JO 2024, Badminton: "Décrocher quelque chose de monumental", l'ambition des frères Popov en double

Toma Junior et Christo Popov, ça fait longtemps que l’on ne vous a pas entendus. Comment allez-vous ?

Toma Junior Popov: Ça va! On a pris quelques jours de vacances après la longue tournée européenne et les championnats d'Europe. Aujourd’hui, on se prépare pour la tournée asiatique qui va démarrer la semaine prochaine en Malaisie. Il y aura aussi les play-offs interclubs ce week-end, donc c'est un programme assez chargé!

Toma, vous étiez assuré de participer aux Jeux Olympiques en simple. Ça représente quoi pour vous?

TJP: Ça été une consécration. La qualification a été très longue avec des hauts et des bas. Avec Christo, on s'est tiré la bourre. Il était devant, j’étais devant... A la fin, ça s'est joué sur la tournée européenne. On a tous les deux produit un niveau d'exception, surtout sur les cinq dernières semaines. C'est une fierté d'aller aux Jeux 2024. Ça faisait depuis les championnats d’Europe 2019 qu’on en parlait. C'était quelque chose qui était très important, un objectif à réaliser.

Pour vous Christo, la semaine des championnats d'Europe a aussi été forte en émotions. Comment l’avez-vous vécue?

Christo Popov: Ce n’est pas très compliqué. J'étais fracassé en arrivant aux championnats d'Europe. Que je sois à 100% ou pas, ce n’était pas un bon tirage d’être contre Alex parce que c’est un très bon joueur, ça ne fait aucun doute. Peut-être qu'avec un autre tableau j'aurais pu aller plus loin et j’aurais assuré ma qualification. Mais c’est le jeu! Ça ne se joue pas sur une seule compétition mais sur une année entière. Je n'ai aucun regret, j’ai beaucoup poussé tout au long de cette qualification. J’ai poussé les limites de mon corps et au bout d’un moment on en paye le prix. C'est ça qui est difficile dans une qualification olympique: c’est sur un an, c’est un marathon et le corps prend cher. C’est comme ça.

Vous finissez donc ces championnats d’Europe avec la qualification en simple de Toma mais, à ce moment-là, pas de qualification en double. Deux semaines plus tard, vous apprenez que vous repassez devant au classement du double hommes et que vous irez tous les deux aux JO. Quelle a été votre réaction?

CP: Toma était au Danemark à ce moment-là. Sur le coup, je me suis dit qu’il y avait peut-être une petite erreur puisqu’il y avait déjà eu des coquilles dans le classement durant l'année. Je me disais que la BWF (la fédération internationale de badminton) allait rectifier. Finalement, on s’est rendu compte qu’il y avait bien eu une coquille, mais à l’envers! C’est-à-dire qu’ils avaient rectifié une erreur passée et que c’était le vrai classement. Et là, bien sûr, on était contents.

Et vous Toma?

TJP: J’étais à Copenhague et mon père m’a appelé pour me dire ‘Regarde le classement, il a bougé. Ce n’est pas normal, qu'est-ce qu’il se passe ?’ On a regardé avec le coach et notre consultant-coach anglais. Ils ont refait les comptes et finalement c'était le vrai classement. Quand je suis allé m’entraîner au centre national danois, les joueurs m'ont dit que c'était le vrai classement, qu’ils avaient aussi fait les comptes et que beaucoup de personnes avaient bougé dans la qualification olympique. Pour moi, ç'a été un soulagement parce que j’étais contente d’être qualifié mais ça me faisait ch*** pour Christo. Je voulais qu’il vienne. J’avais dit à mon père ‘S’il y a moyen de le qualifier, je serai le plus heureux’. Finalement, c’est arrivé et mon père m'a dit ‘Ton souhait s’est réalisé’.

Ronan Labar et Lucas Corvée se sont exprimés. Ils trouvent injuste que la BWF ne se soit pas rendu compte de son erreur plus tôt. Ç’aurait pu changer le classement et votre façon de vous qualifier sur les tournois. Quelle a été votre première réaction vis-à-vis de Ronan et Lucas? Vous avez pu échanger?

CP: Dès la fin des championnats d'Europe, on était en stand-by. On attendait des éclaircissements, il n’y a pas forcément eu de discussions avec eux. On entendait tout le monde dire qu’ils n’iraient pas aux Jeux pour une erreur de calcul mais, à l’inverse, si personne ne s’en était aperçu, ils y seraient allés alors que l’on était légitimement devant. Tout le monde dit que, nous, on y va pour une erreur de calcul alors que c’est le contraire et on l’a un peu mal pris. Mais on reconnaît que c’est très difficile et c’est pour ça que l’on a gardé le silence. On ne voulait pas s'exprimer parce qu'on attendait des informations. Tout est un peu flou, on ne voulait rien affirmer tant que ça pouvait changer. Ils se sont exprimés, c'est normal.

TJP: Tant qu’on n’était pas officiellement qualifiés ou non-qualifiés, on ne pouvait rien dire ou constater. On ne voulait pas prendre position. C’est complètement normal qu’ils défendent leur place. Nous, de notre côté, on a juste attendu.

Vous vous entraîniez souvent ensemble ces derniers temps pour la qualification olympique. Ça n’a pas entravé vos relations ?

CP: On n’espère pas. On n'a eu aucune communication avec eux. Je pense qu'ils doivent évidemment vivre des moments compliqués. De notre côté, ça ne change rien parce que ce n’est ni de leur faute, ni de la nôtre, ni celle de la fédération française. C’est celle de la BWF qui a fait une petite erreur dès le début. On espère que nos relations ne vont pas en pâtir.

