JO de Paris 2024 : Ce ver marin aurait pu être le Graal du dopage, mais ces chercheurs s’assurent du contraire

Sur les plages de toute la façade atlantique, c’est sous ces petits tas de sédiments rejetés par l’arénicole que l’on trouve un petit ver marin aux propriété incroyables (photo d’archive prise en 2011).
myLoupe / Universal Images Group via Getty Images Sur les plages de toute la façade atlantique, c’est sous ces petits tas de sédiments rejetés par l’arénicole que l’on trouve un petit ver marin aux propriété incroyables (photo d’archive prise en 2011).

SCIENCE - « Un trésor sous le sable. » Voici comment Franck Zal, spécialiste en physiologie respiratoire et fondateur de la société Hemarina, qualifie l’arénicole, un petit ver marin présent sur toute la côte ouest de la France, du Pays basque à la mer du Nord. Et pour cause : cet animal, que l’on détecte par les tourbillons de sable qu’il crée là où il se cache sous le sable, dispose de propriétés fascinantes, comme l’ancien chercheur au CNRS s’en est rendu compte le premier.

L’arenicola marina se terre à marée basse jusqu’à la remontée de la mer. Il est donc capable de retenir sa respiration six heures, grâce à son hémoglobine, capable de transporter 40 fois plus d’oxygène que les globules rouges humains. Une capacité hors du commun, qui pourrait ressembler à un Graal absolu pour un sportif en en quête de performance, surtout à quelques mois des Jeux olympiques de Paris 2024.

Ce ver marin, l’Arenicola marina, est présent un peu partout en France. Mais avant Franck Zal, l’ampleur de ses propriétés exceptionnelles n’avait jamais été comprise (photo prise à Saint-Jean-du-Doigt, en Bretagne, en 2022).
FRED TANNEAU / AFP via Getty Images Ce ver marin, l’Arenicola marina, est présent un peu partout en France. Mais avant Franck Zal, l’ampleur de ses propriétés exceptionnelles n’avait jamais été comprise (photo prise à Saint-Jean-du-Doigt, en Bretagne, en 2022).

« Quand vous faites un footing, vous pouvez avoir des crampes. C’est un signal qui vous indique que vous avez dépassé votre capacité de délivrance d’oxygène à votre métabolisme », explique Franck Zal au HuffPost. Mais avec de l’hémoglobine de ver marin, le corps pourrait être alimenté bien plus efficacement. C’est ce que font déjà certains sportifs qui cherchent à augmenter leur taux d’hématocrite (ou nombre de globules rouges). Souvent légalement, en s’entraînant en altitude, mais aussi grâce à du dopage à l’EPO ou en s’autotransfusant du sang.

40 fois plus d’oxygène transporté que par un globule rouge

Dès qu’il a commencé à travailler sur l’hémoglobine de ver marin, Franck Zal a donc « su qu’un produit 40 fois plus oxygénant qu’une molécule de vertébré pouvait potentiellement intéresser » des candidats au dopage. Raison pour laquelle il est entré en contact avec Alexandre Marchand, l’un des spécialistes en matière de biologie et d’analyses sanguines auprès de l’AFLD, l’Agence française de lutte contre le dopage.

Ce dernier détaille, toujours auprès du HuffPost : « Pour un sportif qui souhaiterait se doper, l’idée serait d’apporter d’un coup beaucoup plus d’oxygène autour d’un organe. » Et dans un sport d’endurance par exemple, « le fait d’avoir plus d’oxygène va permettre de produire moins d’acide lactique, d’avoir une résistance à l’effort plus longue, de pouvoir pousser le corps un peu plus loin et donc de dépasser ses concurrents ». Le tout avec un produit qui semble en plus être éliminé très rapidement dans l’organisme. Une sorte de parfait « boost pour un instant T ».

Franck Zal, à gauche, a découvert les propriétés fascinantes de l’arénicole. Alexandre Marchand, à droite, travaille lui depuis des années sur la détection de l’usage de son hémoglobine à des fins de dopage.
Captures d’écran Zoom et Google Meet Franck Zal, à gauche, a découvert les propriétés fascinantes de l’arénicole. Alexandre Marchand, à droite, travaille lui depuis des années sur la détection de l’usage de son hémoglobine à des fins de dopage.

