"J’étais en rage": au procès de l'incendie rue Erlanger, l'accusée réaffirme avoir agi par "colère"

"Monsieur le président, vous opposez normal et fou, Madame B. n'est ni normale, ni folle, elle est malade." Pendant presque cinq heures ce vendredi, Essia B., jugée pour avoir allumé un feu au 17 bis rue Erlanger dans la nuit du 4 au 5 février 2019 causant la mort de dix habitants, a dû s'expliquer sur ce geste qu'elle reconnaît aujourd'hui mais elle l'assure elle n'était pas "dans un état normal".

Par cet interrogatoire, la cour d'assises de Paris, qui juge depuis deux semaines cette femme de 44 ans au lourd passé psychiatrique, cherche à comprendre dans quel état psychologique était-elle lorsqu'elle a allumé le feu. "J’ai agi comme une gamine, j’étais en rage", dit celle dont la personnalité a été décrite comme borderline par les experts psychiatres, un trouble amplifié par sa consommation d'alcool et de drogue, et qui a agit par "colère".

"Je me prenais pour le Christ"

Aujourd'hui, Essia B. reconnaît certes avoir allumé ce feu. Ce qui n'était pas le cas au début de l'instruction. "Qu’est-ce qui a fait qu’en allant sur les lieux vous avouez?", questionne l'avocat général. "Face à l’horreur que j’ai vue, l’ampleur des dégâts, j’ai un minimum de conscience. Je me suis dit que ces gens-là ne pouvaient pas rester sans réponse, j'ai été envahie par cette culpabilité qui ne me lâche pas." Elle a d'ailleurs renouvelé ses excuses.

"Pardon, pardon, pardon, j’implore votre pardon", lance-t-elle aux parties civiles, nombreuses sur les bancs de la salle d'audience de la cour d'assises.

Le soir du 4 février 2019, Essia B. a eu une altercation avec son voisin, pompier, en raison du niveau sonore de sa musique. "J’étais dans ma bulle, j'étais dans mon désespoir, j'étais dans ma souffrance, je me prenais pour le Christ", explique l'accusée qui, à l'époque, décrit une période de "grande solitude".

Son voisin frappe alors violemment à sa porte, Essia B. est persuadée que sa porte est défoncée, elle appelle la police. Un équipage de la Bac se rendra à son appartement, les policiers décriront des propos incohérents de la quadragénaire, et noteront que la porte est abîmée de l'intérieur.

"J'ai été pris par un sentiment de paranoïa, de persécution, j’ai entendu cette voix dire 'pars de là, t’es en danger de mort, poursuit l'accusée. J'ai pris la fouta qui était dans mon entrée et j'ai mis un gros coup de briquet sur la fouta. Je ne me suis pas retournée pour voir s’il y avait le feu."

"Ce qui m’a fait très peur, je me suis dit soit je suis complètement folle, c’est là que je suis entrée dans un délire paranoïaque", poursuit Essia B., haut foncé et cheveux bruns détachés, pour expliquer son état après le passage de l'équipage de policiers. "Pourquoi avoir mis le feu?", questionne le président de la cour d'appel.

"C'est ce sentiment d’humiliation, de savoir que ce n’était pas moi qui avait défoncé ma porte..." "C’est la goutte qui fait déborder le vase dans votre relation avec votre voisin?", insiste le magistrat. "Complètement", rétorque l'accusée qui sortait tout juste d'un énième séjour à l'hôpital Saint-Anne.

"M. le président, mon intention n’était pas de commettre un incendie criminel, que ce soit bien clair", martèle Essia B.

"Ne dites pas que vous réfléchissez pas"

Le président la presse de questions, lui demande des détails. A-t-elle rapproché l'enceinte de la fenêtre de son voisin après ses premières plaintes? "Je ne m'en souviens pas, mais c'est possible", reconnaît sans peine l'accusée évoquant a posteriori de la "provocation".

"Est-ce que vous vous rappelez comment vous mettez le feu?", demande-t-il également. "Je n'ai pas de souvenir précis. Je n'ai aucun souvenir d'être allée chercher du papier. Le seul souvenir c'est la fouta et le drap de bain, ça je m'en rappelle."

Le feu allumé au deuxième étage du 17 bis rue Erlanger l'avait été avec un morceau de bois, du papier et ce morceau de tissu, ce qui avait favorisé son embrasement. "Pourquoi vous parlez de mettre le feu à votre voisin? Pourquoi vous lui dites que tout va exploser?", s'agace le président.

"Parce qu'il est pompier", rétorque Essia B. "Est-ce que quand vous prononcez ces mots vous avez l'intention de mettre le feu?" Vous ne pensiez pas que ça pouvait entraîner des morts?" "Je n'étais pas dans mon état normal", se justifie la quadragénaire, qui évoque "un trou noir" concernant le drame.

- "Le feu est élaboré d’une certaine manière, est-ce qu’on peut penser qu’en le mettant, parce qu’a priori c’est vous, d’une certaine manière de fait que le feu prenne?" - "Non, c’est pas a priori, c’est moi. Je ne réfléchis pas", plaide encore l'accusée.

La tension ne cesse de monter lors de cet interrogatoire. "Ne dites pas que vous ne réfléchissez pas, vous ne réflechissez pas que vous allumez le feu?", s'emporte le président. Me Sébastien Schapira, l'avocat d'Essia B. l'interrompt: "Monsieur le président, vous avez des questions pour lesquelles vous avez déjà des réponses, ça va être simple votre délibéré. Vous décrivez que le feu est organisé, donc vous en déduisez qu’il est organisé."

"Est-ce que vous pensez vraiment quand on a un esprit criminel, vous dites 'eh oh attention je vais mettre le feu'", se défend presque naïvement Essia B.

La question de l'après

La question de l'altération du discernement est centrale dans ce dossier. S'il était retenu par la cour d'assises, Essia B risque jusqu'à 30 ans de prison. Dans le cas contraire, elle encourt la réclusion criminelle à perpétuité. "J’ai pris conscience de ma maladie en détention, avant jamais", explique Essia B., qui a réalisé 31 passages en hôpital psychiatrique depuis 2009. A cette époque, "je suis consciente des troubles dont je peux être affectée mais je ne peux pas l’admettre". "C’est pas un alibi, ma souffrance est très subtile", poursuit-elle.

"Pendant 4 ans de détention j’ai réfléchi à mes actes. (...) Je dois être responsable, je dois être mature et je ne dois plus réagir comme une gamine de 16 ans."

Pour les parties civiles, il est difficile de croire à ce "virage" évoqué la veille par le psychiatre Daniel Zagury, d'autant que l'accusée enchaîne détention et séjour en unité spécialisée et qu'elle continue à fumer du cannabis. Se pose pour elles la question de l'après. "Ce serait d'avoir éliminé toutes les toxiques durant la détention, détaille Essia B. L’alcool j’ai arrêté et j’ai entendu trop de témoignages qui m’ont fait prendre conscience que je ne pourrais plus consommer de cannabis."

Article original publié sur BFMTV.com