« J’ai été condamné car j’étais homosexuel, et l’État doit reconnaître ses torts » - Témoignage

Michel Chomarat a été condamné en 1981 pour outrage public à la pudeur.
Créative Commons Attribution Michel Chomarat a été condamné en 1981 pour outrage public à la pudeur.

TÉMOIGNAGE - Je suis né en 1948, à une époque où les homosexuels n’avaient pas le droit d’exister dans l’espace public. Pendant 40 ans, en France, entre 1942 et 1982, des personnes étaient condamnées pour homosexualité. Aujourd’hui, le gouvernement français veut enfin reconnaître sa responsabilité et nous donner un peu d’argent en réparation de cette homophobie d’État, mais cette somme est une rustine par rapport aux dégâts qui ont été faits pendant toutes ces années.

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J’ai quitté mes parents très tôt, ils étaient hostiles à mon homosexualité. Je me souviens d’une époque difficile. On était des pestiférés, on devait raser les murs ou rester chez soi. Certains ont été désocialisés, voire poussés au suicide. Mais on avait quand même des besoins sexuels. Alors, les gens draguaient pendant la nuit, dans les parcs, les jardins ou le long des fleuves, là où il y avait des toilettes publiques.

C’était une sorte de vie souterraine, avec des contrôles permanents. La drague relevait de l’aventure : on pouvait se faire tabasser, soit par des « casseurs de PD », soit par des flics, ou par les deux. On pouvait même y laisser sa vie. Moi, j’aimais cette nuit dangereuse. On n’était pas très nombreux à avoir le courage de sortir. Mais j’étais militant et très à l’aise avec mon homosexualité, même si j’ai été contrôlé plusieurs fois par la police. Quand on est militant, on assume.

Je ne me suis jamais senti coupable

Mon arrestation a eu lieu en 1977, dans le bar Le Manhattan, à Paris. J’avais 28 ans. On se croyait protégés dans cet endroit clos, entre nous. Nous étions en pleins ébats quand la lumière s’est allumée et que la police a débarqué. Il semblerait qu’il y avait aussi des policiers déjà présents à l’intérieur. C’était vraiment une opération anti-homosexuels.

Je me suis senti très, très mal. Au total, nous étions neuf clients et deux patrons à être menottés et transférés au Quai des Orfèvres, le siège de la Police judiciaire. Nous étions accusés d’attentat à la pudeur en public. On nous a interrogés toute la nuit. Les officiers de police voulaient savoir qui faisait quoi avec qui, ils avaient l’air de se régaler des détails sexuels. J’ai trouvé ça très pervers. On est sortis à l’aube.

J’étais assez désemparé car je tombais de très haut. Je pensais que j’allais finir en prison, comme beaucoup de personnes homosexuelles à cette époque. Mais je ne me sentais pas du tout coupable. Et 47 ans après, je ne me sens toujours pas coupable.

Ce procès est devenu une affaire de société

Le procès a eu lieu l’année suivante. La presse, des associations et des intellectuels étaient présents. D’habitude, les procès qui touchaient les homosexuels se passaient en catimini et sans public. Mais les revendications étaient de plus en plus pressantes pour changer la loi. Ce procès allait devenir une affaire de société, symbolique de la répression des homosexuels par l’État.

Je me sentais mal à l’aise car il y avait 200 personnes dans la salle. Et en même temps, je trouvais cette solidarité très belle. L’association Le Cuarh, très influente à l’époque, m’avait même payé un avocat. On a finalement été condamnés à 500 francs d’amende. Ce qui était pratiquement un cadeau par rapport aux peines habituellement prononcées. La justice se rendait bien compte du décalage entre la loi et les mœurs.

La plupart des condamnés en sont restés là. Moi, j’ai fait appel et je suis allé jusqu’en cassation. Les 500 francs d’amende ont été confirmés en février 1981, soit trois mois avant l’élection de François Mitterrand, qui m’a finalement amnistié en 1982.

L’État doit maintenant reconnaître ses torts et s’excuser

Cette condamnation n’a pas modifié mon comportement. Au contraire, ça m’a poussé à être encore plus naturel. J’estimais que je devais rester ce que j’étais. Quand vous êtes activiste, ce genre de choses vous nourrit. Cette période de répression a fait ma force.

J’ai très bien accueilli la dépénalisation en 1982, mais on n’en a pas beaucoup profité. Le côté ludique a duré quelques mois avant d’être balayé par l’arrivée du Sida.

L’État doit maintenant reconnaître ses torts et s’excuser. Je trouve malheureusement que cette loi de réparation des personnes condamnées pour homosexualité arrive un peu tard. Je crains que tous les condamnés soient morts avant qu’elle ne soit définitivement adoptée et qu’elle soit finalement une loi posthume.

Il y a aussi une indemnisation qui est prévue. Beaucoup de pays sont passés par cette case indemnisation. Pour rattraper le coup, le gouvernement français veut nous donner un peu d’argent, mais combien vaut une vie entière qui a été anéantie ? L’État a failli en excluant une partie de son peuple pour des raisons morales. Il doit maintenant reconnaître qu’il s’est trompé. C’est pour cela que la loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 est capitale pour moi.

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