Cette erreur de la BWF dès le début de la qualification olympique entache un peu l'image qu' on peut avoir du badminton. Quel regard portez-vous sur cette situation?

CP: Certaines personnes s’étaient rendu compte de l'erreur avant que la BWF la rende publique. Je ne sais pas si les joueurs en question s’en étaient rendu compte mais je le pense. S’ils s’étaient exprimés avant, dès le début de l'erreur, elle aurait été rectifiée et on n'en aurait pas parlé. Dès qu’il y a une erreur dans le foot, c’est rectifié au bout de quelques semaines. Dans notre cas, l’erreur est impardonnable, mais je pense que tout le monde a sa part de responsabilité.

TJP: Surtout que tout le monde était impacté ! On est le cas le plus flagrant puisque la place du double français se jouait entre eux et nous pour les Jeux en France. Mais cette erreur changeait le classement et les quotas pour les autres pays aussi. On nous a dit que ça arrivait dans d’autres sports. Ce n’est pas la première fois et ça ne sera pas la dernière.

Christo, il y a quelques semaines vous pensiez ne pas faire les Jeux, finalement vous y serez en double. Quel est votre sentiment?

CP: C’est super. La qualification en simple était un projet personnel et professionnel. La qualification en double était bien sûr un projet professionnel mais ça nous tenait énormément à cœur avec mon frère et pour l'équipe qui nous entoure. On est quand-même une équipe et aller ensemble aux Jeux c’est beaucoup plus important et impactant que d’y aller seul. On a réussi à le faire donc on est très contents.

TJP: C’était un projet familial. Je pense que ça tenait aussi beaucoup à cœur à nos parents.

Et pour vous Toma, le fait que Christo fasse tout de même les Jeux vous soulage alors que vous avez pris la place en simple?

TJP: Ah oui, clairement! Je pense que dans la famille, c’est un gros poids qui est tombé. Et puis c'est beaucoup plus valorisant quand on y va à deux. Je pense que j’aurais moins apprécié l'expérience JO Paris 2024 si j'avais été seul. Là, je suis avec mon frère, on est ensemble depuis qu’on est tout petits.

Comment vous vous projetez maintenant que vous allez faire les Jeux ensemble?

CP: On n’a pas encore débuté la phase de préparation pour les Jeux. On est très concentrés sur la tournée asiatique parce que le circuit ne s'arrête jamais. Les JO, ça sera sur une semaine et puis après ce sera fini. Une fois la tournée asiatique terminée, on se concentrera à 100% sur les Jeux et l’objectif n’est pas simplement de participer. C'est de faire des performances et d’aller chercher les médailles. On essaiera de se préparer au mieux.

TJP: Surtout qu'on est le premier double français à se qualifier au Jeux olympiques.

Vous avez réussi à mettre de côté la polémique des dernières semaines pour rester concentrés à l’entraînement ?

CP: Notre chance, c’est que l’on est loin de tout ça. On a une superbe équipe qui nous entoure et on a réussi à garder nos routines de travail.

TJP: Dans tous les cas, il fallait se préparer pour la tournée asiatique. On était focus sur ça. Et puis après la tournée, on aura un mois et demi, deux mois, pour se préparer pour ça.

CP: De tout façon, on n’avait aucun contrôle là-dessus.

Les Jeux débuteront dans un peu plus de deux mois. Il y aura la cérémonie d’ouverture sur la Seine, le village olympique, etc. Vous imaginez comment vos premiers JO?

CP: On ne l’a jamais vécu, c'est une première expérience sur tous les aspects. J’ai juste hâte d'y être et de vivre ces Jeux de l’intérieur en tant qu'athlète et on va essayer de le vivre au maximum.

TJP: C'est le graal de tout sportif. Rien que d’y participer, de se retrouver parmi les meilleurs sportifs mondiaux et de partager cette fête, on est déjà chanceux. Que ce soit chez nous, c'est encore plus valorisant. Et si on arrive à décrocher quelque chose, ça serait monumental.

Vous êtes la première paire française aux Jeux, vous êtes frères. Forcément ça attire les regards. Vous vous rendez compte de l’attente autour de vous ?

CP: Ouais c'est sûr. Dans tous les sports, il faut des performances et de belles histoires pour que l’on en parle. Ces dernières années, ce sont surtout nos résultats dans les catégories jeunes et sur le World Tour qui nous ont mis un plus en avant, ainsi que notre fratrie. Une performance aux JO serait un beau tremplin pour le badminton.

TJP: En tout cas, c’est la première fois que la France se qualifie dans les cinq disciplines. C’est aussi la première fois qu’il y a un double dames français aux JO, il me semble. On représente déjà la France au mieux.

A quoi ressembleraient des Jeux rêvés, Toma ?

TJP: Il faudrait que j’aie deux médailles.

Et vous, Christo ?

Dans tous les cas, on va jouer contre les top niveaux mondiaux. Je veux déjà prendre un énorme plaisir. C’est tous les quatre ans, tout peut arriver et c'est peut-être aussi la seule fois où on ira aux Jeux, même si j’espère aussi aller aux prochains. Prendre un maximum de plaisir et aller chercher les meilleures performances possibles. Ne pas avoir de regrets même s’il n’y a pas de médaille. Tout donner.

Article original publié sur RMC Sport