Les JO de Paris, cible de choix de la désinformation

Les Jeux olympiques de Paris 2024, du 26 juillet au 11 août seront un évènement sportif d'ampleur planétaire, suivi partout dans le monde. Leur bon déroulement est un enjeu majeur pour l'image de la France, sa crédibilité internationale, mais c'est aussi un sujet de débat en France et une source potentielle de tensions. Plusieurs types de menaces planent au-dessus des JO: terrorisme, cyberattaques, manifestations, etc, mais aussi des attaques informationnelles, sous forme de campagne d'infox destinées à décrédibiliser la France. Plusieurs pays sont accusés d'alimenter sur les réseaux sociaux la désinformation à propos des Jeux, en particulier la Russie et l'Azerbaïdjan. Moscou dément fermement toute ingérence.

Des graffitis inquiétants sur les murs de Paris, de faux articles de presse fustigeant l'organisation, des appels au boycott... Beaucoup d'informations trompeuses circulent depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux, des manoeuvres attribuées par les experts et les autorités à certains pays, régulièrement identifiés comme des acteurs majeurs de la manipulation et des ingérences informationnelles.

"Les efforts d'influence de la Russie convergent vers les Jeux olympiques de Paris 2024", estime le Centre d'analyse de la menace de Microsoft (MTAC) dans un rapport diffusé le 3 juin (archive) "La Russie tente, et va presque sûrement continuer, de saper les JO de Paris à travers plusieurs opérations d'influence maligne en cours, y compris des campagnes lancées depuis au moins 2023", jugent les experts en cybersécurité de Recorded Future dans un rapport publié le 4 (archive).

Les "campagnes" font référence aux diverses opérations de manipulation informationnelle attribuées à la Russie, qui s'étalent dans le temps, comme par exemple Doppelgänger (archivé ici) qui passe par l'usurpation de l'identité visuelle de sites de médias. Ces campagnes se succèdent, se croisent et se combinent, multipliant leur impact et renforçant la confusion informationnelle.

"Des acteurs financés ou alignés sur la Russie, la Chine, l'Iran ou l'Azerbaïdjan sont, a minima, en train d'utiliser les Jeux olympiques de Paris pour alimenter des narratifs malveillants préexistants", notamment autour de la guerre en Ukraine ou entre Israël et le Hamas, analyse Recorded Future. Les appels au boycott, manipulés par des acteurs étrangers ou non, se multiplient sur les réseaux sociaux, dénonçant pour certains la présence d'athlètes israéliens, pour d'autres russes (qui participeront sous bannière neutre)...

Ainsi, par exemple, une fausse infographie AFP a été diffusée sur un compte Telegram en russe en mars, prétendant montrer une corrélation entre les déclarations d'Emmanuel Macron sur la guerre en Ukraine (soutenue par Paris contre la Russie), et de prétendues annulations de réservations pour les JO, intitulée "Est-ce que la rhétorique agressive d'Emmanuel Macron menace les Jeux de Paris ?". L'AFP n'a jamais diffusé un tel document.

<span>Capture d'écran réalisée le 20 mars d'un fausse infographie de l'AFP publiée sur Telegram</span>
Capture d'écran réalisée le 20 mars d'un fausse infographie de l'AFP publiée sur Telegram

Début avril Emmanuel Macron avait dit n'avoir "aucun doute" que la Russie cible l'organisation des Jeux Olympiques, "y compris en termes informationnels", alimentant "tous les jours le fait que nous ne pourrions pas faire ceci ou cela, donc ce serait un risque" (archivé ici).

La Russie a assuré le 4 juin, dans la foulée de la publication du rapport MTAC, ne "pas interférer" en France, en réaction aux soupçons la visant après la découverte de cercueils près de la tour Eiffel, et démenti toute campagne de désinformation visant les Jeux olympiques de Paris.

"La Russie n'a pas interféré et n'interfère pas dans les affaires intérieures de la France --notre pays a des priorités plus importantes", a affirmé l'ambassade de Russie à Paris dans un communiqué.

"L'ambassade de Russie en France exprime sa vive protestation contre une nouvelle campagne russophobe déclenchée dans les médias français", a-t-elle ajouté.

Elle a évoqué une "hystérie" dangereuse pour les citoyens russes en France, notamment pour le personnel de l'ambassade, et exprimé sa solidarité avec "les citoyens français qui ont fait l'objet d'une chasse aux sorcières simplement parce qu'ils sont favorables à la préservation des liens d'amitié de longue date entre nos pays".

