JO 2024: comment la psychologue Meriem Salmi veut aider les Français à briller sous la pression

Ce n’est pas une athlète professionnelle, mais elle attaque cet été ses sixièmes Jeux olympiques. Pour la sixième fois, la psychologue Meriem Salmi va tout faire pour porter les sportifs qu’elle accompagne vers la médaille olympique. Teddy Riner, Ysaora Thibus, Elodie Clouvel, Ladji Doucouré… tous connaissent le cabinet parisien de la spécialiste de 62 ans. Cela fait plus de 30 ans qu’elle soutient psychologiquement des sportifs français dans leur carrière, et cette année, elle sera à leurs côtés pour Paris 2024.

RMC Sport: Avec les Jeux en France, à domicile, les athlètes français ont une pression toute particulière…

Meriem Salmi: Ce qu’il y a derrière cette pression, c’est l’envie de bien faire. C’est l’envie de ne pas décevoir le public français et leur environnement, leur famille. On entend parler des Jeux tous les jours, on les voit dans les rues, partout. C’est en même temps un moment de grande émulation et un moment de gestion d’émotions particulièrement fortes. Autour des athlètes, tout leur rappelle les Jeux olympiques et c’est aussi ce que l’on doit travailler. C’est cette spécificité que l’on ne va pas rencontrer pour des JO à l’étranger, même s’il y a évidemment beaucoup de turbulence émotionnelle dès qu’il s’agit des Jeux.

Dans ce contexte-là, à quel point l’accompagnement psychologique est important?

Quand on est dans le monde de l’excellence, de l’élite, comme le sport de haut niveau, le moindre détail est important. Une performance peut se jouer à des millièmes de seconde, à des millimètres. On va souligner les détails qui vont faire la différence, parce que ces détails peuvent amener des dysfonctionnements, amener une préparation à être perturbée. Dans l’excellence, ça se joue toujours à un détail.

Vous parlez de tout avec les athlètes, pas seulement du sportif?

Oui c’est très important pour moi de rester sur l’humain. Pour moi, la performance c’est le résultat d’une harmonie. À partir de là, tout peut intervenir, y compris la vie privée. Je ne m’intéresse pas qu’à la performance. C’est en s’intéressant à l’humain qu’on obtient les meilleurs résultats. La médaille n’est pas le seul enjeu, on a aussi à faire à des hommes et des femmes, et c’est ça le principal enjeu pour moi.

Ça a longtemps été tabou en France, la psychologie dans le sport?

Oui, je pense même qu’on en n’est pas si loin de ça… Évidemment, ça a évolué, et heureusement en 30 ans (rires). Il a fallu du temps, des gens dans l’ombre, des sportifs aussi qui ont aidé le monde sportif à évoluer. Un certain nombre de gens qui étaient minoritaires au départ. C’est satisfaisant de voir que les choses ont évolué, mais j’aurais aimé que ça avance plus vite. Au même titre qu’un athlète a un médecin et un kiné, il devrait avoir un psy. On a affaire pas seulement à un corps, mais aussi à une tête, et bien on devrait avoir une équipe pluridisciplinaire qui intègre des professionnels du corps et de la tête.

Parmi ces athlètes qui ont ouvert la voie, il y a Teddy Riner, que vous accompagnez depuis le début de sa carrière…

C’est notre plus bel ambassadeur de la psychologie dans le sport. Et pas que… Il a convaincu des gens qui ne sont pas dans le sport. Quand un très grand champion parle d'accompagnement psy, il va générer beaucoup de déculpabilisation, parce que la psychologie, on n’y va pas de gaieté de cœur, on appréhende. Il a démystifié cet aspect-là en en parlant. Ça fait 20 ans qu’on travaille ensemble, toute sa carrière… Et sa carrière n’est pas terminée méfiez-vous! Il a dit qu’il voulait aller à Los Angeles donc méfiez-vous (rires).

