« Je suis une “jeune de banlieue” et j’en ai assez qu’on nous culpabilise en période d’élections » - Témoignage

« Toute l’année, on manque d’infrastructures. On a grandi dans des bâtiments délabrés, on est ignorés par des classes politiques défaillantes. Mais une fois tous les cinq ans, on vient nous voir pour tracter et nous tenir des discours moralisateurs »
Colors Hunter - Chasseur de Coul / Getty Images « Toute l’année, on manque d’infrastructures. On a grandi dans des bâtiments délabrés, on est ignorés par des classes politiques défaillantes. Mais une fois tous les cinq ans, on vient nous voir pour tracter et nous tenir des discours moralisateurs »

TÉMOIGNAGE - Je suis une « jeune de banlieue » - c’est comme ça qu’on me perçoit, parce que je suis maghrébine et que j’ai grandi dans un quartier populaire du sud, à Perpignan (Pyrénées-Orientales). Pour moi, ce concept n’a pas de sens : il nous exclut du reste de la population et nous essentialise. Dans mon quartier de ville moyenne, les problématiques n’ont rien à voir avec ce qui se passe à Nanterre ou à Saint Denis ; et même ces deux villes de région parisienne n’ont rien à voir entre elles. Mais on nous rassemble sous ce terme par préjugés.

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Nous avons rarement la parole dans l’espace public et médiatique mais ces temps-ci, on entend beaucoup parler de nous pour nous inciter à voter, avec un discours culpabilisant, notamment à gauche : on nous dit que « les jeunes de banlieue ne se bougent pas », et j’aimerais y répondre.

Être catégorisé « jeune de banlieue »

J’ai grandi dans un des départements les plus pauvres de la France hexagonale et en tant que femme maghrébine d’un quartier populaire, j’ai très vite vu la manière dont nous étions catégorisés. Les premières expériences de racisme dès l’école primaire, le soupçon de triche permanent parce que j’avais de bonnes notes, la manière dont on avait peur de moi et dont on me soupçonnait d’être en colère ou agressive… Autant de manières de nous criminaliser et de nous infantiliser.

En grandissant, on a commencé à me dire que je n’étais pas « une meuf de cité comme les autres », et on m’a déplacée d’un cliché à un autre. Parce que j’étais bonne élève et que j’aimais la littérature, je passais de la « cancre de cité » à l’héroïne de film français, ce rôle inventé de l’arabe qui peut « s’en sortir » parce qu’elle est différente des siens. C’est dans ces préjugés racistes que s’ancrent les reproches ou les discours moralisateurs qu’on nous fait aujourd’hui.

On nous parle d’un changement que nous n’avons jamais vu

Toute l’année, on manque d’infrastructures et de subventions. On a grandi dans des bâtiments délabrés depuis les années 80, on est ignorés par des classes politiques défaillantes qui ne s’intéressent pas à nos problématiques. On voit les chantiers de rénovation pour rendre les centres-villes plus attractifs et pendant ce temps, personne ne traite les problèmes d’insalubrité dangereux pour la santé dans nos immeubles. Quand on essaie de se faire entendre, on nous reproche notre manière de le faire. Par contre, une fois tous les cinq ans, quand il y a des élections, on vient nous voir pour tracter, pour faire du porte à porte et nous tenir des discours moralisateurs : « Il y a un manque de mobilisation dans les quartiers, il faut vous bouger pour changer le monde », entend-on souvent. Mais cette perspective de changement, nous n’en avons jamais vu la couleur.

À croire que ceux qui tiennent ces discours n’ont aucune idée de ce qui se passe vraiment dans les cités, et qu’ils se contentent des préjugés racistes et stigmatisants, en s’imaginant qu’en banlieue, il n’y a que des jeunes posés sur des chaises de camping qui ne font rien de leurs journées. Mais on ne les a pas attendus pour « se bouger », et dans les quartiers, la conscience politique est réelle. Les émeutes après la mort de Nahel étaient politiques, les associations qui existent et qui travaillent sur le terrain sont politiques, les jeunes dans les MJC sont politisés.

C’est avec les partis politiques qu’il n’y a aucune confiance. On est exclus de ce monde au sein duquel personne ne nous représente et où on rejette nos codes, nos manières de nous exprimer et nos problématiques. La preuve : quand Sébastien Delogu dit à des jeunes de sa circonscription « Si vous vous organisez, vous pouvez faire sauter la mairie », on se retrouve avec une polémique et des gens s’indignent des expressions qu’il utilise, voire le soupçonnent de terrorisme.

Interrogez-vous sur les raisons de notre abstention

Pourquoi on participerait à un système qui nous met à l’écart ? Pourquoi on accepterait des leçons de personnes qui viennent nous faire la leçon en nous expliquant que si nous n’allons pas voter, nous allons subir du racisme alors que nous sommes les premiers au courant, et qu’on en subit déjà ? Nous connaissons nos oppressions, et nous savons très bien que si le RN était au gouvernement demain, nous serions les premiers à en payer les conséquences.

Je n’en veux pas à mes amis qui ne votent pas. Je n’invite pas à l’abstention, au contraire, j’encourage mes proches à voter s’ils le souhaitent. Mais cette idée qu’on serait égoïstes ou incapables de comprendre nos propres intérêts, je n’en peux plus. Elle vient de personnes qui pensent nous défendre, mais nous méprisent. Alors j’aimerais faire passer ce message : arrêtez de reprocher aux jeunes de banlieue de ne pas voter sans vous interroger sur les raisons qui les amènent à s’abstenir. Elles sont nombreuses et pour les comprendre, il suffit de venir nous écouter au lieu de nous infantiliser.

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