Jeux olympiques de Paris 2024 : à J-50, on vous raconte les premiers JO féminins organisés en 1922

Alice Milliat a tenu tête au Comité international olympique pour organiser les premiers JO féminins en 1922. (Photo d’illustration : les tchéco-slovaques s’entraînent au départ de Monte-Carlo avant l’ouverture des Jeux olympiques féminins.)
George Rinhart / Corbis via Getty Images Alice Milliat a tenu tête au Comité international olympique pour organiser les premiers JO féminins en 1922. (Photo d’illustration : les tchéco-slovaques s’entraînent au départ de Monte-Carlo avant l’ouverture des Jeux olympiques féminins.)

SPORT - Les Jeux olympiques de Paris 2024 sont les premiers à afficher une stricte parité entre les femmes et les hommes. Si la France s’enorgueillit aujourd’hui, ce 50-50 n’aurait jamais été possible sans le combat d’une pionnière : Alice Milliat, qui a tenu tête au Comité international olympique pour organiser les premiers JO féminins en 1922, au stade Pershing, situé dans le bois de Vincennes à Paris. Cette femme s’est particulièrement battue contre Pierre de Coubertin, promoteur des Jeux modernes, qui refusait catégoriquement l’organisation de « JO femelles ».

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Jeune nantaise brillante et polyglotte, Alice Milliat découvre la pratique sportive à Londres, « qui était au début du XXe siècle, la capitale du sport et du féminisme », explique au HuffPost Florys Castan-Vicente, enseignante-chercheuse à l’Université Paris-Saclay, spécialiste du genre et du sport. Quand Alice Milliat rentre en France, « elle s’installe à Paris et s’inscrit dans le plus grand club sportif de la capitale, le Fémina Sport » dont elle devient la présidente en 1915.

Un long combat contre le machisme

Au sortir de la Première Guerre mondiale, Alice Milliat prend ensuite les rênes de la Fédération sportive féminine internationale (FSFI) et engage alors « un bras de fer » avec le CIO pour organiser à tout prix des Jeux olympiques pour les femmes semblables à ceux des hommes.

Celle qui croit profondément que les femmes peuvent pratiquer tous les sports se heurte au machisme qui règne dans les fédérations sportives masculines ainsi qu’aux croyances médicales selon lesquelles le corps des femmes est faible et en permanence malade. « En Histoire, on appelle ça le “paradigme de l’éternelle blessée”, précise Florys Castan-Vicente qui poursuit : les peurs se cristallisent surtout autour de l’utérus. Les médecins craignaient en effet qu’il ne tombe en cas d’excès de sport, et ce jusque dans les années 60-70 ».

Mais Alice Milliat résiste et veut montrer aux hommes que les femmes peuvent concourir à des épreuves sportives de haut niveau. Quoi de mieux alors que de le prouver par l’exemple, en organisant dans la Ville Lumière des Jeux olympiques féminins. Le 20 août 1922, au stade Pershing dans le 12e arrondissement, construit et offert à la France par les alliés américains, la première édition de ces Jeux pour les femmes rassemble 77 sportives venues de France, d’Angleterre, des États-Unis, de Suisse et de Tchécoslovaquie autour de treize épreuves d’athlétisme.

Un 1000 m contre l’avis du CIO

Les gradins sont bondés en cette journée d’été. Parmi les 20 000 spectateurs, il y a des « curieux », des « patriotes venus soutenir leur drapeau », des femmes applaudissant des femmes, des hommes « soupçonnés de concupiscence » et beaucoup de journalistes de la presse généraliste et sportive pour couvrir l’évènement, décrit Florence Carpentier, historienne du sport, dans une publication sur la plateforme scientifique HAL. « Les dirigeants des milieux politiques et sportifs » brillent en revanche par leur absence.