Quand il a parlé de son accompagnement (pour la première fois), il avait 14 ans et demi. Il n’était personne en termes de palmarès, de sportif. Il est arrivé dans le monde du judo, qui n’était pas du tout propice à l’accompagnement psy, et il a été capable d’en parler. On a commencé à s’y intéresser quand il a commencé à avoir des médailles. C’est important de se rendre compte de tout cet historique. Ensuite il y a eu d’autres athlètes, mais ça a été le plus bel ambassadeur.

Que ressentez-vous en voyant son évolution depuis 20 ans?

Je ressens que j’ai affaire à quelqu’un qui a une intelligence hors-norme, et qui ne s’est pas contenté de ses qualités. Ce qui caractérise un athlète de très haut niveau, c’est l’intelligence. On l’a toujours réservée aux intellectuels, mais j’ai toujours été convaincue qu’il n’y avait pas que cette forme d’intelligence. L’intelligence est partout et aussi dans le sport de très haut niveau. Est-ce que Franck Ribéry est intelligent? Oui. Il est très intelligent et je trouve ça assez odieux (que certaines personnes) parlent des gens comme ça, avec ce mépris. Ce sont des gens brillants. Alors peut-être que ce qui va caractériser des athlètes comme Teddy Riner, c’est qu’ils ne se contentent pas de ça. Ce sont d’énormes bosseurs. C’est quelqu’un qui a été capable d’identifier très rapidement que cette question d’accompagnement psy, qui était rejetée, était importante pour lui.

Même après 20 ans, il a tout gagné, il a encore envie de gagner. Il aurait pu se dire "j’arrête, je n’ai pas besoin"... mais il n’a jamais rien lâché. C’est ça qui me fascine, sans être fan, il faut garder cette distance sinon on ne peut plus travailler. Et ce que je dois aussi souligner, c’est que c’est une très belle personne.

Il n’y a pas que des Teddy Riner dans la délégation française. Il y a aussi des athlètes qui arrivent quasiment dans l’anonymat et vont être sous le feu des projecteurs avec ces Jeux à la maison. Comment les accompagner?

Il faut les préparer à ce que sont les Jeux olympiques. Tous les athlètes ont le rêve olympique depuis enfant, mais ce n’est pas simple de savoir ce qui nous attend tant qu’on ne l’a pas vécu. Il faut aussi renforcer l’accompagnement sur place. Il y en a qui peuvent être impressionnés, et en plus on va être à Paris. Ils peuvent être chargés mentalement par la pression.

Certains athlètes vivent l’énorme déception de ne pas se qualifier pour Paris 2024, comment gérer ça?

On revient sur l’humain. La valeur d’un sportif ne se résume pas à une médaille ou à une qualification. Elle se résume à toutes ces valeurs qu’il a développées, toutes ces compétences de courage, de ténacité, d’effort, d’heures de travail. Qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, je les regarde toujours de la même façon. J’ai du respect pour leur travail, médaille ou pas médaille. Il faut qu’ils aillent chercher le plus loin possible sans barrières dans le cerveau. Mais c’est très difficile puisque le jour-J, il y en a qu’un, sur toute la planète, qui va réussir cet exploit. Évidemment qu’il va y avoir des déçus, et déjà lors des qualifications. Il faut préparer en amont ces questions. Ce sont des humains. On a le droit d’être déçus, de crier quand on n’est pas qualifié, qu’on n’a pas eu la médaille que l’on mérite… mais on n’a pas le droit de se dévaloriser.

Qu'allez-vous ressentir si vous voyez l’un des athlètes que vous accompagnez avec la médaille d’or autour du cou cet été?

J’ai déjà des frissons quand vous m’en parlez… J’ai cette émotion qui arrive parce que le travail psy est très particulier. Je suis au courant de plein de secrets, je sais par où ils sont passés, parce que ces choses-là ils ne vont pas les confier à tout le monde, et je sais à quel point ils en ont bavé pour en arriver là. C’est ça qui m’émeut ! De me dire: ils le méritent tellement. Ça me donne beaucoup d’émotion qu’ils aient réussi à réaliser leur rêve, parce qu’ils le méritent.

Article original publié sur RMC Sport