Journée internationale du castor : plutôt que des mégabassines, et si ces rongeurs étaient la solution ?
AGRICULTURE - C’est une espèce animale qui a été chassée des rivières françaises… et de la mémoire collective. Un an après les événements autour des bassines de Sainte-Soline, le castor et ses barrages, dans un contexte de changement climatique, valent pourtant la peine qu’on se rafraîchisse les méninges.
Quasiment exterminé au XIXe siècle, le castor était très présent en France avant d’être massivement chassé pour sa fourrure. Protégé depuis une bonne cinquantaine d’années, le castor a repris des couleurs grâce à plusieurs opérations de réintroduction, et compte désormais quelque 20 000 individus en France, principalement dans les bassins du Rhône et de la Loire.
Difficile de lister tous les bénéfices que les rongeurs apportent pour les écosystèmes mais, pour résumer, la Société nationale pour la protection de la nature (SNPN) souligne que le castor favorise « le développement de la biodiversité des zones aquatiques et humides » et aide à « la régulation des crues et à l’épuration de l’eau ». Au point que l’animal est désormais célébré le 7 avril à l’occasion d’une journée internationale qui, ce dimanche, constitue le point de départ d’une « Année du castor » décrétée par la SNPN et plusieurs associations pour célébrer le 50e anniversaire de sa réintroduction dans la Loire.
Le rongeur compte également une importante communauté de fans chez les scientifiques et chez les défenseurs de l’agroécologie. Suzanne Husky est de ceux-là. Diplômée en agroécologie, l’artiste franco-américaine a mis le castor au centre de son travail. « En Amérique-du-Nord, pour certains peuples premiers, l’agriculture et le castor sont liés, et il y a de nombreux mythes associés au rongeur, ce qui montre son importance », explique-t-elle auprès du HuffPost.
« 8 millions d’années d’expérience »
Dans un continent où l’existence du castor n’a pas été frappée d’amnésie, « les hydrologues ont compris qu’il était possible de s’appuyer sur une espèce qui a 8 millions d’années d’expérience », poursuit Suzanne Husky. De là à imaginer le recours au castor comme alternative aux mégabassines en France ? C’est le parallèle fait par l’artiste dans plusieurs œuvres, dont celle que vous pouvez voir ci-dessous :
Comparer un réservoir de plus de 628 000 m3 d’eau – dans le cas de la bassine de Sainte-Soline – et les modestes barrages de castors paraît un brin provocateur. « Ce ne l’est pas tant que ça ! », répond Rémi Luglia, président de la Société nationale pour la protection de la nature (SNPN) et fervent soutien des castors. « Cela renvoie au modèle que nous voulons : un modèle agricole productiviste dans lequel on pilote l’eau en essayant de la pomper ou de la stocker, ou un système vivant qui s’appuie sur les fonctions écosystémiques de la nature. Dans ce modèle-là, le castor fait partie de la solution », explique au HuffPost l’historien, qui publiera prochainement le livre Vivre en castor aux éditions Quæ.
De manière concrète, les ouvrages de castors font monter le niveau des cours d’eau et gorgent d’eau les nappes de surface environnantes. « Nous avons fait des mesures dans la vallée de la Sye (Drôme) il y a quelques mois. Le niveau d’humidité des sols sur un kilomètre de rivière représentait quasiment l’équivalent d’une bassine de première génération, avec une seule famille de castors », raconte au HuffPost Hervé Coves, ingénieur agronome et militant de l’agroécologie. Une humidité dans les sols dont « les cultures environnantes pourront bénéficier directement pendant l’été », complète Rémi Luglia. Soit exactement le besoin exprimé par les agriculteurs à l’origine des projets de mégabassines, dans un quart Sud-Ouest de l’Hexagone où le castor n’a pas encore fait son retour.
La recréation de zones humides a par ailleurs un effet positif sur la biodiversité dont profitent aussi les cultures, ajoute le président de la SNPN. « Qui dit gain de biodiversité dit plus de prédateurs pour les insectes ravageurs des cultures et plus de pollinisateurs ! » Autant d’effets bénéfiques « moins mesurables qu’un tonnage de maïs dans un champ ». Une limite qui explique en partie pourquoi les projets agricoles intégrant le facteur castor restent encore marginaux ou expérimentaux.
Mauvaise image et manque de volonté politique
Surtout, le castor souffre d’une mauvaise image chez une majorité d’agriculteurs, pour lesquels il est associé à des dégâts sur les cultures. Dans un contexte de crise agricole, les exploitants sont-ils prêts à laisser de la place au castor ? « En ce moment moins que jamais », constate Hervé Coves. « C’est même de bon ton, chez les représentants des agriculteurs, de se foutre de la gueule de l’agroécologie, alors qu’il y a plein de choses qui sont faites sur le terrain. »
Des solutions existent pourtant pour limiter les conflits d’usage, mais elles ne disposent à l’heure actuelle d’aucun relais politique. Le gouvernement a donné le ton il y a quelques mois en écartant la plus efficace, à savoir « la mise en place d’un régime d’indemnisation des dommages dus au castor ». Un choix à rebours de celui opéré par de nombreux pays européens.
Par ailleurs, les projets de « régénération » des cours d’eau s’appuyant sur les castors restent confidentiels en France, « où l’artificialisation est plus importante et où de nombreuses zones industrielles ont été construites sur d’anciennes zones humides », souligne Suzanne Husky, dont le travail est régulièrement exposé aux quatre coins de la France (1) et qui prépare également avec le philosophe Baptiste Morizot un ouvrage à paraître à la rentrée chez Actes Sud.
Durant la crise agricole, l’exécutif a par ailleurs rappelé son soutien sans faille aux projets de mégabassines. « Les zones humides sont devenues des priorités nationales, mais on décide d’accaparer les réserves d’eau, se désole Hervé Coves. Où est la nature dans tout ça ? »
(1) Le Temps profond des rivières, jusqu’au 7 avril au Drawing Lab à Paris (Ier), C’était mieux après, jusqu’au 20 avril à la galerie Alain Gutharc à Paris (IIIe), Salut à toi, exposition collective jusqu’au 5 mai au centre d’art Transpalette de Bourges, Pratiques cosmomorphes, (ré)générer le vivant, exposition collective jusqu’au 28 juillet à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne (Rhône), Habiter la forêt, avec June Balthazard à la Contemporaine de Nîmes du 5 avril au 23 juin, Les Mondes imaginaires, exposition collective du 13 avril au 15 décembre à l’Espace Monte-Cristo, Paris (20e), Histoire des alliances avec le peuple castor, du 15 juin au 3 novembre au château de Châteaudun (Eure-et-Loir)…
À voir également sur Le HuffPost :
L’État pressé de mettre au point une stratégie face au manque d’eau par ce rapport indépendant
Les pénuries d’eau se généralisent, l’ONU alerte sur un « risque imminent » de crise mondiale