Comme vous pouvez le voir sur les photos de l’exposition en ligne accessibles ici, chapeautée par Florence Carpentier, les jeunes femmes étaient vêtues d’un t-shirt et d’un short. « Pour contrer les critiques des commentateurs de sport, à 99 % des hommes, elles s’habillaient avec des vêtements larges, longs et sombres », détaille Florence Carpentier. Les sportives, certaines issues de la classe populaire parisienne, portaient aussi des chaussures, en toile ou en cuir, peu adaptées à la pratique du sport.

C’est dans cette tenue que ces athlètes se lancent notamment dans un sprint sur 1 000 m, une épreuve qui n’existe pas aux JO masculins. Mais Alice Milliat est persuadée que les femmes, douées d’endurance, ont des aptitudes indéniables pour cette distance. Et elle a raison, la foule rassemblée pour les encourager est conquise. D’un point de vue sportif aussi, l’évènement est un succès : « onze records du monde battus », titre le Journal, le 21 août. Et ce sont les Anglaises, qui ont l’avantage de la culture du sport dans leur pays, qui remportent ces premiers JO féminins. Les Françaises terminent troisièmes.

« Quelles sont ces furies toutes possédées par une sombre folie ? »

Parmi les Françaises, une championne se démarque. Il s’agit de Violette Gouraud Morris, qui repart médaillée au lancer de poids. Il n’y a pas seulement ses performances sportives qui impressionnent, mais également son avance sur son temps. Elle assume en effet ouvertement sa bisexualité et s’affiche publiquement en couple avec des femmes. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la presse du XXe siècle n’en a que faire de son orientation sexuelle. Et pour cause, c’est une femme d’exception idolâtrée par le grand public, analyse Florence Carpentier : « elle était ambulancière pendant la Première guerre mondiale, elle est issue d’une famille de hauts gradés militaires, et en plus c’est une championne internationale. »

Malheureusement, une femme qui court a mauvaise presse à l’époque où elles n’ont même pas encore obtenu le droit de vote. C’est un déferlement de haine qui dégouline dans les articles consacrés à ces premiers jeux féminins. Le Figaro est plus réactionnaire, note Florence Carpentier, qui cite un extrait du journal du 21 août 1922 : « Voilà la leçon du 400 m, cette épreuve terrible pour le corps féminin, et qui le rend si peu aimable. Quelles sont ces furies toutes possédées par une sombre folie ? Leurs yeux sont hagards, leurs bouches sont crispées et je préfère ne pas parler de leurs poitrines. »

102 ans après, « le sport reste un enjeu de domination masculine »

Malgré ces articles incendiaires, ces JO vont créer une dynamique positive pour le sport féminin : « après 1922, on constate une multiplication des compétitions féminines et trois autres éditions des JO féminins seront organisées jusqu’en 1934 », indique la maîtresse de conférences Florys Castan-Vicente.

Les femmes feront également une timide apparition lors des JO d’Amsterdam en 1928, où Alice Maillat sera la seule arbitre féminine. Cette dernière négocie avec le CIO pour que les sportives concourent à cinq épreuves d’athlétisme, dont le 800 m qui fera polémique. « La presse internationale et française véhiculent les jours suivants une “fake news” selon laquelle les finalistes se sont écroulées sur la piste, qu’elles avaient la bave aux lèvres… », raconte Florys Castan-Vicente. Pourtant, comme vous pouvez le voir sur cette vidéo, les athlètes ne sont pas anormalement fatiguées après l’effort. Après cette controverse, le 800 m sera interdit aux femmes jusqu’aux JO de Rome en 1960.

« Ces jeux de 1922 ont eu certes un effet d’entraînement, mais il faudra attendre après la Seconde Guerre mondiale pour qu’il y ait un vrai questionnement sur l’égalisation », note William Gasparini, sociologue spécialisé dans l’étude du sport. Le professeur à l’Université de Strasbourg ajoute que « si la parité est atteinte aux JO 2024, l’égalité entre les femmes et les hommes dans le milieu sportif est loin d’être atteinte. Une minorité de femmes sont par exemple à la tête des instances sportives ». 102 ans après les premiers JO féminins, « le sport reste un enjeu de domination masculine », conclut le chercheur.

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