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a de son côté démenti toute campagne de désinformation visant les Jeux olympique prévus cet été à Paris, qualifiant de "pure calomnie" un rapport d'un observatoire de Microsoft accusant la Russie d'avoir intensifié ces efforts.

M. Peskov a assuré aux journalistes que ces accusations "n'ont rien à voir avec la réalité".

"Dès qu'ils peuvent nous placer une attaque, ils le font. C'est un bruit de fond constant", confirme une source sécuritaire française, qui ajoute toutefois que ce n'est la Russie la plus offensive sur les JO, mais l'Azerbaïdjan. L'agence française de lutte contre les ingérences Viginum avait mis à jour une campagne orchestrée par ce pays baptisée Olympiya, officiellement dénoncée par le gouvernement français. L'opération a été détectée par les autorités le 26 juillet 2023, soit très exactement un an avant l'ouverture des Jeux (archive ici).

"Aujourd'hui ils continuent, et ils essayent de relier Nouvelle-Calédonie avec les JO", ajoute cette source, en référence aux ingérences azerbaïdjanaises dénoncées par Paris autour des émeutes en Nouvelle-Calédonie (archivé ici).

Recorded Future a "identifié  sur les réseaux sociaux une activité probablement inauthentique contre les Jeux olympiques de Paris avec les mots-dièse #BoycottParis2024", via des faux comptes utilisant des photos de profil de prétendus citoyens français "volées dans des banques d'images". "Les publications incluent des faux basiques, et des images générées par intelligence artificielle mêlant des images de Paris, le logo olympique et des animaux ravageurs" comme des rats, moustiques-tigre, punaises de lit.

<span>Captures d'écran de X réalisées le 31 mai 2024</span>
Captures d'écran de X réalisées le 31 mai 2024

L'objectif de long terme des manipulations étrangères est la fracturation des sociétés pour affaiblir les pays occidentaux et saper la confiance des populations dans leurs institutions. Elles appuient sur les failles, les sujets de tension pour mettre attiser les tensions.

"Il suffit que la machine à désinformation détecte lequel de ces problèmes trouve le plus d'écho dans le débat public, pour qu'elle jette ensuite plus d'huile sur le feu pour nous diviser", résume Véra Jourova, la Commissaire européenne en charge des valeurs et de la transparence dans un entretien à Libération (archivé ici).

Selon un sondage Ifop réalisé les 13 et 14 février, 45% des Français n'ont pas confiance dans la capacité de la France à la France pour organiser les JO, un taux qui devient même majoritaire aux extrêmes de l'échiquier politique.

Il y a donc là un levier sur lequel jouer, d'autant que, comme le rappelle le MTAC, Moscou est coutumière des attaques contre les JO et les instances sportives: "La Russie moderne, aussi bien que sa prédécesseur soviétique a une longue tradition de tentative de saper les Jeux olympiques. S'ils ne peuvent pas participer ou gagner [comme c'est le cas pour les JO 2024 où les sportifs russes doivent concourir sous bannière neutre car la Russie a été exclue à cause de l'invasion de l'Ukraine, NDLR], ils cherchent à miner, diffamer et dégrader la compétition internationale dans l'esprit des participants, des spectateurs, et du public dans le monde".

Montages vidéos, fausses mises en gardes prétendument officielles contre le risque terroriste, faux articles de journaux accréditant l'idée que les JO vont mal se passer, faux graffitis, et même vrais graffitis, la palette des actions est vaste.

"Les migrants clandestins menacent de perturber les Jeux olympiques à Paris. Les autorités montrent leur impuissance. Le festival de vanité de Macron passera, les problèmes de Français resteront", affirmait fin avril un faux article du journal Le Parisien relayé sur différentes plateformes, mélangeant vraies infos, rumeurs, opinions (archivé ici).

<span>Capture d'écran d'un faux article du journal Le Parisien </span>
Capture d'écran d'un faux article du journal Le Parisien

Les ingérences passent aussi par la diffusion d'images de graffitis, vrais ou faux car c'est "une technique pour faire croire que les idées et opinions peintes dans l'espace public (par exemple les murs de Paris) l'on été par des artistes locaux, donnant une fausse impression de controverse", expliquent les entreprises de cybersécurité CheckFirst et Reset dans un rapport publié également mardi et consacré aux opérations russes "Overload" (archive), une extension d'une précédente opération mise à jour par l'AFP et le collectif Antibot4Navalny, baptisée Matriochka.

Un de ses axes d'attaque consister pour les manipulateurs à solliciter les médias avec des fausses informations pour saturer leur capacité de travail, mais aussi pour qu'ils leur donne de l'écho (même si c'est pour les dénoncer, selon le principe de "l'effet de vérité illusoire", expliqué dans ce travail de recherche publié par l'université de Limoges, archivé ici ).