C’est ainsi qu’Alexandre Marchand a été le premier à mettre au point un système de détection de l’hémoglobine de ver marin au service de la lutte antidopage. Électrophorèse, détection du produit par sa masse moléculaire (bien différente de l’hémoglobine humaine), perception d’une coloration du plasma vers des tons roses ou rouges lorsque le produit est utilisé, plusieurs solutions existent désormais.

Et face aux fantasmes que suscite sa découverte, Franck Zal a aussi été contacté par la World Anti Doping Agency (l’Agence mondiale antidopage) qui a distribué des moyens de détection partout dans le monde, ou encore par l’instance américaine, l’Usada. « Et via la spectrométrie de masse, une équipe allemande vient tout juste de mettre au point un système de détection encore plus fin », assure-t-il. En clair, aucun risque que son hémoglobine de ver marin, qu’il produit désormais dans une ferme d’aquaculture basée à Noirmoutier (Vendée), soit utilisée à des fins de dopage.

Un produit encore jamais testé sur l’homme

D’autant qu’au-delà de la théorie, Alexandre Marchand met en garde : « Pour moi, ça reste dangereux d’imaginer un sportif commencer à prendre un produit alors même qu’on n’a pas encore de résultats d’une étude clinique sur l’homme, de preuve d’absence d’effets secondaires qui n’auraient pas été détectés chez l’animal » Pour le spécialiste de la lutte contre les produits dopants, « le risque pourrait être d’avoir d’autres sociétés hors de France qui commenceraient à produire la même hémoglobine de ver marin ».

À l’origine, c’est sur le plages que Franck Zal a commencé à récolter les vers marins pour les étudier. Désormais, il possède une ferme aquacole qui en produit pour satisfaire les besoins de sa société (photo d’archive prise en septembre 2003).
Jean-Francois Deroubaix / Gamma-Rapho via Getty Images À l’origine, c’est sur le plages que Franck Zal a commencé à récolter les vers marins pour les étudier. Désormais, il possède une ferme aquacole qui en produit pour satisfaire les besoins de sa société (photo d’archive prise en septembre 2003).

Une crainte qui a surgi au moment de l’affaire Aderlass. Ce scandale a éclaté début 2019 autour de Mark Schmidt, un médecin allemand coupable d’avoir pratiqué des transfusions sanguines pour augmenter les performances de skieurs de fond et de cyclistes notamment. « Les enquêteurs ont trouvé de l’hémoglobine en poudre et nous ont donc contactés », raconte Franck Zal. Il s’est finalement avéré qu’il s’agissait d’hémoglobine humaine lyophilisée, complète Alexandre Marchand, ce qui soit dit en passant « n’est pas très efficace puisque le produit va avoir tendance à s’éliminer très vite ».

Alors bien loin de ces rêves de sportifs frauduleux, Franck Zal préfère, lui, voir les avancées spectaculaires que permet le fameux ver arénicole. Sa société Hemarina a par exemple bouleversé la greffe d’organe avec un ajout de la molécule d’hémoglobine dans les poches de préservation de greffons. « Quand on met l’organe dedans, il croit qu’il est encore connecté à la circulation sanguine, ce qui permet de le préserver plusieurs jours et non plus plusieurs heures. » Même chose avec la guérison miraculeuse d’un grand brûlé à Nantes en cette fin d’année, soigné grâce à un gel reposant là encore sur la molécule de ver marin : « Les cellules d’une plaie ont besoin d’oxygène. Mais chez un brûlé, il n’y a plus de microcirculation dans les tissus. Notre gel draine tout l’oxygène de la pièce et accélère les vitesses de cicatrisation. »

Et puisque les pathologies en lien avec la trop grande présence d’oxygène (stress oxydatif) ou son absence (ischémie) sont légion, le biologiste voit encore plus loin. Il travaille actuellement à lutter contre la drépanocytose, qui affecte la forme des globules rouges, les bactéries anaérobies, le cancer… « Ce ver, c’est 25 ans de ma vie. Aujourd’hui, on détruit la biodiversité et jusqu’alors, tout le monde se foutait de ce ver. Mais désormais, à partir de lui, on est en train de révolutionner des pans entiers de la médecine. » Grâce à un joyau qui se cachait à peine sous le sable d’une plage bretonne.

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