cet homme encourt-il cette peine ? », énumère-t-il. L’objectif est de montrer « la justice du quotidien », à laquelle n’importe qui peut être confronté un jour, à l’occasion d’un divorce ou d’une dispute avec un voisin. Loin de l’image des procès véhiculée par les séries américaines.

« C’est pédagogique, pas trash, et on rend compte de la difficulté de juger »
Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice

Mais les contours de cette émission sont limités par un cahier des charges précis. D’abord, avant d’être montrées à l’écran, les affaires doivent être définitivement jugées (lorsque le délai pour faire appel a expiré ou qu’il n’y a plus de recours possible), pour ne pas risquer d’influencer d’éventuelles futures audiences. Toutes les personnes présentes à l’écran doivent également remplir un formulaire de consentement pour accepter ou non la diffusion de leur image. Si elles refusent, elles ne devront pas être reconnaissables : leur visage, leur voix et l’identification de leur état civil devront être dissimulés. Un critère automatique pour les mineurs, les personnes protégées ou les forces de l’ordre.

La méthode de la « petite souris »

L’équipe de réalisation a donc dû trouver l’équilibre entre le respect de cette charte et la nécessité de rendre leur humanité aux protagonistes. « On ne voulait pas que les prévenus (qui sont anonymisés, ndlr) ne soient que des dos, des hommes troncs. Il fallait leur rendre grâce : c’est la vraie vie, on n’est pas dans une reconstitution », raconte David Montagne, réalisateur et directeur artistique de l’émission. Pour chaque procès, cinq petites caméras ont donc été placées dans la salle « à hauteur de regard », ainsi que des micros « à des endroits stratégiques », détaille-t-il auprès du HuffPost. Les cadreurs, eux, ne sont pas présents dans la salle mais dans un car régie à proximité du tribunal.

L’équipe de « Justice en France » reçoit les images dans le car régie installé à l’extérieur de la salle d’audience.
France TV Presse / Morgane Production L’équipe de « Justice en France » reçoit les images dans le car régie installé à l’extérieur de la salle d’audience.

Comme des « petites souris », « on a essayé de placer les caméras là où le téléspectateur se serait mis s’il avait pu être présent, explique-t-il. Derrière l’épaule d’un président de jury ou d’un prévenu, par exemple ». Ou planté face à la douleur d’un fils, apparaissant à visage découvert en tant que partie civile au procès de l’homme, un dépanneur, accusé de l’homicide involontaire de sa mère, morte dans un accident de moto.

Une petite caméra (au premier plan) installée dans une salle d’audience pour « Justice en France ».
France TV Presse / Morgane Production Une petite caméra (au premier plan) installée dans une salle d’audience pour « Justice en France ».

Contrairement aux captations pour les archives, où la caméra se concentre sur la personne en train de parler, David Montagne voulait filmer « ce qui se passe entre les gens, les échanges de regards, les silences qui en disent long sur ce qui se joue dans la salle ». « C’est souvent dans les moments de creux que la vérité voit le jour, où l’on comprend. C’est tout l’enjeu du programme : montrer même ce que l’on ne voit jamais. »

Défi relevé, à en croire le ministre de la Justice, interrogé par Le HuffPost à l’issue de la projection. « On est pile poil dans le cahier des charges : c’est pédagogique, pas trash, et on rend compte de la difficulté de juger », observe Éric Dupond-Moretti. L’émission peut-elle aider les Français à mieux comprendre leur justice ? « Des gens ont appris ce soir ce qu’était un procureur », se félicite-t-il dans un sourire.

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