Certains graffitis sont des faux, comme par exemple ceux faisant un parallèle entre l'attaque contre les athlètes israéliens aux JO de Munich en 1972 et les JO de Paris en 2024. Le graffiti n'a jamais été vu sur les murs de Paris, selon une source sécuritaire française.

La propreté douteuse de la Seine (archivé ici) dans laquelle doit se tenir des épreuves est aussi un angle d'attaque particulièrement porteur.

Par exemple, l'image d'un graffiti d'un poisson à trois yeux, référence à une personnage du dessin animé mondialement connu "Les Simpson" disant "La Seine est toute propre !", qui aurait été tagué sur les quais en plein coeur de Paris.

Visible sur un compte en russe sur Telegram le 16 avril, elle a été visible par exemple aussi sur TikTok en français, puis elle a été envoyée par mail le 9 mai à plusieurs médias européens pour leur demander de vérifier sa véracité, selon le rapport de Check First et Reset, qui affirme disposer d'outils techniques permettant de dire que l'image a été très probablement manipulée.

<span>A gauche, capture d'écran Tiktok réalisée le 31 mai, à droite, capture d'écran du rapport Overload montrant une analyse de l'image réalisée avec les outils sélectionnés par les entreprises CheckFirst et Reset. La partie en rouge est celle qui a été manipulée</span>
A gauche, capture d'écran Tiktok réalisée le 31 mai, à droite, capture d'écran du rapport Overload montrant une analyse de l'image réalisée avec les outils sélectionnés par les entreprises CheckFirst et Reset. La partie en rouge est celle qui a été manipulée

Rajoutant à la confusion, des vrais tags ont été retrouvés sur les murs de la capitale: des pochoirs mettant en garde contre la chute de balcons avec le symbole des anneaux olympiques sont ainsi apparus dans le quartier de Notre-Dame ou près du parc Monceau. Cela fait écho à une véritable mise en garde réelle du groupe immobilier FNAIM Grand Paris en début d'année (archivé ici).

<span>Photo d'une série de tags au pochoir dans le 8e arrondissement de Paris, prise lundi 27 mai </span><div><span>Fabien ZAMORA</span></div>
Photo d'une série de tags au pochoir dans le 8e arrondissement de Paris, prise lundi 27 mai
Fabien ZAMORA

Mais selon Le Canard enchaîné, la police a identifié des Moldaves qui seraient les auteurs de ces pochoirs, une opération qui rappelle deux autres actions attribuées à la Russie: le tag d'étoiles de David par des Moldaves, et celui des "mains rouges" sur le mémorial de la Shoah (archivé ici) par des individus en provenance de Bulgarie.

Outre les opérations qui peuvent semblées planifiées, l'influence attribuée à la Russie peut se manifester aussi dans des exploitations opportunistes  a posteriori comme celle de certaines images de la patrouille de France lors de l'arrivée de la flamme olympique à Marseille le 8 mai sur lesquelles, à cause de l'angle de la prise de vue, on avait l'impression que les couleurs lâchées par les avions formaient l'étendard russe et non français, comme l'AFP l'explique ici.

Mais il existe aussi des infox ayant trait aux JO, sans que des acteurs étrangers soient nécessairement identifiés derrière leur propagation.

L'AFP a par exemple évoqué ici d'une vidéo censée montrer un agent de la mairie de Paris en train de déverser du colorant bleu dans la Seine pour cacher la pollution, ce faux reportage de TF1 pour inciter les femmes enceintes à accoucher avant les JO. De même, le hashtag #JechiedanslaSeinele23juin demandant aux gens de déféquer le fleuve pour perturber une éventuelle baignade de la maire de Paris, a connu un certain succès (archivé ici), apparemment sans que soient identifiés des traces de campagnes d'ingérence.

Les menaces informationnelles chinoises sont, elles, moins visibles. Elle "va probablement mener des opérations limitées autour des Jeux de Paris, se concentrant principalement sur l'envoi de messages pro-Chine", anticipe Recorded Future, évoquant "la défense de ses athlètes contre des accusations de dopage, et donc seront sans doutes plus orientées vers les agences anti-dopage américaines et le Comité international olympique que vers les autorités françaises".

"Pour l'instant, il n'y a pas eu grand chose" de la part des Chinois, confirme la source sécuritaire. "C'est très factuel, quelques narratifs en mandarin qui ont évoqué les problématiques de sécurité".